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Une envie de livres ?

29/08/2010

Devenir historien (5)

L'histoire, une passion. C'est aussi ce qu'expliquait Lucien Febvre dans le même article que je citais ces derniers jours.

« J'aime l'histoire. Si je ne l'aimais pas, je ne serais pas historien. De sa vie faire deux parts; donner l'une au métier, expédié sans amour; réserver l'autre à la satisfaction de ses besoins profonds : voilà qui est abominable, quand le métier qu'on a choisi est un métier d'intelligence. J'aime l'histoire – et c'est pour cela que je suis heureux de venir vous parler, aujourd'hui, de ce que j'aime. (...)

Article à retrouver en ligne sur persee.fr, article "Lucien Febvre et l'histoire"
Fernand Braudel, publié dans la revue Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1957, volume 12, numéro 2, pp. 177-182.

Il est inutile de le nier. Si l'historien ne se borne pas à l'anecdote, il aime l'anecdote, mais ne se contente pas de cela. Pas folle, j'aime comme tout le monde les lettres de la Palatine et les méchancetés de Saint-Simon. Je ris de voir la Grande Mademoiselle raconter comment, un jour, près de la frontière et des champs de bataille, elle se retrouva embourbée, tenant la traîne de la reine Marie-Thérèse ou plutôt la tirant en arrière en manquant de tomber. On imagine les dentelles et les soieries dans la boue, ces belles dames enfoncées jusqu'aux genoux et on rit. Mais pas seulement.

Quand une émission estivale, celle de S. Bern, s'attarde longuement sur les goûts sexuels de l'impératrice de Russie, Catherine II, on soupire. Non pas parce que c'est inintéressant. D'une certaine façon c'est passionnant. En entendant ce genre de choses, il faut avoir aussitôt le réflexe de se demander:
"N'est-ce pas nouveau qu'une femme de pouvoir assume en plein époque moderne (XVIe-XVIIIe s.) la recherche du plaisir plutôt que la chasteté et la procréation?"

Car le plaisir sexuel ne semble pas l'attribut des souveraines. L'anecdote du bac de Neuilly est révélatrice: en 1606 Henri IV, Marie de Médicis et la Cour prennent le bac de Neuilly pour traverser la Seine, comme d'habitude. Mais cette fois-là, le bac bascule, tout ce joli monde tombe à l'eau. La reine manque de se noyer. Elle se raccroche à son chevalier d'honneur, enfin... comment dire...à sa braguette, proéminente, rigide, bref bien pratique pour s'y accrocher dans de telles circonstances. La maîtresse du roi, Henriette d'Entragues, à la langue toujours bien pendue, est absente. Quand on lui raconte ce qui s'est passé, elle s'esclaffe et déclare "Si j'avais été là, j'aurais dit "La reine boit!"". La pauvre Marie de Médicis gagne sa réputation de "balourde" - étiquette gracieuse qu'elle doit également à la maîtresse de son époux - parce qu'il fallut lui expliquer plusieurs fois pourquoi Henriette avait déclaré cela. Comme il n'est pas certain que ce soit de l'eau que la reine était censée avoir bu, d'après la perfide Henriette, on peut en tirer la conclusion suivante: la reine ignorait manifestement certaines pratiques sexuelles, pratiquées en revanche par la maîtresse. Cela fait supposer que la reine est faite pour procréer - les pratiques qui procurent plaisir en ne permettant pas la procréation sont absentes - tandis que la maîtresse est là pour le plaisir du roi. Les maîtresses ne sont donc pas les preuves d'égarement moral des souverains pécheurs, mais un moyen trouvé par quelques-uns afin de compenser leurs obligations conjugales élémentaires: assurer l'avenir dynastique. À confirmer. Ce n'est qu'une hypothèse.

Autre question qui surgit en écoutant ces anecdotes relatives à Catherine II: est-il vraiment anodin que l'on raconte ces histoires au XVIIIe siècle? Il semble que l'impératrice ne cachait pas soigneusement ces détails intimes. Peut-être ces pratiques entraient-elles dans l'élaboration d'un discours de liberté, de pouvoir souverain supérieur aux règles morales? Que sais-je? Hypothèse peut-être fausse, peut-être vérifiable. Mais l'anecdote en soit est inutile si elle ne donne pas lieu à l'analyse qui permet d'aller plus loin que le bout de son nez.

Finalement, on ne range pas ses habitudes d'historiens quand on quitte son bureau. J'ai entendu des historiens dire "Oh non, je ne regarde pas d'émissions historiques le soir, quand je ne travaille plus, je ne veux pas entendre parler d'histoire". Même si la qualité des émissions historiques laisse beaucoup à désirer sur le service public et justifie que l'on n'en regarde pas, un historien qui laisse son métier au bureau semble regrettable. Évidemment, cela peut être un peu lourd à porter pour l'entourage non-historien. Tout dépend comment et combien de fois on commente ce que l'on voit. Au pire on se prend un "Alain Decaux, sors de ce corps". Groumph.
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25/08/2010

Devenir historien (4)

Je vous disais qu'un historien ne s'amuse pas à des reconstitutions. C'est vrai et c'est faux. Personnellement, je suis très intéressée par des reconstitutions comme La robe d'une reine Anne de Clèves. Ce n'est pas de la reconstitution pour le jeu - je vais me faire massacrer par les fanatiques de reconstitution, je le sens - mais pour tester des hypothèses en recherchant les mêmes matériaux, les mêmes techniques au plus précis, non pas pour porter le vêtement mais retrouver des méthodes de fabrication. Et là, c'est fabuleux pour les historiens. Voyez notamment les essais dans ce blog pour fabriquer le jupon.

La reconstitution "historique" en dehors des éléments techniques et matériels - un château, une robe - pose trop de problèmes, plus qu'elle ne peut en résoudre. Il faut pouvoir réunir les conditions, et cela risque de biaiser outre mesure l'expérience. C'est une des raisons pour lesquelles, si la méthode des historiens est scientifique, l'histoire n'est pas une science. C'est ce qu'expliquait Lucien Febvre dans une conférence donnée aux jeunes normaliens (élèves de l'ENS) en 1941:

si je n'ai point parlé de « science » de l'histoire, j'ai parlé « d'étude scientifiquement conduite ». Ces deux mots n'étaient point là pour faire riche. «Scientifiquement conduite », la formule implique deux opérations, celles-là mêmes qui se trouvent à la base de tout travail scientifique moderne : poser des problèmes et formuler des hypothèses. Deux opérations qu'aux hommes de mon âge on dénonçait déjà comme périlleuses entre toutes. Car poser des problèmes, ou formuler des hypothèses, c'était tout simplement trahir. Faire pénétrer dans la cité de l'objectivité le cheval de Troie de la subjectivité"
(Article à retrouver en ligne sur persee.fr, article "Lucien Febvre et l'histoire"
Fernand Braudel, publié dans la revue Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1957, volume 12, numéro 2, pp. 177-182.)


L'historien tâtonne, admet pouvoir se tromper. Il le tire pas le fil de l'histoire comme Ariane, mais observe, essaie de comprendre, en mettant en relation faits constatés et connaissance. Un historien observe le passé avec les lunettes fournies par son époque. L'objectivité parfaite est impossible, autant en être conscient. Mais l'objectivité doit rester l'objectif. Non, comme l'a déclaré lors d'une conférence - pendant laquelle j'ai failli m'étrangler une douzaine de fois- un cardinal français - célèbre pour ses gaffes ou sa tendance à la misogynie, je lui laisse le bénéfice du doute - l'historien ne s'occupe pas à chercher perpétuellement LE document inconnu qui révolutionnera la connaissance, qui établira de nouvelles vérités. Ce n'est pas non plus une course perpétuelle vers une vérité toujours relative. La vérité est, notre connaissance en est relative, nuance. Des acquis sont indéniables, mais la masse à découvrir est assez immense pour permettre toujours la précision de nos connaissances, l'ouverture de nouvelles voies, selon les intérêts de l'époque dans laquelle vit l'historien.

Lui-même proie de passions, l'historien n'est pas neutre et c'est avec ses passions qu'il tente de faire progresser la connaissance historique.
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24/08/2010

Devenir historien (3)


Finalement, pour devenir historien, il faut bien passer par "l'école". Soit l'université, soit prépa+grande école (l'École normale supérieure, l'École des Chartes) le temps de décrocher un Master. Auparavant on parlait de DEUG, Licence, qui sont devenus "Licence" en trois ans et l'on parlait de Maîtrise, DEA devenus ensemble "Master". Donc une licence (trois ans) + Master (deux ans)= 5 ans.

S'y ajoute une thèse (trois ans en principe). Soit un total de bac+8. Même si vous mettez six ans à faire votre thèse, vous aurez toujours le niveau bac+8 et non pas +11.

Avant s'ajoutait sans compter dans le calcul le CAPES et/ou l'agrégation, qui permettent de devenir enseignant dans la fonction publique. Ces années de préparation aux concours ne comptaient pas dans l'évaluation bac+3 ou bac+5. Avec la création des Master enseignement (qui préparent au CAPES) et Master recherche (qui permet de préparer l'agrégation, requérant le niveau bac+5), ces années de concours comptent.

Le prix à payer a été lourd: plus de programme commun entre le CAPES et l'agrég en histoire, ce qui est désastreux pour les candidats qui préparaient les deux, ne pouvant pas se permettre le risque de passer uniquement l'agrégation, pour de bêtes raisons financières. Cinq ans d'études ça va si ça se termine avec un boulot (même si c'est "seulement" certifié*), cinq ans d'étude sans boulot au bout (parce que l'on est arrivé 82e à l'agrég et que cette année-là, pas de chance, il n'y avait que 81 places pour toute la France), ça ne va plus. Comme l'a fait votre servante, CAPES et agrég parce qu'à deux c'est mieux. Hum.
C'est désastreux aussi pour l'écrasante majorité des universités qui n'ont plus les moyens de maintenir une préparation pour les candidats à l'agrégation. Parce que payer sept enseignants pour quatre agrégatifs ayant vraiment des chances de réussir, vous comprendrez que... c'est compliqué. Zou les provinciaux (et les banlieusards)! Surtout ceux qui n'ont pas l'argent pour finir leurs études à Paris. Il n'y a pas à dire, c'est fou ce que l'égalité de droit entre citoyen progresse ces temps derniers.

Revenons à nos moutons... Une thèse peut se faire à l'université, ou dans de grands établissements comme l'École pratique des Hautes études, le Centre national des Arts et métiers ou l'Institut d'études politiques. Si la question du financement des thèses vous intéresse vous trouverez un récapitulatif ici sur le site de l'EHESS ou bien dans ces billets antérieurs de votre servante, un peu plus ironiques. Pour financer la thèse, en résumé, à part quelques bourses ponctuelles, il y a le contrat doctoral (qui remplace l'allocation de recherche et le monitorat), puis des contrats d'ATER et/ou tout simplement votre patience et un poste dans le secondaire.

À l'issu de la thèse, on présente un dossier devant le Conseil national des Universités, qui valide le dossier scientifique (seul). C'est après que l'on candidate auprès des universités qui recherchent des maîtres de conférence. Si l'on est élu premier, on devient maître de conférence. Par la suite, pour changer d'université, il faut obtenir une mutation.

Pour devenir enseignant chercheur en histoire, inutile d'aller par quatre chemins: il serait illogique de ne pas se frotter aux concours. Certains vous diront qu'il faut absolument avoir l'agrégation. En réalité on trouve beaucoup mais alors beaucoup d'exceptions, qui ne sont pas pour autant des enseignants-chercheurs plus mauvais. Même s'il reste vrai que les agrégés et si possible normaliens restent souvent classés en tête. Étant donné qu'il y a moins de dix postes par an par spécialité (ancienne/médiévale/moderne/contemporaine) pour l'ensemble de la France, évidemment être agrégé et normalien c'est mieux. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut se pendre et renoncer à tout si l'on n'est "que" certifié. Il y a des agrégés qui se font refouler à chaque candidature, il y a des normaliens que l'on devrait refouler. Il y a des normaliens brillants, des enseignants seulement certifiés avant de devenir maîtres de conférence, et tout aussi brillants.

Pas la peine non plus de déprimer sur le peu de postes, ça n'en donnera pas plus. Dites-vous que vous ne perdez rien à essayer.

L'image est juste là pour faire joli, il n'y pas de joli chapeau ni de toge pour les jeunes docteurs en France... hélas. ;-)

* merci aux esprits mal intentionnés de passer leur chemin, il n'y a aucun mépris là-dedans.
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21/08/2010

Devenir historien (2)


Il résulte du précédent billet qu'un historien ne se contente pas de raconter, il explique. Il ne brode pas sur les évènements, n'invente pas là où il n'a pas assez d'information, il ne reconstitue pas. Ce n'est donc ni un romancier, ni un écrivain et encore moins un amateur de reconstitution de combats chevaleresques ou autre... jeux. Même si l'historien et le romancier ont en commun d'écrire.

Cela signifie que mettre côte à côte Stanis Pérez et Françoise Hamel est par exemple incongru - et même à la limite du sacrilège vu mon addiction à l'oeuvre de S. Pérez, bref... -. Tout rapport avec une émission estivale diffusée très récemment et qui avait pour objet une mangeuse de choucroute égarée à Versailles* serait parfaitement fortuit, naturellement. Là encore, je n'ai rien contre cette dame - pas la mangeuse de choucroute, la première, F. Hamel - j'aurais pu citer d'autres écrivains dont la présence était passablement incongrue dans une émission voulant initier le public à l'histoire. Mais nettement moins incongru quand on saisit le concept, soit divertir le citoyen avec des anecdotes, si possible monarchiques ou impériales. À croire que première dame de la République ce n'est pas glam. Sans commentaire.

Un historien disais-je, n'est pas un romancier. Enfin, il ne fait pas oeuvre de romancier quand il travaille et publie comme historien. Car il y a d'excellents historiens qui ont aussi écrit des romans: B. Bennassar et A. Farge. (Qu'aucun esprit pervers n'aille conclure qu'il y a ici sous-entendu du type "ils sont bons historiens mais mauvais romanciers" parce que je n'ai pas lu leurs romans, donc je ne me prononce pas. J'ai même un a priori positif. D'abord. Je ne fais pas que médire.)

Allons plus loin. Les historiens se caractérisant par l'exigence de l'innovation, de la recherche d'une meilleure ou nouvelle compréhension des faits, ils sont de fait des professionnels, dans l'écrasante majorité des cas. En tout cas ils ont reçu une formation intellectuelle et professionnelle. Et s'ils n'ont pas hérité de vastes propriétés familiales ni de la fortune d'un oncle d'Amérique, ils sont souvent réduit à travailler à la sueur de leur front pour manger. Donc ils sont chercheurs (dans des centres de recherche, pour des institutions comme le CNRS, je schématise) ou enseignants-chercheurs (dans une université de France ou d'ailleurs). Il n'y a pas à tortiller, je n'en connais pas qui vivent de leurs publications scientifiques, même Pierre Chaunu n'en vivait pas. Ils publient davantage pour l'amour de la recherche et faire reconnaître leur talent (basse motivation n'est-il pas? Hahum) afin de ne pas stagner toujours aux mêmes fonctions.


(suite au prochain épisode...)


* Parce que je suis gentille, je décode, la réponse de l'énigme est "Madame Palatine", épouse de Monsieur, lui-même frère du roi Soleil, qui était lui-même le petit-cousin de Louis II de Bourbon-Condé, petit-fils de... enfin vous avez compris.
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19/08/2010

Devenir historien (1)

Première précision: que signifie "être historien"? Je vous mets à l'aise tout de suite, non, Lorant Deutsch n'est pas historien, pas plus qu'É. Badinter. Oui, je sais, je vais me faire des ennemis. Je n'ai rien contre Lorant Deutsch. Simplement, il ne suffit pas d'écrire des ouvrages d'histoire pour être historien.

Il n'y a nul orgueil dans ces lignes, rien ne me garantit quand j'écris un article, quand je rédige ma thèse, quand je publierai la grande oeuvre de ma vie (mouarf) de faire oeuvre d'historienne, parce ce que tout dépend du respect des règles du métier d'historien.

Donc il y a des règles.
D'abord il faut des connaissances précises (comme disaient les vieux professeurs, "on ne parle que de ce que l'on sait", raison pour laquelle je n'irai pas écrire un livre sur Fouquet, puis un autre sur Louis XIII, Louis XVI, De Gaulle et Giscard, à raison de livre par an). Un bon livre d'histoire, c'est comme un bon pain, ça demande beaucoup de savoir faire, de temps de travail et de repos. Ne pas savoir reconnaître les bornes de son savoir, publier sur tout, cela a un nom: "polygrapĥe"! Et ça claque comme un coup de fouet sec et nerveux. On peut tout au plus conclure par un "Amen!" C'est une des pires réflexions qui puissent tomber de la bouche des historiens (qui tombait de temps à autre de la bouche mes vieux professeurs... notamment) que je connais et estime. Mais il ne suffit pas d'accumuler des connaissances sur un sujet.

Il faut appliquer d'autres règles, et d'abord respecter un certain savoir-faire (quand je vous parlais de pain...). Pas de méthode absolue, qui garantirait une histoire écrite une fois pour toutes.

Faire de l'histoire ce n'est pas seulement recopier les textes trouvés dans les archives, décrire les objets retrouvés lors de fouilles archéologiques. Il s'agit de redonner aux mots, aux objets leur place dans leur époque.

C'est là qu'interviennent les connaissances. Et l'on pose cette fameuse question: pourquoi? Pourquoi ce témoignage a-t-il été produit à ce moment-là et pas à un autre? Est-il étonnant par rapport aux autres traces de cette époque-là?

Un bon historien doit faire preuve d'esprit critique, il doit prendre du recul, ne pas juger par rapport aux valeurs de l'époque dans laquelle il vit. Il doit toujours chercher à comprendre pourquoi un tel ou tel a agi comme il l'a fait. En sachant qu'aucun document, aucune méthode ne sont des garanties d'atteindre la vérité. Je ne dirai donc pas "il n'y a aucune vérité (y compris celle-là)".
Hahum.

Ensuite pour faire oeuvre d'historien, il faut faire un effort permanent de neutralité, c'est-à-dire se garder de jugement de valeur, de jugement moral (bien, pas bien).

Enfin, un historien peut écrire des ouvrages de "valorisation de la recherche" (d'autres diraient "vulgarisation") pour mettre le savoir à la portée de tous. Mais un historien doit faire ce genre de travail en plus de son activité essentielle: faire avancer la connaissance historique, en se frottant aux fouilles, aux archives, aux copies de textes antiques, bref aux sources. On ne peut pas décemment se dire historien et écrire une biographie de telle souverain, de tel grand personnage en compilant les extraits de récits des mémorialistes, sans apports personnel, sans croiser les sources, sans s'interroger sur sa documentation, sans les confronter à ce que l'on sait déjà. Toute référence implicite à des ouvrages existants serait parfaitement fortuite, n'est-ce pas.

Ces règles ne s'improvisent pas. On les apprend au cours d'études faites ici à l'université, là en classe prépa (et surtout après en grande école), ailleurs dans les différentes institutions ouvertes aux étudiants quelque soient leur nom. Que l'on devienne historien en allant uniquement aux archives, en apprenant sur le tas, j'avoue ne pas y croire. Déjà que passer des années à user ses fonds de culotte sur les bancs d'une fac n'est en aucune façon une garantie, alors...

C'est comme si j'avais la prétention de devenir clown en me collant un nez rouge... ça ne ressemblerait à rien.
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17/08/2010

L'historien, cet ogre


L'écoute de l'émission L'histoire et moi, de samedi dernier (14 /08/10) rappelait à quel point l'histoire est une science humaine. Cette émission évoquait les cadeaux reçus par Maurice Thorez durant les années 30 et 40 notamment. Oui, évidemment, on peut hausser les épaules, on travaille sur l'humain, pas tout à fait comme des chirurgiens mais enfin... il y a de l'idée. Ce qui est particulier en histoire du XXe siècle, c'est que l'on a un contact humain direct avec les hommes et femmes qui ont vécu et fait l'histoire. Ici, A. Wieworka échangeait avec la fille d'un fusillé, mort en 1942. Échange douloureux, qui a fait monter les larmes aux yeux de cette fille de déporté. L'historien, un travailleur de l'humanité? Banalité pour les chercheurs de contemporaine, un peu moins pour ceux qui n'ont plus que les objets ou les monuments pour aborder l'histoire. C'est peut-être une banalité mais sans cette dimension humaine, de compassion, de sensibilité, l'on prend le risque d'une histoire aride, déshumanisée, me semble-t-il.

C'est probablement une des plus belles choses de ce métier d'historien: se vouer à l'humain, à la souffrance, aux bonheurs, aux hommes et aux femmes, aux enfants et aux vieillards. Rien n'échappe à la quête d'humanité de l'historien. Selon la belle expression de Marc Bloch : « Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier » (BLOCH Marc, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, Paris, Colin, 1999.)

Oui mais un ogre sensible, s'il vous plaît, qui sait s'émouvoir. C'est cette émotion que l'on retrouve sous la plume d'Arlette Farge dans ses études sur le monde de la justice au XVIIIe siècle, par exemple.

Pour en revenir à l'émission, sa présentation insiste sur la dimension de "petite histoire", par opposition à la grande. Mais quelle petite histoire, quelle grande histoire? Ces mots n'ont en réalité aucun sens, depuis au moins la révolution historiographique des Annales. Ces mots ne servent qu'à attirer le chaland, et c'est dommage. C'est la part des affects qui peut faire écrire une petite histoire où l'anecdote et le sensationnel prennent le dessus sur l'effort nécessaire . C'est ce dernier qui nous fait tenter de comprendre et nous fait essayer de démêler l'écheveau des sensibilités, des évènements, des histoires individuelles.

Il faut donc rire et pleurer avec les humains que nous rencontrons, ne jamais laisser l'humanité passer au second plan au profit de la technique seule. Quand on voit le bon regard de Marc Bloch, il est difficile de l'oublier.
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14/08/2010

Quelques blogs d'archivistes

Tandis que je cause dans mon coin d'histoire et d'archives, d'autres, archivistes eux, causent aussi dans leur coin. J'ai découvert ces derniers jours Le blog d'un cyberarchiviste, au ton drôle et surtout intéressant (pour moi) puisqu'il offre le regard d'un archiviste, de l'autre côté de la barrière en quelque sorte. Et un petit deuxième au ton semblable et tout aussi intéressant (parce deux c'est mieux, mouhahah... pardon, mais c'est la fatigue, ça n'arrange pas mon humour... ) Dans les bas-fonds de l'archiviste.

Deux blogs féminins, qui s'ajoutent à celui d'Artémise, de Pergamina et au mien. Mais où sont les hommes?

Pour faire tomber à plat cette dernière réflexion (deux blogs...), voici un troisième : Chroniques archivistiques. Bonne lecture!
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12/08/2010

Une bibliographie de survie

ou plutôt d'initiation: en trois ouvrages seulement. Et avec des images pour ceux qui ont du mal sans.

D'abord, un ouvrage très bref dont j'ai déjà parlé ici : Une histoire de France d'un historien universitaire moderniste (16e-18e siècle) Lucien Bély.















Ensuite un autre ouvrage dont j'ai également parlé au même endroit:


Sous la direction d'A. Corbin, 1515 et les grandes dates de France.













Et enfin un Atlas doublé d'une chronologie: compact, il a l'immense mérite de couvrir tous les sujets de l'histoire mondiale, de la préhistoire à nos jours. Un défaut (péniiiiibleu): très régulièrement réédité, il est régulièrement indisponible. Il faut de la patience donc. Mais une fois que l'on en a un, on ne rachète pas le suivant. Le mien doit dater des années 1990, et je n'ai pas l'intention d'en changer tout de suite.










Ce n'est carrément pas possible de vivre sans trois ouvrages de ce genre, que l'on aime ou pas l'histoire. Soyons raisonnables.


À compléter par un Atlas de géopolitique. Au choix:














Et pour en savoir plus, "faites votre choix dans les bibliographies en fin d'ouvrage!", comme on dit à chaque rentrée aux jeunes gens en culottes courtes ou jupes plissées qui viennent d'avoir leur bac. Ici, allez voir dans le diaporama. Bonne lecture !


La culture est ce qui fait d'une journée de travail une journée de vie. G. Duhamel.
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10/08/2010

Histoire de parfums...



Hier matin sur Inter... oui, je sais, je devrais faire une cure de désintox, mais l'été est tout sauf la saison propice, pour peu que je sois en vacances sans télévision, mon syndrome s'aggrave. Oui, je sais aussi, en ce moment je ne suis ni en vacances, ni loin de chez moi, donc pas sans télévision.

Bref, hier matin sur Inter, disais-je, dans L'été en pente douce, il était question de parfum, et notamment d'ambre. J. Cl. Ellena de la maison Hermès était invité et a parlé de l'ancienne classification des parfums en notes boisées, chyprées, fleuries... Il a juste fait une grosse grosse boulette en confondant l'ambre jaune, utilisé en bijouterie et l'ambre gris. Surprenant. L'ambre gris est une concrétion tirée de l'estomac des cachalots. En l'état cela sent extrêmement mauvais, après traitement, il est très utilisé en parfumerie. Je sens que vous allez regarder d'un sale oeil votre flacon de parfum maintenant. Pas de panique, aujourd'hui, c'est un substitut chimique qui est utilisé, pour cause de convention de Washington sur la protection des cétacées. Si l'ambre vous intéresse toujours, allez ici sur la page du CNRS (pour wikipedia, vous connaissez le chemin tout seul).



Et si vous n'êtes toujours pas dégoûtés, sachez que l'on en mettait à la fin du Moyen-Âge et jusqu'au XVIIIe siècle dans les mets les plus précieux (si, si, et pour avoir goûté et fait des gâteaux au musc, enfin son substitut, le patchouli, c'est moins bizarre que ça en a l'air) (je vous ai dit que le musc est une sécrétion d'une race de cerfs?)




Pour faire bonne mesure G. Erner (hé oui, on ne se refait pas non plus là-dessus) s'entretenait avec Alain Corbin. Lequel historien regrettait l'absence d'une Histoire de la caresse... Il ne se corrige pas non plus, mais il a entièrement raison. Déjà que l'on n'a pas vraiment d'histoire de la parfumerie, écrite par des historiens... Du coup il faut se rabattre sur des beaux livres ou des études sur l'histoire du corps et du rapport au corps, au propre et au sale. Mais il ne faut pas se plaindre, Catherine Lanoë nous ayant offert une histoire de la cosmétique qui vaut son pesant de cacahuètes (en or). Quelques lectures ci-dessous...


C. Lanoë, La poudre et le fard, une histoire des cosmétiques, Champ Vallon, 2008.
A. Cordbin, Le miasme et la jonquille, Flammarion, 1982.
G. Vigarello, Histoire de la beauté, Le Seuil, 2004.
G. Vigarello, Le propre et le sale, Le Seuil, 1987.
G. Vigarello, A. Corbin, J.-J. Courtine, Histoire du corps, Le Seuil, 2005.


Edwin T-Morris, Les senteurs, Minerva, 2000.
M. Ch. Grasse, Une histoire mondiale du parfum, Somogy, 2007.

Et pour terminer un blog sur l'ambre et plus généralement les parfums... Ambre gris sur blogspot, et deux pages web, liées à deux expos de l'année dernière, l'une sur les secrets de beauté et du corps au Moyen Âge, musée de Cluny, et l'autre à la Renaissance, musée d'Écouen. Visites virtuelles en ligne et références des catalogues d'expo ici pour Cluny et là pour Écouen.



C'est dingue, je reste de marbre devant des blogs de filles à fringues et maquillage (sauf quand j'ai un besoin précis) mais là, je salive devant ces bouquins. Suis-je normale, doc ? (angoisse)







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06/08/2010

Entre les deux (Guillaume), mon coeur balance...


La grille des programmes de la rentrée sur France Inter a déchaîné les passions en juin dernier, à cause de quelques départs retentissants (Guillon, Porte et Nicolas Demorand entre autres). Je pleure déjà le parking de nuit de Sophie Loubières et je n'ai pas digéré la suppression de Rue des Entrepreneurs. Bref, en attendant, la grille d'été serait assez désespérante - double punition pour ceux qui ne partent pas en vacances - s'il n'y avait pas deux Guillaume hors pair, Guillaume Erner et Guillaume Gallienne ( je suis devenue en quelques mois fan hystérique de G. Gallienne, moi qui n'ai jamais été fan d'un chanteur, voilà du propre.)

C'est du premier dont je voudrais vous parler aujourd'hui, son mordant me l'ayant rendu très vite sympatique. De Guillaume Erner je vous recommande donc (au cas où vous l'auriez manquée hier) l'émission L'été en pente douce, où étaient invités Gérald Bronner, professeur de sociologie à l'université de Strasbourg, et Vincent Courtillot, professeur de géophysique.

Le premier a publié aux PUF (Presses universitaires de France) un ouvrage intitulé L'inquiétant principe de précaution :

Les auteurs mettent en évidence une nouvelle forme de populisme, le précautionnisme, qui sert comme prétexte idéologique au refus du progrès scientifique et à un antilibéralisme radical, et exposent les mécanismes intellectuels et les faits historiques qui ont fait entrer dans le droit le principe de précaution.


Le second expose dans Nouveau voyage au centre de la Terre

le fonctionnement de la Terre et les extinctions successives de la flore et de la faune qui ont marqué l'histoire de la vie. Il explique le réchauffement climatique non pas par les émissions de CO2 mais par l'activité solaire, les variations de l'orbite terrestre et l'activité volcanique.

Dans les deux cas, j'ai bien aimé la qualité de leur réflexion, nuancée, qui prend un peu de recul face aux opinions du moment, sans tout rejeter pour autant. À réécouter donc... et à lire.
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04/08/2010

Vous avez dit "archives numérisées"?

"De toutes façons, les archives sont numérisées, maintenant?
- Ah... non. Pas vraiment.
- Oui non mais la majorité l'est, vous n'avez plus à aller aux archives?
- Non, la majorité ne l'est pas, ce que l'on peut consulter par internet et bases de données reste rare.
- Ah bon? Mais je croyais que...
- En même temps, ce n'est pas bien grave."

Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai eu ce genre d'échanges. Pourquoi la foule est-elle persuadée que l'historien travaille maintenant exclusivement derrière son écran, le chat sur les genoux, je n'en sais rien. À part que peu savent ce que veut vraiment dire "travailler sur des archives". Remarquez, moi, ici je ne parle pas de ceux qui passent leurs étés à quatre pattes dans des fouilles sous le soleil brûlant de Grèce ou de France (si, si), je vous entretiens dans l'illusion que les sources ne sont que des archives écrites sur papier ou parchemin...

Je vous passe l'anecdote très rigolote du vieux monsieur amateur (et charmant, je ne vous parlerai pas du vieux odieux comme on en croise quelques fois) qui, apprenant que vous allez vous rendre aux Archives nationales, pour telle recherche, se précipite:

"Ah, vous commencez une recherche! C'est très bien que des jeunes s'y mettent! Vous allez voir, ce n'est pas facile au début. Vous avez fait de la paléographie ? Et puis vous verrez, il faut apprendre à se repérer dans les cotes. Vous savez comment ça fonctionne au moins?"

La personne à côté de lui, qui connaît un peu plus ce que vous faites, a beau agiter les bras comme un sémaphore, tenter de reprendre la parole pour expliquer que vous êtes... comment dire, juste un peu habituée, même un peu professionnelle sur les bords... en pure perte. Ne reste plus qu'à prendre un sourire idiot (mais pas trop) et attendre qu'il ait fini son discours.

Donc toutes les archives ne sont pas numérisées et même avec la fortune de Bill Gates (vu qu'on ne fait pas payer à Windows les dégâts provoqués dans le golfe du Mexique par un système d'exploitation ultra-défectueux**) ça n'est pas pour demain.

En revanche, de nombreux outils sont apparus depuis dix ans, notamment sur le site de la BnF. Celui-ci renferme plusieurs trésors, mais il en est un en particulier, qui est à mettre en valeur: le catalogue des archives et manuscrits de la BnF (cliquez). Je ne suis pas très âgée, néanmoins je me souviens d'un temps (il y a dix ans de cela et même moins) où pour consulter les catalogues des manuscrits de la BnF, il fallait ou en trouver quelques exemplaires (souvent incomplets) dans une Bibliothèque universitaire, ou bien se déplacer sur les sites de la BnF à Paris. Et là commençaient des heures et des heures passées à compulser méthodiquement, patiemment, courageusement, des dizaines et dizaines de catalogues.

L'avantage, c'est que cela permettait de faire en peu de temps des mémoires de maîtrise et DEA qui suscitaient l'admiration: "Quoi! Vous avez réussi à dépouiller tous ces volumes! Mais la quantité de références que vous avez accumulée est prodigieuse!".

Car les fonds de manuscrits de Richelieu, de l'Arsenal ou de la Grande BnF (Tolbiac) sont effectivement immenses et méritent d'être davantage fréquentés. Souvent, quand on m'interroge sur mes sources, on est extrêmement étonné de m'entendre expliquer que j'ai trouvé des trésors en nombre incroyable à Richelieu, que ce site m'a fourni plus de sources que les Archives nationales. Longtemps il a fallu beaucoup de patience pour découvrir tout ce que recèlent ces fonds.

Mais la création du catalogue en ligne est un travail fabuleux, un travail de titan, parce que j'imagine les milliers d'heures et de journées qu'il a fallu passer à enregistrer correctement dans la base de données - le contenu des catalogues papier. Fabuleux, il l'est pour le chercheur. Imaginez que vous travailliez sur les prisonniers au 17e siècle, il suffit de taper le mot "prisonnier" dans le formulaire de recherches, avec les dates limites 1600-1700. La base mouline quelques secondes et tombent les références, dans tous les fonds de manuscrits de la BnF, ce qui donne à peu près cela: (cliquez sur les images pour agrandir)

Ça coince encore de temps en temps, d'accord. Mais dans l'ensemble, l'outil est fabuleux. Sans céder à un optimisme béat, il faut avouer que notre époque connaît quelques progrès très appréciables...


** Comme cela a été dit dans la presse depuis quelques jours, les alarmes avaient été désactivées sur la plate-forme, parce qu'elles avaient tendance à se déclencher à tort et à travers, dès qu'un ordinateur plantait. Et ces ordinateurs tombaient en rade en présentant l'écran bleu qui doit vous être familier si vous utilisez Windows... Voir ici sur le site du New York Times et encore là.
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03/08/2010

Toilette estivale... et sondage

Blogger ayant décidé arbitrairement de ne plus afficher le nuage de tags fait de mes petites mimines - ce qui était un exploit étant donnée ma maîtrise de l'html - j'en ai profité pour faire une nouvelle toilette à ce blog. À vous de me dire si c'était mieux avant ou maintenant... (sondage à gauche).
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