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Une envie de livres ?

25/02/2013

Bienvenue en ZEP!

Bienvenue en ZEP!

En entendant ces mots, je suis restée une seconde sous le coup de la surprise. Ce n'est pas tant le contenu de la formule qui me laisse pantoise que les circonstances.

Cela fait plusieurs mois que j'y suis maintenant, en "ZEP". Je suis dans le bureau de la CPE, la conseillère principale d'éducation. Un bureau que j'aimerais fréquenter un peu moins. Non que la maîtresse des lieux soit désagréable. Elle parle beaucoup, elle bondit, exige, crie à l'occasion. Toujours en mouvement. Le calme, ce n'est pas son truc. Reste à savoir si c'est par nature ou par nécessité. Une déformation liée au métier ou une personnalité exubérante. Parler, parler, parler, avec les élèves - dénouer les conflits, obtenir des excuses, exercice terriblement formel, faire réfléchir, enfin essayer. Appeler les parents, 
"Oui, je sais, votre fils dort, il est 10h du matin, oui mais non, vous me l'amenez tout de suite! 
- ...
- Si, Madame! Tout de suite! 
- ...
- Non, pas à 13h30! Il avait cours à 8h! Et nous le garderons ce soir jusqu'à 17h30, en pénalité pour son retard de ce matin!" 
Imaginez au bout de vagues protestations d'un père ou d'une mère qui ne sait plus ou n'a jamais su qu'il avait autorité sur son rejeton. 
"Vous me l'amenez ou bien je vais le chercher!"
En général, les parents cèdent. Ils ne sont pas habitués à ce ton - sauf peut-être de la part de Mme N.

Ne jamais être surpris de rien en ZEP. Même pas des quelques parents qui n'imaginent pas qu'ils peuvent --- non, qu'ils doivent --- éduquer leurs enfants. Leur préparer des repas chauds et à heure fixe. Un foyer. Des règles de vie. Un coin à soi pour travailler au calme et ne pas leur offrir seulement comme espace de travail le tapis du salon où braille en permanence la télé. Un peu de confiance mais pas trop non plus. Préserver leur enfance. Est-ce le manque de modèle parentaux que ces adultes reproduisent? Dans mon quartier, enfin, celui de mon bahut, être mère c'est avoir un statut. On échappe à la mauvaise réputation, parce qu'une maman, c'est respectable. Alors on est mère très tôt. D'un enfant, de deux, de trois...

À hauteur de professeur, la première misère des quartiers populaires n'est pas économique. Les enfants que l'on voit ne manquent pas nécessairement d'argent. Les parents ne sont pas riches, mais il n'est pas rare d'entendre qu'ils se saignent aux quatre veines pour que leurs enfants aient des week-ends, de petits cadeaux, un téléphone dernier cri... pas comme eux, à leur âge, qui n'ont rien eu de tout cela. Il y a la mère d'origine arabe qui travaille pour que sa fille ait tous ces petits plaisirs qu'elle n'a pas eu. Qui panique de la moindre histoire où sa fille serait impliquée et en même temps la piste dans le bus. Comment lui faire comprendre que cet argent n'est pas nécessaire, qu'elle ne corrigera pas sa propre enfance en pourrissant sa fille de gadgets? Que cette petite fille a bien plus besoin d'un peu de temps pour qu'on suive son travail et en même temps un petit peu de confiance pour la responsabiliser?

Dans l'échelle du pire, il y a l'enfant qui n'aurait pas dû être là. Celui-ci, bien des années après, n'a pas de chambre à lui - il était si fragile, on craignait que... Le père, au chômage depuis vingt ans, désespéré et dépressif, qui se torture à ressasser ses malheurs et qui, en les ressassant, entraîne sans le vouloir ses enfants dans la spirale de l'échec. Il parle comme on se confesse, le regard baissé et toute sa souffrance au bord des lèvres. La "maladie" de la mère, ce petit qui n'était pas attendu, qui 11 ans après n'a toujours pas de place au foyer, mais ce n'est pas qu'on ne l'aime pas, vous comprenez, c'est qu'on ne peut pas faire plus, l'appartement est si petit et l'aîné n'est pas gentil avec lui, vous comprenez...  Mais bientôt le grand va partir, bientôt cela ira mieux. Hélas, parfois, bientôt c'est trop tard, aussi. Pauvre môme qui n'a même pas un coin à lui, un étranger dans sa famille, que l'on rudoie parce qu'il laisse ses affaires traîner partout. Le comble.

Il y a ceux qui, voyant de loin leur fils ouvrir ses cahiers pendant une demie-heure, se convainquent que les devoirs sont faits. Ou qu'ils sont faits dans la chambre, leur fils y reste d'ailleurs consciencieusement le soir. Ils oublient juste que dans la chambre, il y a une télé, offerte pour le récompenser de ses efforts à l'école. Enfin, pour l'encourager à travailler, parce que ce n'est pas un foudre de guerre. Il y a cette mère qui élève ses fils comme si elle était seule, capable de me dire calmement "à la maison, j'ai trois enfants, mon mari et mes deux fils. Aucun ne sait résister aux tentations". À bout de force, après des mois d'alerte et de négociation avec son mari, elle réussit à le convaincre qu'il faut envoyer le fils en pensionnat, parce qu'à la maison, ce n'est plus possible.

Et puis il y a les parents courage. Des mères isolées qui s'épuisent au travail, peu ou pas qualifiées, mal rémunérées, jusqu'à pas d'heure. ll y a celle qui tient aussi strictement que possible des fils remuants. Un coup de fil ou un entretien transforme son numéro 3, joyeux drille, en clown triste. Le clown se tient un mois puis glisse à nouveau en douceur sur la mauvaise pente. Avec cette mère, la première conversation avait commencé comme une attaque en règle contre moi, la prof, qui ne comprenait pas ce que c'était que d'avoir des enfants, la preuve, je donnais des rendez-vous le samedi. Comment lui dire?... Menue à en être maigre, elle élève trois fils, ses fils pour de vrai cette fois, en serrant la vis par crainte des bêtises --- elle sait par expérience que les bougres ont de la ressource en la matière --- et en s'épuisant à son travail d'aide soignante. Il faut compatir, prêcher et espérer que le prêche sera utile.

Et si ce n'est pas devant un père ou une mère, dépassés et pas toujours francophones, alors on prêche devant le grand frère ou la grande soeur - celle-là, la seule de la famille à "s'en être tiré" qui aimerait bien aller faire son BTS à 60 bornes de là. Mais le père n'aime pas l'idée que sa fille aille étudier seule à 18 ans. C'est la même qui évoque avec la CPE ce que sont devenus les anciens du collège, de quoi faire l'inventaire de tous les dealers de la ville... D'accord, cette grande soeur, ce grand frère ne sont pas les responsables légaux mais puisque l'on n'a pas le choix...   

Cette autre mère encore, très jeune, on devine une adolescence compliquée qu'elle n'arrive pas à quitter, un compagnon en prison et déchu de ses droits. Une petite fille, sa petite fille, qui part en vrille, teste les adultes, cherche le conflit. 

Il y a la mère pleine de gentillesse mais qui ne sait pas trop y faire avec l'ordinateur, alors c'est Facebook et les querelles de filles dans le quartier, et jusque dans le collège. Les défis et les bêtises à 11 ans. Et comme maman ne sait rien, on s'en moque, on lui parle comme si elle, la mère, était la petite fille. Mais c'est la petite fille de 11 ans qui pleure encore la nuit en faisant des cauchemars, depuis que son papa est parti de la maison.

Souvent il faut faire ses devoirs seul à la maison, car quand la mère rentre, il est tard, c'est presque l'heure d'aller au lit. J'en vois qui diront encore qu'il est anormal qu'une mère travaille. S'ils ont une solution pour faire face à l'abandon par le père, je suis sûre que ces mères seront preneuses. Messieurs les pharisiens, laissez là vos pierres et passez donc votre chemin.

Faire ses devoirs seul, ou ne pas les faire. J'ai --- entre cent autres --- un marmot comme cela dans une de mes classes. Il fait ses devoirs seul. Une discussion avec la mère m'a fait comprendre qu'elle a une très mauvaise image de l'école. "Il ne faut pas qu'il y passe trop de temps", m'a-t-elle répondu quand j'insistais pour que Jérémie soit inscrit à l'aide aux devoirs, histoire de ne pas le laisser seul à la maison. Pauvre petiot qui empeste le tabac, tout autant que ses cahiers, mais qui s'accroche, plus ou moins bien selon les jours.

Dans les quartiers pauvres, contrairement à ce qu'agitent le Front national ou l'UMP, ceux qu'on voit le plus, ce sont les parents qui s'épuisent au travail, légal ou pas légal. Leur obsession, garder leur travail, quitte à y laisser leur santé.

C'est un maçon qui prend des chantiers dans toute la région, part à 6h et rentre à 19h, un maçon qui n'a plus de tendons aux mains à force d'accidents. Qui a franchi les frontières, il y a quelques années, en clandestin sans doute, qui a sans doute aussi tout connu de la guerre de l'ex-Yougoslavie et de la misère. Il parle tout juste français. Il est sans doute illettré, ce qui a permis à son fils de le rouler dans la farine et dans les grandes largeurs... quoi de mieux que de profiter de l'ignorance de son père pour lui faire écrire des mots qu'il ne comprenait pas?

La mère, on ne la voit pas. Il paraît que les instituteurs l'ont vue, il y a quelques années. Depuis, elle s'est radicalisée et ne sort plus de chez elle seule ni sans se couvrir de longs voiles noirs, les mains gantées. C'est à peine si on apperçoit les yeux. Un jour, exceptionnel, le principal a réussi à la faire venir jusque dans son bureau, lors d'une énième bêtise du fils.

À la maison, le père n'a pas l'habitude de prendre de gants, lui, une semaine d'exclusion à la maison, et le fils n'a durant ces sept jours qu'un repas par jour, mais la dose de coups de ceinture. Ce père oublie trop souvent que son enfant est encore trop jeune pour faire seul la différence entre justice et loi du plus fort, trop jeune pour entendre un certain vocabulaire. Ce fils qui reproduit probablement ce qu'il voit de son père. Qui sait que les menaces de son père --- le renvoyer "là-bas" --- resteront en l'air. Cela donne une petite crapule musclée qui joue les gros bras pour le premier qui a insulté le Coran ou un copain. Et qui mate à la récréation, avec ses copains, les derniers pornos sur son téléphone. À 11 ans, c'est un peu tôt, pourtant.

Le plus consternant, ce sont les parents qui sur réagissent quand des enseignants les appellent, parce qu'entendre parler de leur enfant est une honte. Mais sauf si nous allons au devant d'eux, le carnet n'est pas signé, les devoirs ne sont pas vérifiés. Un enfant ne doit pas faire parler de lui. Ils s'en occupent donc peu, sauf quand l'honneur de la famille est atteint. Et même pas pour une histoire d'allumettes. L'honneur atteint, ça commence avec un coup de fil du collège. Hélas, ces enfants-là sont les mêmes qui feraient n'importe quoi pour attirer l'attention de leurs parents. Et ils le font. C'est alors un combat muet qui s'engage, à qui détestera l'autre le plus fort. Les regards, les échanges non verbaux crient la violence : "Tu me fais honte!" hurlent les uns. "Tu ne me regardes pas!" répondent les autres.

Pour d'autres, le collège est une sorte de garderie, la garderie de l'honneur de leur fille, celui aux allumettes, cette fois. Peu importe les résultats, son attitude en classe, il faut surtout qu'elle ne traîne pas dans le quartier et rentre à l'heure. Au bout, un mariage, une vie au foyer, peut-être en France, peut-être ailleurs. L'origine des parents joue bien peu, en dehors de la maîtrise de la langue pour les enfants. J'en ai connu des parents comme ça qui étaient on ne peut plus "Français". Bien des histoires évoquées ici pourraient être des morceaux de la mienne, à  quelques détails près, quelques détails clé.

Suspicion de violences, mais comment faire? Des signalements au procureur? Il y en a tant. Et puis, sans preuve... Et tellement d'affaires classées sans suite. À quoi bon? Juste des paroles, des allusions. L'arme? Des claques, des coups de ceinture.  Voire de marteau.

Parents frappés, épuisés, enfants blessés et pour longtemps.

Alors pour un rien, et on se fait appeler "Maman" par ces mômes --- et je ne parle pas des petits 6e --- sans que l'on sache vraiment si c'est un acte sincère ou une petite manipulation de la part de gosses déjà rompus aux astuces de tout genre, pour obtenir ce qu'ils veulent. Même si la seule seule chose nécessaire, un cadre stable et affectueux, ne leur sera jamais donné. Ce qu'ils ont vécu n'excuse certainement pas tout. Mais comment leur en vouloir? Il y a un grincheux qui me dit que je suis victime du syndrome de Stockholm. Peut-être bien. Pauvres mômes quand même.

Ce qui est sûr, c'est que la misère n'a pas le visage qu'on lui imagine tant qu'on ne l'a pas croisée. Et cette misère-là n'est pas économique.

Pour tous ceux-là, le quartier, c'est leur famille. La rue est plus chaleureuse que l'appartement familial. Le collège, leur repaire, où ils pensent trouver de quoi compenser dans leur tête et dans leur coeur le manque de repères.

L'école, lieu de perdition. Ou lieu de survie. Pas comme à la maison où on fait ses punitions pour agitation en classe ou bavardage, par terre, devant la télé des parents. Ou alors on supplie les adultes du collège de les laisser rester là, plutôt que de rentrer à la maison. Et surtout on joue les caïds, pour cacher ses blessures ou parce qu'être un loup pour les autres est le penchant naturel de l'homme.

Tout cela en entraînant dans sa chute le petit frère ou la petite soeur, qui ne va pas nous faire la honte de devenir un intello. 

Car, eux, ils sont durs, ils sont malins, pas des boloss. Ils ne sont pas comme ces petits mignons qui transpirent l'amour et la gentillesse, l'envie de réussir à l'école, de faire plaisir aux parents et aux professeurs. 

Spirale infernale. 


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24/02/2013

Le dernier exploit de la FCPE face aux vilains méchants profs

Le gouvernement veut expérimenter la possibilité de laisser aux parents le choix de la décision d’orientation en fin de 3ème. 
« L’objectif est de promouvoir une orientation choisie et non subie en fin de 3ème et de mieux reconnaître la place des parents dans les processus d’orientation »
Le choix de la voie d’orientation 
« donnera lieu à un dialogue renforcé avec l’équipe pédagogique afin d’accompagner au mieux l’élève et sa famille dans son choix… Ce dialogue se poursuivra jusqu’à l’entretien avec le chef d’établissement lorsque la proposition du conseil de classe diffère du choix de la famille. Mais le choix final reviendra à la famille »
 Cette possibilité sera expérimentée dès la rentrée 2013 « dans différents territoires ».

L'article complet ici sur le site du café pédagogique.

Une collègue a des élèves de ce profil-là, envoyés en seconde et première pro, qui se plaignent haut et fort d'être là contraints et forcés, alors qu'ils voulaient aller en "général". On les a donc méchamment obligés à venir dans une section pleine d'avenir sur le plan professionnel et bien payée qui plus est.
Bien sûr, ils ont traversé le collègue à 10 ou moins de moyenne (notes de vies scolaire incluse) mais si on les avait laissés aller en 2nde générale "ils auraient travaillé". Peu importe qu'ils ne l'aient pas fait pendant 4 ans de collèges, qu'ils aient une écriture d’illettrés, fassent en moyenne 3 fautes par mot, n'aient aucune idée de la syntaxe et assimilent Hitler à "un gars de l'ancien temps qui n'aimait que les blonds et tuait les autres".

Dieu merci, cette profonde injustice qui fout en l'air leur scolarité et leur avenir va enfin être réparée.

Un dernier extrait:
Aujourd'hui, "en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d'établissement. Le chef d'établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d'orientation de l'élève de la condition que celui-ci s'engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d'établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d'appel. La décision de celle-ci est définitive". Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l'on en croit les chiffres officiels du ministère. Cela concerne surtout des garçons. L'écart entre les demandes des familles et les décisions tend à se réduire au vu de ces chiffres. Mais d'autres études ont montré un profond ressentiment d'élèves des filières professionnelles pour leur orientation en fin de 3ème. On sait d'ailleurs que c'est là que se créent la majorité des situations de décrochage. Le gouvernement se rallie donc à une demande de la FCPE de laisser le dernier mot aux familles.
Bien sûr! Ce sont les vilaines équipes pédagogiques qui font exprès de ne pas écouter les pauvres nélèves et c'est pour ça, parce qu'ils sont malheureux de ne pas avoir été écouté que ces pauvres nélèves décrochent! Bon sang mais bien sûr!

Le coup du pianiste qui risque de mourir du cancer du poumon, quoi...

Et si les pianistes avaient de plus forts risques de mourir du cancer poumon parce qu'ils jouent pour la plupart dans des piano-bars... Nan, pas envisagé.
Et si les élèves décrochaient parce que, quelque soit la filière, ils n'ont jamais acquis le niveau suffisant et les habitudes de travail... Nan, pas envisagé.

On n'est pas sortis de l'auberge...
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18/02/2013

Nettoyage par le vide.

Un mois après la rentrée, soit plus de cinq semaines après avoir soigneusement tout transbahuté d'un bout à l'autre de la France ou pas loin, j'ai fait du tri dans mes cartons. J'ai consciencieusement mis à la poubelle tous les papiers de l'IUFM que j'avais gardé de mon année de stage. Je ne les avais pas conservés par nostalgie mais bien plus par peur de balancer des choses utiles quand je reviendrai dans le secondaire.

Un mois après la rentrée, donc, j'ai tout jeté. Des pages et des pages noircies à la main ou à la photocopieuse et qui ne me servaient à rien face à mes classes. J'ai tout au plus gardé quelques compilations d'âneries notées lors d'une matinée d'ennui dans la salle de la ZEP qui nous servait de zoo, pardon, de lieu d'observation des fauves en action.

J'appréhendais beaucoup cette rentrée. Je craignais des tas de choses, qui bien sûr ne se sont pas réalisées, d'où ce grand ménage.

"Tu sais, toi, tu es une intellectuelle, tu n'es pas faite pour le collège!" c'est ce que l'on m'avait balancé pendant mon année de stage. Intellectuelle, donc pas faite pour le collège. Mes collègues actuels ont bien apprécié.

Mais on est un con. On en tout cas était ma conseillère pédagogique. De cette engeance-là qui vous donne des conseils en pédagogie en manquant cruellement du tact le plus élémentaire. Des conseils en pédagogie du genre "Tu sais (main sur le coeur, profonde inspiration, attention, c'est l'heure des confidences), tu sais, l'idéal, c'est que tu leur apprennes le moins de choses possible". Entendez, que le professeur apprenne le moins de chose possible aux élèves. Ils doivent construire eux-mêmes leur savoir. De la part d'une ancienne élève d'une célèbre historienne qui cause régulièrement sur France Cul, c'est fort. Oui mais voilà, les voies du pédagogisme sont impénétrables.
La même encore qui, voyant que j'avais perdu pied face aux élèves, trois semaines après la rentrée, a pris soin de me dire "Oh maintenant, il n'y a plus rien à faire". Ce qui ne m'a laissé d'autre solution que de sortir seule du merdier que j'avais laissé s'installer. J'en ai gardé l'expérience de l'échec face à une classe, de la peur au ventre avant d'aller en cours et des larmes que l'on ravale face aux élèves que l'on voudrait fuir à tout prix. Je sais comment ça se passe et que cela puisse revenir continue à me faire un peu peur.

Je craignais avant tout de ne pas supporter l'indifférence voire le mépris des collègues --- boarf, une thésarde, une étudiante attardée, quoi --- et les adolescents. Pour la crainte de l'indifférence ou du mépris, voir plus haut. Pour le reste, là encore, pesait un reste délicieux de mon année de stage. Passer de la prépa agrég à des 5e, ça a été rude. Les enfants dans mon entourage étaient très jeunes, pas encore adolescents. La fameuse crise d'adolescence censée frapper tout le monde, je n'ai pas souvenir l'avoir connu. Je me suis renfermée un peu plus sur moi, j'ai réglé mes problèmes et mes fringales d'adolescente à grand renfort de chocolat et de mouchoirs. Chez moi, les enfants obéissaient, malheur à celui qui n'aurait pas filé droit et fait parler de lui au collège. Le problème, contrairement à ce qu'avait dit un maître ès formatage lors de cette chère année de stage, ce n'était pas d'être, nous les enseignants, tous d'anciens bons élèves. Rares sont ceux qui ont été bons dans toutes les matières. Mon problème, c'était mon passé de petite fille trop sage. De bosseuse aussi, celle qui s'en est sorti alors que rien n'était gagné, même pas le droit de faire des études loin de la maison parentale quand on est une fille et que l'on a 18 ans.

Solitude. Au secours.

Le mépris et la peur. La crainte du mépris et la peur que ça ne recommence, puisqu'ils, les élèves, étaient annoncés comme épuisants.

Mais une année de ZEP, ce n'est jamais tout à fait ce que l'on croyait. La seule chose qui était sûre, c'est que j'avais des cartons inutiles à balancer.

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07/02/2013

Les bonnes résolutions... (bonne année 2013, au fait!)

Durant les dernières vacances, j'avais écrit une série de billets, du prêt à publier au niveau du prêt à manger qui me nourrit depuis des mois. Même pas eu le temps. Improbable, n'est-ce pas, pourtant...

Une journée ordinaire...

***

Lever 6h15. Premier cours 8h. Ranger les élèves, qui devraient l'être depuis plusieurs minutes, mais rebelles, ils refusent. Monter, premiers cris, obtenir un rang à peu près calme dans le couloir, les minutes passent.

Entrer, allumer l'ordinateur, lancer les logiciels pour afficher les cours - ne pas leur tourner le dos, le moins possible - et pour faire l'appel, sans tarder.

La "vie scolaire" attend les premiers signalements d'absence pour appeler les parents, tirer les élèves du lit, en dépit des parents.

Répéter pour la millième fois depuis septembre "Sortez-vos affaires!" "Vous êtes dans une classe, on se calme et on se tait!" Ils attendent debout, d'autres déjà assis attendent aussi, se retournent et bavardent en m'ignorant complètement.

Les consignes les plus élémentaires ne sont pas enregistrées, il faut répéter. "Qu'est-ce que je viens de dire? "Ahmed! Ooooh! Ahmed! Oui! On se tait!" "Océane! Quelles sont les règles?! On sort le cahier, le livre, la trousse!"

Lutter, à chaque minute, les mettre au travail le plus vite possible. Le dossier rouge, celui des interrogations quotidiennes, il est 8h10, vite, cinq minutes pour vérifier que la leçon n'a pas été apprise.


Quelle était la leçon d'hier avec cette classe? Je regarderais bien sur le cahier de texte électronique, mais le temps de lancer Windows, ouvrir la session, ouvrir Firefox, ouvrir ma session internet, les minutes passent. Je regarde sur un cahier. Afficher la question au tableau en surveillant les éventuels fraudeurs. Laisser cinq minutes...

Pendant ce temps ouvrir le diaporama pour le cours, Internet fonctionne, ça y est je peux faire l'appel. Cinq mois après la rentrée, les élèves n'ont pas intégré une consigne simple, répondre "présent" car du fond de la salle, les voix ne portent guère, surtout sur fond de brouhaha.

Ramasser les interrogations. Faire revenir cahiers et manuels sur les tables. Un oeil sur le cahier de texte électronique. Ouvrir les manuels.

Dire la page, répéter la page, l'afficher au tableau, répéter encore, une fois, deux fois, trois fois. Réclamer que les derniers livres pas ouverts ou pas sortis le soient. Répéter encore la page.

"Antony!"
"Sarah!"

"ON SE TAIT!"

Là, le scénario varie. Selon l'heure, les incidents qui ont eu lieu pendant la récréation, l'interclasse si la journée est avancée, la séance peut être infernale ou studieuse (c'est rare). Lutter toujours, les faire lire, décrire des documents, le graal est atteint quand en lisant un texte comme celui-ci

Durant les 50 dernières années, Addis Abeba, la capitale éthiopienne, a vu sa population passer de 100.000 à 3,5 millions d’habitants. Seulement 5% des déchets qui y sont collectés sont recyclés. Le reste est souvent entraîné vers les rivières et pollue ainsi l’eau. Ce qui provoque bien souvent des intoxications alimentaires, car 60% de l’agriculture urbaine utilise ces eaux usées.

...ils réussissent à répondre à la question "Quelle a été l'évolution de la population d'Addis Abeba depuis les 50 dernières années?" et "quelles sont les conséquences?" 

Tous parlent sans lever la main, sauf les deux ou trois gentils qui ont intégré la consigne et attendent en silence, main levée.

Les autres parlent tous comme s'ils étaient seuls, indifférents aux consignes.

Une gentille, autorisée à répondre...

Mais c'est soudain l'explosion de colère de Jason qui vient de se faire insulter, crie en se levant, Arkan lui répond que Jason a commencé "il m'a dit "Ta soeur, c'est une pute!", et crie à son tour encore plus fort, crier pour les séparer, rétablir le calme très relatif.

Mais les piailleries et les bavardages remontent.
"Attila, retourne-toi!"
- Mais Madame! Il m'a appelé!"
- Et alors?!"

Je le foudroie du regard, Attila tourne la tête comme une girouette, il ne sait plus, il ne sait pas ce qu'il doit faire, il ne sait plus ce qu'il faisait et pourquoi il se fait engueuler. Continuer à parler, rater une blague, se faire engueuler, qu'est-ce qu'on était en train de faire? Il décide de faire semblant, pour éviter les ennuis

"Madame, quelle page?" "Madame, moi! Moi!... Mais c'était quoi la question?"

Attila, perdu, cherche la page. Agacée, je lui redonne la page en même temps que quatre voisins et me détourne "Zoé, reprenez votre réponse!".

Avancer péniblement. Corriger la formulation,
"Non, Zoé, pourquoi dire 'la déforestation, elle a évolué' ? On dit 'La déforestation a évolué'.
"La déforestation a évolué de 100 000 à 3,5 millions"
"Bon, Zoé, 'La déforestation a évolué' ce n'est pas très heureux, pas très clair, quel mot pourrait-on utiliser?"
Pour l'aider au tableau, je dessine des flèches qui montent et qui descendent. Le cours se poursuit.

L'exercice se termine, pas le temps de mettre la correction par écrit. Tant pis. Passer à la rédaction du cours à apprendre, qu'ils leur reste quelque chose de la séance. La "trace écrite" absconse et si pédagogiquement correcte, très IUFMesque. J'ai des parents non-francophones pour beaucoup, "trace écrite", je me marre. "Leçon", apprendre la leçon, je sais qu'ils comprennent tous, élèves comme parents. Pendant qu'ils copient, écrire les leçons à faire pour la prochaine fois.

Ça sonne. Obliger Bilal à copier les devoirs "mais il y a Pronote!" "Non, Pronote n'est pas là pour remplacer votre agenda, vous prenez les devoirs à faire", il bâcle.

Vite fait, je note le contenu de la séance et les devoirs à faire dans le cahier de texte, je range le bureau, et je sors vite calmer la nouvelle classe qui crie dehors. Les ranger, répéter les consignes "On se calme!"... c'est reparti.

Une heure, deux heures, récréation pas le temps de descendre prendre une pause, un élève à chapitrer, remplir le cahier de texte électronique, prendre connaissance d'un mail urgent d'un collègue, de la direction, de la vie scolaire, vérifier les photocopies pour la classe suivante, vérifier l'état de la salle, prendre un papier à descendre pour un collègue, ça resonne, nouvelle classe, les ranger, calmer les cris en montant...

***

Il est 19 heures.  Je me suis effondrée sur le canapé, le regard vide devant la télévision.

Six heures de cours, aujourd'hui, je suis vidée. Une pause d'un peu plus d'une heure à midi. Quand il n'y a pas une réunion à 12h30, un parent à voir, l'agent de prévention violence pour faire le point (et alors c'est un repas au lance pierre en 10 minutes), c'est un miracle.

Une heure pendant laquelle nous vidons notre sac, notre fatigue, les nouvelles sur l'état des classes le matin, les heures difficiles à anticiper. Parler, se parler, évacuer notre colère, notre fatigue, notre impuissance contre la violence, la misère et la bêtise.

Ça sonne. C'est reparti.

Il est 19 heures. Je n'en peux plus. Mon cartable reste dans l'entrée. Depuis une semaine, un petit livre me suit dans mon sac, je n'ai pas dépassé la première page. Je n'attends qu'une chose, une heure décente pour me coucher. Sinon, tous les soirs, je poserais mon cartable et m'effondrerais sur mon lit en rentrant.

Mais il faut manger, un peu. Même plus l'énergie pour cuisiner, j'ouvre le frigo, prends ce qui est prêt. Cuire des pâtes, pppfff, trop compliqué.

21h30, se coucher, sinon demain je serai crevée, traînant mes valises. Moins réactive, je me laisserai déborder. Se coucher, oublier. En attendant demain.


6h15. Nouvelle journée. Sisyphe, pour quel crime as-tu été condamné?


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