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Une envie de livres ?

27/09/2008

C'est la rentrée ! Et voici mon meilleur ami...


Déjà une semaine de passée depuis la rentrée (oui, je sais, c'est tard, c'est comme cela à l'université) et déjà mon emploi du temps est parfaitement rôdé ! Je prépare mes cours / Je donne mes cours / Je finis ma semaine en travail personnel de recherche / Je prépare mes cours / Je donne... Bref.

Et je fais partie de ces foules que déverse le RER, qui traversent, que dis-je, galopent à travers les couloirs du métro, montent les escalators ou les escaliers (cela dépend s'il y a un lourd ordinateur ou pas sur mes frêles épaules), vite, vite, rejoignent le lieu de travail, toujours les mêmes rues, les mêmes bars à côté desquels on passe sans prendre le temps de s'y arrêter...

Alors, voici mon meilleur ami de la rentrée : le Guronsan. Un vieil ami (rencontrée en 3e ah non, 2e année de fac), mais je me tâte et je crois que je vais renouer avec lui cette année, rédaction de thèse oblige. Un an pour cette %*!£?@ de rédaction, alors, il va falloir y passer.

Sinon il y a le chocolat. C'est pas mal, le chocolat, noir évidemment. Ça motive aussi pendant quelques heures.

Allez, courage, c'est la rentrée !
(si ça, ce n'est pas un billet totalement dépourvu d'intérêt... Promis, je reviens avec du vrai billet d'historienne, il faut me pardonner, c'est... la rentrée !)
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19/09/2008

Histoire de vieux papiers

Je me suis rendue compte que pour un blog dont l'adresse et le nom évoquent les archives, je ne vous ai toujours pas parlé de vieux papiers.

Il y a des quantités d'aventures qui arrivent aux chercheurs en salle d'archives. Alors commençons par le commencement, présentations et exemple de mésaventures.

Pour écrire l'histoire, on se base sur les documents de toute nature, en fonction de son sujet de recherche.

1/ Le plus souvent, on part d'un problème, une question que l'on se pose : "Comment expliquer les réactions ou l'absence de réaction des Français sous Vichy" ou bien "Pourquoi Henri IV a t-il laissé l'image de bon roi à la poule au pot?". On pourrait donner des milliers d'autres exemples de questionnement ou problématique.

2/ On commence par s'assurer que le problème n'a pas encore été traité par d'autres historiens, ou comment ils l'ont traité, est-ce que leur travail répond à toutes les questions que l'on se pose. C'est l'étape de l'étude historiographique : on étudie ce qui a été traité sur le sujet.

Si ce n'est pas le cas, on peut lancer des recherches. Dans les faits, généralement, on est spécialiste d'une période historique (histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne -XVIe-XVIIIe siècles-, histoire contemporaine - du XIXe s. à aujourd'hui) plutôt précise (un siècle, un demi-siècle) voire d'un thème (histoire politique, sociale, culturelle, économique etc), et l'on sait en gros si le sujet a été traité ou pas. Ce qui ne veut pas dire que l'on s'abstient de l'étape 2. On sait plus rapidement quelle problématique serait intéressante.

3/ L'inventaire et l'étude des sources. Tout objet, tout document est source pour l'historien.
Pour ma part ( je préfère vous parler de ce que je connais le mieux) je fréquente les centres d'archives de Paris et de province, à l'étranger à l'occasion, à condition de maîtriser la langue...
À Paris, les centres d'archives sont des bâtiments souvent anciens, au moins en partie, et assez beaux, voire magnifiques pour certains. La Bibliothèque Nationale site Richelieu (la BNF est maintenant sur plusieurs lieux, Tolbiac dans le 13e arrondissement, Arsenal près de la place de la Bastille, Richelieu près de la Bourse, enfin l'ancienne Bourse, etc) est un exemple de bâtiment ancien et réellement magnifique et un de mes préférés.














Il faut généralement justifier au moment de l'inscription d'une activité de recherche à titre privé ou professionnel pour y avoir accès.

On s'installe dans des salles plus ou moins vastes, en commandant des documents, une fois que l'on s'est repéré dans le labyrinthe des références en collections, fonds, séries, sous séries, volumes ou cartons...
Et l'on peut, après un temps d'attente variable, consulter de précieux cartons.

Je parlais d'anecdotes, un peu plus haut, car il arrive quelquefois de drôles d'aventures. Moi, cela ne m'est jamais arrivé, en tout cas je ne m'en souviens pas. Mais celle-là est arrivée à une connaissance, archiviste médiéviste. Elle devait faire l'analyse d'un carton encore jamais parcouru. Elle prend son temps, savourant son plaisir, tourne délicatement les pages épaisses de parchemin. À un moment, elle sent une sur-épaisseur. "Un sceau !" L'aubaine ! Elle ne veut pas se précipiter, et rallonge l'attente délicieuse. Le moment venu, petit pincement au coeur, elle tourne le dernier parchemin avant la surprise. Et quelle surprise ! Une souris, morte depuis des dizaines de lustres naturellement, bien aplatie, pas plus grosse qu'un sceau. Horreur ! Scandale ! Effroi ! Elle en fut ce jour-là pour son compte. Hélas, on n'a pas toujours de chance, aux archives !
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17/09/2008

Doit-on être historien pour tirer des leçons de la pratique de l'histoire ?


J'aimerais vous expliquer à présent quelques petites choses à propos de la pratique de l'histoire. Je ne ferai pas cependant le tour de tout dans ce billet, il y en aura d'autres.


Premier point, doit-on être historien pour tirer des leçons de la pratique de l'histoire ?

Je ne dis pas "tirer des leçons de l'histoire" car à mon sens on ne peut en tirer aucune, contrairement à ce que l'on entend souvent : "il y a eu tellement d'horreur, l'histoire ça sert à tirer des leçons de tout ça".
"Tout ça" désignant en tas informe le passé. On peut méditer tout au plus sur la constance de la nature humaine, prompte à massacrer son prochain en dénigrant les massacreurs d'hier.


La seule leçon que j'ai tirée de l'histoire jusqu'ici est le penchant des hommes a faire le mal, quelque soit la culture, la civilisation, les époques. Peut-être parce qu'il est plus facile de faire le mal que le bien.

Il n'y a pas de progrès humain, malheureusement. L'homme d'aujourd'hui, aussi épris de liberté et d'idéaux, n'est pas meilleur dans la pratique que le paysan du Moyen-Âge, son lointain aïeul. L'expérience des uns ne sert pas aux autres, ou bien rarement. Le seul progrès que l'on puisse retenir de façon valable est technique.

En allant plus loin, j'ai même trouvé deux constantes précises qui sont à l'origine de la célébrité de nombreux personnages historiques (en laissant à part les penseurs purs) : l'amour du pouvoir ou de la célébrité, et l'amour de l'argent.
Quand un type laisse son nom dans l'histoire sans avoir manifesté ni amour de l'argent, ni amour du pouvoir, c'est ce que l'on appeler un "saint", indépendamment de toute connotation religieuse. Un original, un Louis IX, un Gandhi, dont le parcours peut s'expliquer parfaitement culturellement, mais dont les motivations de l'action ne répondent pas aux critères habituels.
Il y a donc dans l'homme une capacité au bien, rare, difficile mais réelle.


Donc pas de leçons à tirer de l'histoire, à part la misère et la dignité de la condition humaine.

En revanche, on peut tirer bien des leçons de la pratique de l'histoire. Esprit critique, recul, prudence, contextualisation des informations ("Qui parle ? Pourquoi ?"), remise en cause de théories lorsqu'on les confronte à la réalité, humilité donc devant l'archive, devant les hommes des siècles passés.


Capacité aussi à écouter. Écouter les gens du passé nous raconter leur vie. Il y a quelque chose qui me fascine depuis longtemps : au fond, comment peut-on dire que le passé est moins intéressant qu'aujourd'hui ? C'est un écho à une réaction que j'ai souvent entendue alors que je faisais part de ma décision d'entamer des études d'histoire. En résumé les réactions étaient les suivantes : je fuyais le présent pour me réfugier dans le passé. Faire de l'histoire, est-ce fuir ? Je n'en suis pas si sûre, je suis même convaincue du contraire (joli tour de rhétorique, non ? Banal mais efficace, hum... Il faudra que je me fasse soigner de mon goût excessif des mots)

Les hommes d'hier avaient-ils des vies de valeur moindre que les nôtres ? Non, je ne vois pas pourquoi. On me répondra alors :"C'est que nous ne pouvons plus rien pour eux !". C'est possible. Si j'avais été secrétaire, médecin, mécanicienne, j'aurais rendu service aux gens de mon époque, comme tant d'autres. Oui mais voilà, être un arbre dans une forêt, ne m'a jamais convenu. Indépendamment de cela, les gens des siècles passés ne sont pas moins intéressants que ceux de maintenant. Leur seul défaut est maigre, c'est celui d'être morts, ce qui nous arrivera à tous. Alors tourner sa vie vers celle des vivants ou des morts, peu importe, l'un comme l'autre de ces deux choix sont tout aussi intéressants. Et l'on peut pour les gens des siècles passés, c'est de ne pas les oublier, ce qui est beaucoup.


Ce que j'ai par dessus tout retenu de la pratique de l'histoire, c'est l'effort de comprendre. Comprendre les raisons d'une réaction, d'un choix, d'une culture, d'une vie, d'une condamnation, tenter de tout comprendre, et non juger ce qui revient à fermer les barrières de l'intelligence. Être un avocat qui aurait l'humanité pour client. (tiens, mon goût des formules grandiloquentes que reprend !)

Alors quelque fois, on s'emballe, et il faut discuter, découvrir d'autres visions des choses, pour affiner sa perception des choses, comparer, tisser des liens entre des problèmes.

Ce qui fait l'essence même de l'histoire, et la valeur de l'exercice historique à mes yeux, c'est, qu'avant d'être l'exposé de vérités, elle est un dialogue complexe mais passionnant entre des visions qui, tout opposées soient-elles, redessinent dans leur complémentarité les contours complexes de la vérité historique.

L'histoire est une réécriture perpétuelle, un incessant retour en arrière, nourri de l'exhumation de sources nouvelles et du regard frais de nouveaux points de vue.

Elle apprend à écouter les gens, quel qu'ils soient.

Elle est aussi désespérante, car elle ne sera jamais écrite définitivement, et elle enlève les illusions sur la nature humaine, qui reste la même, quelque soit les siècles, même si les cultures, les modes de vie, les façons de penser, les valeurs changent.

Bref faire de l'histoire c'est un peu grimper en haut d'un phare pour prendre un peu de distance.

Mais pour pratiquer tout cela, il n'est pas nécessaire d'être historien. J'ai le sentiment d'avoir compris tout ce que je viens d'exposer dès ma deuxième année d'étude. Je n'aurais pas choisi de faire de la recherche et donc d'être historienne, cela n'aurait rien changé. J'aurais pu être professeur d'histoire-géographie vacataire avec une simple licence en poche et j'aurais néanmoins pensé tout cela.

Si faire l'histoire donne le goût de comprendre, on ne réussit toujours pas à comprendre. Ainsi je ne vois pas comment on peut avoir des opinions politiques, religieuses ou autres que l'on qualifiera d'"extrême", que ce soit être marxiste, extrémiste de droite ou intégriste et être arrivé au niveau de la licence d'histoire, en ayant profité des acquis de la recherche historique jusqu'à présent.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si tant d'historiens marxistes dans les années 1960 et 1970 ont renoncé au marxisme grâce aux archives, qui ne recelaient pas l'organisation de la société en laquelle ils croyaient. Eux avaient l'excuse de défricher les principes fondamentaux des sociétés des siècles passés. On sait maintenant que les sociétés du Moyen-Âge européen n'ont pas été le théâtre de lutte des classes, chose que l'on pouvait encore croire il y a cinquante ans.

Comment ne pas admettre que le marxisme est né dans le contexte de l'Europe du XIXe siècle, où les populations ouvrières étaient incomparablement plus malheureuses et pauvres que les populations ouvrières d'aujourd'hui ? (Même s'il y a toujours beaucoup de misère, la question n'est d'ailleurs pas là) Comment ne pas admettre que le marxisme qui s'est justifié pendant de longues décennies, ne se justifie plus autant aujourd'hui. De nouveaux contextes se sont développés, avec des nouveaux problèmes économiques, politiques.

À guetter les dangers d'hier, on risque de ne pas voir les dangers de demain, ou à défaut puisqu'il est toujours dangereux de jouer les devins, ceux d'aujourd'hui.


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Recyclé, recyclable, tout est affaire de mot


Je tiens à remercier notre ministre du développement durable et son obsession du recyclage (dont on ne se souviendra plus dans six mois sauf en passant à la caisse du supermarché éventuellement) de m'avoir donné l'occasion de ce billet, grâce à son idée de taxe pique-nique.

Moi, je suis bête. Si, si. D'ailleurs non seulement je me suis arraché les cheveux avec les mathématiques, mais aussi avec le français. Je vous ai dit que je suis une ancienne élève médiocre. Mais à présent, si je saisis l'utilité extrême des mathématiques, sans les comprendre davantage, j'apprécie la richesse d'une langue.

Ainsi on m'a appris que les mots qui sont dotés d'un suffixe en "-able" indiquent la possibilité (si vous êtes curieux, c'est par ici que ça se passe pour en savoir plus) tandis que les suffixes en "-isme" indiquent une attitude, une opinion, voire un excès. L'expansionnisme, le travaillisme, le christianisme, le capitalisme, bref c'était une leçon reçue à l'époque où j'étais à l'université pour mieux comprendre les sujets de dissertation, et les textes en général. Continuons.
L'usage d'un participe passé indique, lui, que l'action est accomplie.

Notre ministre du développement durable a dit : "Utilisez les assiettes en carton car elles sont recyclées".

Moi, je tire de mes règles de lexicologie précédemment rappelées et du bon sens le plus élémentaire la conclusion suivante : une assiette en carton est recyclable. Normal, c'est du carton.

Mais une fois utilisée, je doute qu'elle soit recyclable.

Il semblerait donc que notre ministre ait confondu les mots "recyclable" et "recyclé".


À votre avis, qu'est-ce qu'il faut à notre ministre ? Un cours de français ou un stage chez les éboueurs de Paris ou d'ailleurs ?


Peut-être les deux...
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Et si les économistes étaient les décideurs ?


Idée saugrenue du jour, qui m'est venue en écoutant ce matin l'invité de France Inter, Georges Soros, financier international, milliardaire.

Je ne pensais pas à Soros, mais à des praticiens de l'économie comme Soros. Pourtant ceux qui me connaissent savent le dégoût que provoquent chez moi les investisseurs à court terme, parasites et rapaces à la fois des entreprises.

Ou au moins à des hommes dont l'étude de l'économie est le métier. Un peu comme Raymond Barre. L'ennui c'est qu'en politique il faut savoir être un bon commercial : pas trop de connaissances mais du talent pour parler, afin de vendre un salon en cuir douze places à quelqu'un qui habite dans un studio de douze mètres carrés.

À propos de Sorros, ce qui m'amuse beaucoup (j'ai regardé un peu ce qui se dit de lui sur la toile) c'est qu'on le présente comme philanthrope. Comme Bill Gates.
Il y a de quoi mourir de rire.
Parce qu'en replaçant les choses dans leur contexte, on comprendrait pourquoi les millionnaires/milliardaires américains sont si souvent philanthropes. La lecture des publications d'Olivier Zunz peut permettre de comprendre le problème, pas si simple (notamment Le Siècle américain, utile pour comprendre les enjeux des élections présidentielles américaines au XXe siècle et en ce début de XXIe siècle), qui actuellement travaille précisément sur la question de la philanthropie des milliardaires américains. Pour résumer à l'extrême, il faut se replacer dans le contexte d'une culture américaine protestante où la richesse est à la fois le fruit de l'élection du croyant réformé, et évangile oblige, une barrière à l'entrée au royaume des cieux (cf. la formule du Christ « il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer au royaume des cieux » Mat. 24). Être philanthrope, ça permet aussi de payer un peu moins d'impôts. C'est toujours ça de gagné.


Remarquez, en parlant de chameau, de vrais économistes au milieux de politiques, c'est un peu comme des chameaux dans un zoo, ou pire, au milieu de buildings, ils seraient nécessairement malheureux.
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14/09/2008

Les règles du métier


Non, les historiens n'aiment pas la poussière ! J'entends déjà les commentaires des rieurs autour de moi ! Nous n'aimons pas la poussière, mais les livres souvent. Mais la vérité est-elle dans le livre ? Les choses sont en fait un tout petit peu plus compliquées que cela. L'historien aime les livres, donc les bibliothèques. Il lit beaucoup, écrit beaucoup aussi. Mais je vous entend déjà penser :"Bah ! Forcément ! L'histoire, c'est juste raconter ce qui c'est passé !" Et là je m'oppose, vigoureusement ! (Vous croyez que j'en fait trop, là ? Ah oui, peut-être... Reprenons : ) Faire de l'histoire, ce n'est pas seulement redire ce que l'on sait déjà. C'est un travail perpétuel qui consiste à reprendre les documents, ou les preuves si vous voulez, à les relire, pour mieux les comprendre et en tirer davantage. Quelquefois, on trouve de nouveaux documents, où l'on explore des sujets nouveaux, des documents jusqu'alors négligés. L'histoire est une enquête : nous devons d'ailleurs le mot "histoire" à Hérodote et ses "Enquêtes" (Historíai en grec).

Aussi, l'historien est à l'occasion un pourfendeur de mythes. Encore faut-il que l'on tienne compte de ce qu'il raconte.

Beaucoup de légendes et de mythes traînent en histoire : l'Inquisition, Galilée, la réputation faite à l'Église de nier l'existence de l'âme des femmes, le servage des paysans avant la Révolution, la Révolution de 1789 mère de toutes les libertés, qui aurait mis fin aux privilèges, à la tyrannie royale, et à toutes les misères, etc.

Il est utile de savoir dans quel contexte et donc, pourquoi sont nées ces légendes.

La vision encore aujourd'hui négative du Moyen Âge et de l'Ancien Régime perdure du fait d'une tradition culturelle et politique faisant naître la France en 1789 et parant les années révolutionnaires de toutes les vertus.

Michelet, Lavisse et d'autres créèrent en connaissance de cause des mythes fondateurs des sentiments nationaux.

Vercingétorix, Clovis, Jeanne d'Arc, Danton et Robespierre appartiennent à un panthéon appris sur les bancs des écoles. Ces héros dans lesquels le mythe finit par l'emporter sur l'histoire, n'en sont pas moins utiles.
Ils sont ces modèles sans lesquels il n'est pas d'identité possible. Nous avons déjà abordé le lien entre mythe et histoire nationale. C'est une constante quelque soit le pays.

Mais il faut savoir faire la distinction entre la légende et la vérité. De manière générale, les réflexes patriotiques peuvent conduire à minimiser des réalités historiques : c'est le cas aujourd'hui encore du génocide arménien de 1911 toujours nié par la Turquie, ou même des massacres des années 1790, sur l'ensemble du territoire français, qui n'ont pas été cités lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française.

Les historiens ont été influencés dans leur travail (et ils le sont toujours) par les idées de leur époque. J'ai coutume de dire qu'un historien voit le passé avec les lunettes fournies par son époque). L'objectivité parfaite est impossible, autant en être conscient. Mais l'objectivité doit rester l'objectif.

Les historiens de formation universitaire, ont l'obligation (en principe) de respecter un certain nombre de règles :

- faire preuve d'esprit critique. Un historien doit prendre du recul, ne pas juger par rapport aux valeurs de l'époque dans laquelle l'historien vit. Il doit toujours chercher à comprendre pourquoi un tel ou tel a agi comme il l'a fait. En quelque sorte, un historien est un avocat aux causes et aux clients multiples.

- faire un effort permanent de neutralité. Là encore, pas de jugement de valeur possible "c'est bien / c'est mal".
Il peut dire que telle décision prise par un empereur a été catastrophique (il juge un fait, des conséquences). Il peut dire que Caligula était fou, sanguinaire. Mais son discours ne va pas consister à juger mais expliquer

- expliquer et ne pas raconter l'histoire : il doit chercher à comprendre la raison
d'être des faits rencontrés dans les sources. Parler de manquement à la tolérance quand il est question d'Inquisition, donc pour des faits qui se sont passés au XIIIe siècle, dans le contexte culturelle, religieux du XIIIe siècle, n'a aucun intérêt, aucun sens pour l'historien. En revanche, il doit essayer de comprendre et de faire comprendre pourquoi les tribunaux de l'Inquisition sont apparus alors comme une solution, pourquoi ils ont été acceptés par la majorité de la population.

- être limpide dans son argumentation : contrairement à un journaliste, l'historien doit citer ses sources, pour que chaque lecteur puisse vérifier que la démonstration repose sur un travail sérieux.

Faites l'essai en librairie : regardez en fin d'ouvrage le nombre de pages contenant les références bibliographiques, les sources (archives, documents de toute nature selon le sujet et sur lesquels repose le travail) et la clarté des indications.

J'ai feuilleté récemment une biographie de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, dans laquelle la page des références archivistiques était d'une indigence à pleurer : à peine deux pages maigrichonnes et vagues et tristes (connaissant bien une partie du sujet, j'ai constaté d'ailleurs des lacunes multiples...). Pas de cotes précises des folios dans les cartons d'archives ou registres cités en fin d'ouvrage. Dans tout le corps du récit, à peine dix malheureuses citations de sources manuscrites, si l'on écarte celles déjà étudiées par d'autres historiens, mais un grand nombre de sources narratives et de seconde main. L'exemple à ne pas suivre et surtout à ne pas lire.

À ne pas respecter les règles du métier, on risque de perdre sa casquette et ses galons d'enquêteur. Ce serait dommage, non ?
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11/09/2008

Une histoire de faux ou ma revanche sur les math

Le mathématicien Chasles - bien connu de générations d'élèves pour son théorème - l'est également pour sa passion de l'histoire, qui lui a coûté cher, au sens propre comme au figuré.

Chasles se passionnait notamment pour les autographes d'hommes célèbres. Il rencontra un érudit, nommé Vrain-Lucas, qui prétendit pouvoir lui procurer des lettres authentiques de savants français du 17e siècle. L'aubaine ! Chasles accepta. Ayant les lettres en main, Chasles fit alors une découverte sensationnelle : ce n'était pas Newton qui avait trouvé la loi de la gravitation universelle, mais Pascal ! Chasles s'empressa de communiquer cette information "patriotique" à l'Académie des sciences.

D'autres révélations suivirent. Chasles obtint d'autres documents de plus en plus extraordinaires et toujours authentiques. Vrain-Lucas lui procura l'autographe de Christophe Colomb, Charles V, François Ier, jusqu'à celui de Charlemagne, Jules César, Lazare le Ressuscité et last but not the least Socrate.

Tous les documents étaient rédigés en vieux français.

Chasles n'en a pas été trop troublé.

Mais le scandale a fini par éclater. Au bout d'un moment, cela semblait inévitable. Chasles fut contraint de porter plainte. Mais s'il avait pu faire autrement, car un si beau rêve... Il serait resté secrètement convaincu de la bonne foi de Vrain-Lucas.

Moralité : un citoyen critique en vaut deux, surtout quand il veut faire de l'histoire.
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10/09/2008

Politique et histoire (2e épisode)

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, 1899, Lionel-Noël Royer,
Musée du Puy-en-Velay.

Vercingétorix figuré par Uderzo et Goscini.




Continuons notre lecture de Pierre Miquel :

"Dans presque tous les livres d'Histoire de l'école publique on affirme ceci :

Les seigneurs du Moyen Âge consacraient leur temps à la chasse et à la guerre. Ils piétinaient les champs de leurs paysans et détruisaient les récoltes.


Peut-on imaginer que ces fameux seigneurs sont assez stupides pour détruire leurs propres ressources puisque - les livres le disent également - les paysans ne possèdent rien et la terre est au seigneur ?

Voyons par exemple dans un manuel d'Histoire les images suivantes. Le texte affirme tout d'abord que "la plupart des paysans étaient des serfs" : c'est faux. Le servage n'existait pas partout. Autre image : les paysans travaillent dans les bois sous l'oeil d'un contremaître. On dirait un véritable camp de concentration. Et quelques pages plus loin, cette image qui nous montre un bal républicain en 1880. Résultat : l'enfant est persuadé que les gens étaient malheureux avant la révolution et qu'ils sont heureux après. On ne lui dit pas que les paysans du Moyen Âge avaient de nombreuses fêtes dans l'année [chômées], un tiers de l'année. On ne lui dit pas non plus que les ouvriers en 1880, vivent dans la misère et sans congés ni jours fériés.

Le fameux chef gaulois Vercingétorix, assiégé dans Alésia, est contraint de capituler devant Jules César. Il se présente devant lui : "Donne-moi tes armes ! ", lui dit le Romain. Et le fier Gaulois les jette à ses pieds en s'écriant : "Viens les prendre !" Fierté du justicier vaincu. Le Bien cède devant le Mal mais relève la tête dans un sursaut d'honneur. Avec le chef gaulois, c'est toute la France qui se rebiffe contre l'envahisseur. Quel moment magnifique ! Magnifique... s'il était vrai ; car nulle part, les textes d'époque n'en font mention. Cet épisode a été purement et simplement inventé en un temps où la nation française avait besoin de redonner un peu de vie à son honneur perdu (1870)." (Pierre Miquel, La vie privée des hommes, Histoire des Français, Paris, Hachette, 1983, 64 p.)

Demain, il sera question d'une célèbre histoire de faux ou comment j'ai pris il y a quelques années ma revanche sur les théorèmes de math !
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09/09/2008

Politique et histoire




Pierre Miquel expliquait donc dans un album pour enfants de la collection La vie privée des hommes que les républicains se sont attachés sous la IIIe République à mettre sur pied une école laïque afin que les enfants apprennent une histoire "républicaine" et ne soient plus endoctrinés par les congrégations religieuses.

Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII, Ingres (1780 - 1867)

"Pour eux [les républicains] la IIIe République parachève l'histoire de la France. C'est l'origine d'une véritable guerre des manuels. A la fin du XIXe siècle, les Français se partagent en deux : les partisans de l'école laïque et ceux de l'école "libre". Les rouges et les curés. Les professeurs se lancent des injures. Les enfants se battent dans les rues.



Les historiens font intervenir les grands hommes dans la bataille. Et l'homme le plus célèbre de l'histoire de France devient... une femme, Jeanne d'Arc. Jusqu'au premières années du XIXe siècle, les Français la connaissent à peine. Voltaire en parle. En 1856, l'historien Michelet lui consacre des pages enthousiastes. Mais en 1870, la France est vaincue par l'Allemagne qui occupe l'Alsace et la Lorraine. Jeanne, la bonne Lorraine pure et fraîche, devient l'héroïne du sentiment national. L'Église rappelle qu'elle est inspirée par Dieu. L'école laïque ne veut y voir que le symbole du sentiment patriotique. En 1909, l'Église propose de béatifier Jeanne. Pendant la guerre de 14-18, des affiches, des cartes postales représentent la jeune Lorraine à la tête des armées de France. En 1920, Jeanne devient sainte Jeanne d'Arc." (Pierre Miquel, La vie privée des hommes, Histoire des Français, Paris, Hachette, 1983, 64 p.). Jamais tout à fait oubliée au fil des siècles, Jeanne d'Arc n'est vraiment devenue une héroïne de l'histoire de France que depuis le XIXe siècle.

Voici un bel exemple d'utilisation pour ne pas dire de détournement de l'histoire, au profit de la politique. Ce que l'on appelle "opération de communication" (aujourd'hui en xyloglotte) ou propagande, tout simplement...
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Le monde cruel des historiens

L'univers des historiens universitaires est ainsi fait, que l'on distingue sans faire de détail le plus souvent, les (vrais) historiens (entendez les historiens universitaires), des "autres" historiens, romanciers, amateurs talentueux ou pas, teintés d'une formation en histoire ou pas.

Dans ce schéma presque manichéen, le trouble vient lorsqu'il y a une brebis galeuse dans la bergerie : un historien universitaire qui multiplie les ouvrages légers (euphémisme) depuis de nombreuses années, depuis sa thèse souvent, qui lui a permis d'obtenir son poste à l'université, parrainé par son "patron".

Sans vouloir affirmer que ce schéma est justifié, tout dépend de la pratique que l'on fait des règles du métier reçues.
Certains, après avoir commencé un parcours universitaire, se tournent vers le roman ou le journalisme. S'adressant à des publics différents, ils ne sont plus tout à fait regardés comme des confrères la plupart du temps par leurs (ex) collègues, cruels.

C'est un peu le cas de Pierre Miquel, agrégé d'histoire, maître de conférence puis professeur, surtout connu de grand public pour ses émissions à la radio et à la télévision. S'il a pu pécher par faiblesse dans certaines de ses publications, il a exposé dans un album pour enfants (la collection "La vie quotidienne" qui par le passé a fait mes délices) un réflexion synthétique plutôt pertinente sur les errements de l'historiographie, qui mérite que l'on en dise quelques mots (voir Politique et histoire).
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Mais pourquoi ?!


Quart d'heure nostalgie.

Je crois que j'ai tout compris en histoire, un beau jour. Il y a eu comme un déclic. J'étais en deuxième première année de "fac"...
Oui, j'ai redoublé, et j'ai même eu auparavant un parcours très moyen dans le secondaire, et dans le primaire, ce qui a provoqué chez moi une douce hilarité des plus discourtoises quand j'ai entendu un jour un enseignant de mon IUFM nous déclarer péremptoirement que nous, nous étions tous des anciens premiers de la classe, incapables par là-même, de comprendre nos élèves. Tout cela pour justifier qu'il n'était pas comme nous, lui qui avait été cancre à l'école. J'ai eu le sentiment que l'on marchait sur la tête. Enfin, il y a de l'espoir, même pour les médiocres.

Donc je disais (parce que j'ai une forte tendance au discours buissonnier) que je redoublais alors ma première année à l'université. Il m'a fallu deux ans, sans doute, pour que se produise LE déclic. Après, je vous rassure, je n'ai plus redoublé, merci de vous inquiéter de mes notes et de mon ex avenir d'étudiante.


Je me suis dit ce jour-là, "au fond, tout se résume par une seule question : "pourquoi ? " ! "
- pourquoi les Européens sont-ils partis à la conquête du monde?
- pourquoi Henri IV a t-il laissé une image de bon roi paternaliste ?
- pourquoi les Français n'ont-ils pas réagi face aux déportations de leurs voisins juifs dans les années 40 ?
- pourquoi, pourquoi, pourquoi...?

J'aime les gens qui s'étonnent. Et a contrario rien ne m'agace plus que les gens blasés. Regardez autour de vous, tout est étonnant, intéressant, tout prête au questionnement. Pourquoi les feuilles des arbres sont-elles vertes ? (merci, j'ai la réponse depuis quelques années) Pourquoi y a t-il un puits artésien ici ? Pourquoi a t-on eu du goût au 19e siècle pour tel ou tel décor ? Pourquoi 1789 est-il synonyme de liberté ? Il faut quelquefois se méfier des explications trop simples aussi.

C'est un autre truc que l'on apprend, à force à se frotter à l'histoire. Il n'y a jamais une seule explication. Tout évènement, tout fait est le produit de la combinaison de nombreux facteurs. J'y reviendrai.
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L'esprit critique salvateur ou une histoire d'empereur nu (fin)

Passons maintenant aux exemples !

Si les ministres de l'empereur s'étaient demandés pourquoi les deux faux tisserands proposaient cet étrange tissu, ce qu'ils avaient à y gagner, ils ne seraient pas tombés dans le piège qu'un enfant a su éviter.

Ils ne sont pas bien malins ces ministres, de vrais imbéciles !

Et pourtant. Il y a nombre d'empereurs nus qui circulent aujourd'hui en Occident, pointés du doigt par quelques enfants, mais ovationnés par la majorité.

France-Inter addict, voici mon petit délice du jour : une émission de Daniel Mermet ("Là-bas si j'y suis") sur notre empereur, BHL. L'ensemble de l'émission est un régal, la fin nous donne le clou parfait. Ouvrez grand vos oreilles :

http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1494

Ce Bernard a quand même un talent fou pour écrire des romans. Il devrait peut-être en faire son métier ?

Et pour le jour où ce lien ne marchera plus, voici de quoi ravir vos yeux et enchanter vos esprits gourmands sur les aventures de Bernard bien avant la Géorgie :

Nicolas Beau et Olivier Toscer, Une imposture française, Paris, Les Arènes, 2006.
Philippe Cohen, BHL une biographie, Paris, Fayard, 2005.
Jade Lingaard et Xavier de la Porte, Le b a ba du BHL, Paris, La Découverte, 2004.
Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raisons d'agir, 2005.

(ouvrages non lus par l'auteur de ce blog, sans garantie sur leur contenu)
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L'esprit critique salvateur ou une histoire d'empereur nu (épisode 2)


Comme le travail sur les documents est notre métier, en histoire, on apprend quelques règles très simples, dont on peut dire avec un peu d'emphase (ooooh ! si peu !) qu'elles sauvent la vie. Plus sérieusement, elles évitent de se retrouver dans le rôle du gouvernement et du peuple de ce malheureux empereur nu d'Andersen, que l'on lise son journal quotidien, une publicité dans la rue ou que l'on écoute son voisin disserter sur la crise économique. Ou si vous préférez, elles vous donnent l'occasion d'être des Sherlock Holmes du quotidien (stupéfiants en moins, moi je n'en ai pas encore besoin, quant à vous, je ne veux RIEN en savoir)

Parmi ces règles : l'esprit critique, c'est-à-dire cette prudence qui fait s'interroger sur l'origine d'un document.

- Qui écrit ? Ou parle ? Quelle est sa formation, sa culture, quel est son passé, quelles sont ses compétences ?
- Dans quel contexte est produit ce document ? Question sous-jacente, dans quel but est-il produit ? Dans quel milieu culturel, économique, politique, ou autre ? C'est un peu le fameux Wodunit des polars, "à qui profite le crime ?"
- À qui s'adresse ce document ? Car en fonction du destinataire, le discours change. Il y a ce que je dis, mais aussi comment je le dis. Je ne parle pas à un enfant comme à un adulte.
- Quoi ? Quelle est la nature du document ? On ne prend pas de la même façon un pamphlet, un article informatif dans un journal, ou un roman.


Les exemples abondent, des malheurs survenus pour ne pas avoir respecté ces règles essentielles.

Alors qu'elles sont vite apprises et aussitôt oubliées au lycée, elles devraient être gravées dans le marbre. Il faudrait pour cela que le marbre soit à la mode en architecture, et non le béton uniforme et triste.
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L'esprit critique salvateur ou une histoire d'empereur nu (épisode 1)


"Il y a de longues années, vivait un empereur qui aimait plus que tout les habits neufs, qu'il dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne se souciait pas de ses soldats, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, si ce n'était pour faire le montre de ses vêtements neufs. Il avait un costume pour chaque heure de chaque jour de la semaine et tandis qu'on dit habituellement d'un roi qu'il est au conseil, on disait toujours de lui: "L'empereur est dans sa garde-robe!"

Dans la grande ville où il habitait, la vie était gaie et chaque jour beaucoup d'étrangers arrivaient. Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être tisserands et être capables de pouvoir tisser la plus belle étoffe que l'on pût imaginer. Non seulement les couleurs et le motif seraient exceptionnellement beaux, mais les vêtements qui en seraient confectionnés posséderaient l'étonnante propriété d'être invisibles aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions ou qui étaient simplement idiots.

"Ce serait des vêtements précieux", se dit l'empereur. "Si j'en avais de pareils, je pourrais découvrir qui, de mes sujets, ne sied pas à ses fonctions et départager les intelligents des imbéciles ! Je dois sur le champ me faire tisser cette étoffe!" Il donna aux deux escrocs une avance sur leur travail et ceux-ci se mirent à l'ouvrage.

Ils installèrent deux métiers à tisser, mais ils firent semblant de travailler car il n'y avait absolument aucun fil sur le métier. Ils demandèrent la soie la plus fine et l'or le plus précieux qu'ils prirent pour eux et restèrent sur leurs métiers vides jusqu'à bien tard dans la nuit.

"Je voudrais bien savoir où ils en sont avec l'étoffe!", se dit l'empereur. Mais il se sentait mal à l'aise à l'idée qu'elle soit invisible aux yeux de ceux qui sont sots ou mal dans leur fonction. Il se dit qu'il n'avait rien à craindre pour lui-même, mais préféra dépêcher quelqu'un d'autre pour voir comment cela se passait. Chacun dans la ville connaissait les qualités exceptionnelles de l'étoffe et tous étaient avides de savoir combien leur voisin était inapte ou idiot.

"Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre auprès des tisserands", se dit l'empereur. "Il est le mieux à même de juger de l'allure de l'étoffe; il est d'une grande intelligence et personne ne fait mieux son travail que lui!"

Le vieux et bon ministre alla donc dans l'atelier où les deux escrocs étaient assis, travaillant sur leurs métiers vides. "Que Dieu nous garde!", pensa le ministre en écarquillant les yeux. "Je ne vois rien du tout!" Mais il se garda bien de le dire.

Les deux escrocs l'invitèrent à s'approcher et lui demandèrent si ce n'étaient pas là en effet un joli motif et de magnifiques couleurs. Puis, ils lui montrèrent un métier vide. Le pauvre vieux ministre écarquilla encore plus les yeux, mais il ne vit toujours rien, puisqu'il n'y avait rien. "Mon Dieu, pensa-t-il, serais-je sot? Je ne l'aurais jamais cru et personne ne devrait le savoir! Serais-je inapte à mon travail? Non, il ne faut pas que je raconte que je ne peux pas voir l'étoffe.

"Eh bien, qu'en dites-vous ?", demanda l'un des tisserands.

"Oh, c'est ravissant, tout ce qu'il y a de plus joli !", répondit le vieux ministre, en regardant au travers de ses lunettes. "Ce motif et ces couleurs! Je ne manquerai pas de dire à l'empereur que tout cela me plaît beaucoup!"

"Nous nous en réjouissons!", dirent les deux tisserands. Puis, ils nommèrent les couleurs et discutèrent du motif. Le vieux ministre écouta attentivement afin de pouvoir lui-même en parler lorsqu'il serait de retour auprès de l'empereur; et c'est ce qu'il fit.

Les deux escrocs exigèrent encore plus d'argent, plus de soie et plus d'or pour leur tissage. Ils mettaient tout dans leurs poches et rien sur les métiers; mais ils continuèrent, comme ils l'avaient fait jusqu'ici, à faire semblant de travailler.

L'empereur envoya bientôt un autre honnête fonctionnaire pour voir où en était le travail et quand l'étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme ce qui était arrivé au ministre: il regarda et regarda encore, mais comme il n'y avait rien sur le métier, il ne put rien y voir.

"N'est-ce pas là un magnifique morceau d'étoffe?", lui demandèrent les deux escrocs en lui montrant et lui expliquant les splendides motifs qui n'existaient tout simplement pas.

"Je ne suis pas sot, se dit le fonctionnaire; ce serait donc que je ne conviens pas à mes fonctions? Ce serait plutôt étrange, mais je ne dois pas le laisser paraître!" Et il fit l'éloge de l'étoffe, qu'il n'avait pas vue, puis il exprima la joie que lui procuraient les couleurs et le merveilleux motif. "Oui, c'est tout-à-fait merveilleux!", dit-il à l'empereur.

Dans la ville, tout le monde parlait de la magnifique étoffe, et l'empereur voulu la voir de ses propres yeux tandis qu'elle se trouvait encore sur le métier. Accompagné de toute une foule de dignitaires, dont le ministre et le fonctionnaire, il alla chez les deux escrocs, lesquels s'affairaient à tisser sans le moindre fil.

"N'est-ce pas magnifique?", dirent les deux fonctionnaires qui étaient déjà venus. "Que Votre Majesté admire les motifs et les couleurs!" Puis, ils montrèrent du doigt un métier vide, s'imaginant que les autres pouvaient y voir quelque chose.

"Comment!, pensa l'Empereur, mais je ne vois rien! C'est affreux! Serais-je sot? Ne serais-je pas fait pour être empereur? Ce serait bien la chose la plus terrible qui puisse jamais m'arriver."

"Magnifique, ravissant, parfait, dit-il finalement, je donne ma plus haute approbation!" Il hocha la tête, en signe de satisfaction, et contempla le métier vide; mais il se garda bien de dire qu'il ne voyait rien. Tous les membres de la suite qui l'avait accompagné regardèrent et regardèrent encore; mais comme pour tous les autres, rien ne leur apparût et tous dirent comme l'empereur: "C'est véritablement très beau !" Puis ils conseillèrent à l'Empereur de porter ces magnifiques vêtements pour la première fois à l'occasion d'une grande fête qui devrait avoir lieu très bientôt.

Merveilleux était le mot que l'on entendait sur toutes les lèvres, et tous semblaient se réjouir. L'empereur décora chacun des escrocs d'une croix de chevalier qu'ils mirent à leur boutonnière et il leur donna le titre de gentilshommes tisserands.

La nuit qui précéda le matin de la fête, les escrocs restèrent à travailler avec seize chandelles. Tous les gens pouvaient se rendre compte du mal qu'ils se donnaient pour terminer les habits de l'empereur. Les tisserands firent semblant d'enlever l'étoffe de sur le métier, coupèrent dans l'air avec de gros ciseaux, cousirent avec des aiguilles sans fils et dirent finalement: "Voyez, les habits neufs de l'empereur sont à présent terminés !"

"Voyez, Majesté, voici le pantalon, voilà la veste, voilà le manteau!" et ainsi de suite. "C'est aussi léger qu'une toile d'araignée; on croirait presque qu'on n'a rien sur le corps, mais c'est là toute la beauté de la chose!"

"Oui, oui !", dirent tous les courtisans, mais ils ne pouvaient rien voir, puisqu'il n'y avait rien.

"Votre Majesté Impériale veut-elle avoir l'insigne bonté d'ôter ses vêtements afin que nous puissions lui mettre les nouveaux, là, devant le grands miroir !"

L'empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent comme s'ils lui enfilaient chacune des pièces du nouvel habit qui, apparemment, venait tout juste d'être cousu. L'empereur se tourna et se retourna devant le miroir.

"Dieu ! comme celà vous va bien. Quels dessins, quelles couleurs", s'exclamait tout le monde.

"Ceux qui doivent porter le dais au-dessus de Votre Majesté ouvrant la procession sont arrivés", dit le maître des cérémonies.

"Je suis prêt", dit l'empereur. "Est-ce que cela ne me va pas bien ? Et il en se tourna encore une fois devant le miroir, car il devait faire semblant de bien contempler son costume.

Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet, faisant semblant d'attraper et de soulever la traîne. Ils allèrent et firent comme s'ils tenaient quelque chose dans les airs; ils ne voulaient pas risquer que l'on remarquât qu'ils ne pouvaient rien voir.

C'est ainsi que l'Empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ceux qui se trouvaient dans la rue ou à leur fenêtre disaient: "Les habits neufs de l'empereur sont admirables ! Quel manteau avec traîne de toute beauté, comme elle s'étale avec splendeur !" Personne ne voulait laisser paraître qu'il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu'il était incapable dans sa fonction ou simplement un sot. Aucun habit neuf de l'empereur n'avait connu un tel succès.

"Mais il n'a pas d'habit du tout !", crai petit enfant dans la foule.
"Éntendez la voix de l'innocence!", dit le père; et chacun murmura à son voisin ce que l'enfant avait dit.

Puis la foule entière se mit à crier: "Mais il n'a pas d'habit du tout!" L'empereur frisonna, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit: "Maintenant, je dois tenir bon jusqu'à la fin de la procession." Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n'existait pas."

Hans Christian Andersen (1805-1875)

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08/09/2008

Faisons sauter les verrous !


Puisque mon anti-sèche personnelle, c'est d'entrer directement dans les vif du sujet, allons-y !

Le but de ce blog, ce n'est pas de raconter l'histoire (je pourrai à l'occasion vous parler de mes livres d'histoire préférés et citer quelques exemples historiques croustillants) mais de vous parler du métier d'historien. Qu'est-ce que c'est faire de l'histoire ? À quoi cela sert ? Quel est l'intérêt d'une formation en histoire - dès le collège et le lycée - ? Quel plaisir peut-on y prendre ? Comme je l'ai déjà dit, j'aimerais partager ma vision du métier d'historien, et pour cela, faire sauter les verrous de la connaissance historique. Les historiens ont en commun avec les chats d'adorer ronronner dans leur coin, et c'est ma foi, dommage à mon goût.

Mon public visé, n'est pas celui qui s'assoit à chaque rentrée sur les bancs de l'université (quoique...) mais MonsieurToutLeMonde, bref tous ceux qui aiment bien l'histoire sans que ce soit leur métier et pianotent sur leur moteur de recherche préféré à la recherche de sites d'histoire pour satisfaire leur curiosité.

Je vous parlerai donc :

- du quotidien du métier d'historien, clins d'oeils et agacements compris : où élabore t-on l'histoire ? Comment écrit-on l'histoire ? Avec quels documents écrit-on l'histoire politique ? Et de quoi parle t-on en histoire quand on ne parle pas des batailles ? (de beaucoup, beaucoup de choses, si vous pensez que l'histoire c'est crier "1515, Marignaaaan ! ", vous devriez apprendre ici deux ou trois trucs...)

- de l'évolution de l'écriture de l'histoire, c'est-à-dire des différentes façons dont on a écrit l'histoire, des buts donnés à l'histoire au fil des siècles, car on n'a pas toujours écrit l'histoire de la même façon, du renouvellement des méthodes historiques au long du XXe siècle

- des qualités intellectuelles que l'on gagne à faire de l'histoire, et qui distinguent un historien du reste des citoyens (ce que de vous à moi, je regrette, puisque je considère que faire de l'histoire, c'est tout autre chose qu'apprendre des dates par coeur) c'est devenir plus critique, et être moins captif des messages publicitaires, de la propagande commerciale, politique ou autre. Convaincue que ces qualités intellectuelles sont à la portée de tous, mon but n'est pas d'être élitiste, bien au contraire, de faire partager tout ce que j'ai acquis moi-même, grâce à l'apprentissage de la méthode historique.

- de la façon dont un citoyen doit lire un document, que ce soit un article de journal ou un document d'archive, les réflexes doivent être les mêmes si l'on ne veut pas être dupes.

C'est là d'ailleurs que je vais occasionnellement tailler quelques habits pour l'hiver voire la dizaine d'hivers à venir à un certain nombre de collègues, vivants ou non, et prendre le pari de vous faire aimer l'histoire, sinon de la regarder comme vous ne l'avez jamais fait.
(Mais quelle ambitieuse, celle-là ! )


*** Pour ceux qui aiment jouer, retrouvez dans ce texte les titres de deux ouvrages célèbres sur l'écriture de l'histoire... Bonne recherche ! ***
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07/09/2008

Un blog d'historienne ! Tout un programme...


Je n'ai jamais eu l'angoisse de la page blanche. Peut-être que cela viendra comme le trac, avec le talent donc. D'accord, j'avoue. Depuis longtemps, j'ai trouvé le truc : je triche. Oui, honte à moi, regards de courroux, opprobre infini, etc. Je triche en contournant l'obstacle : quand on se sait pas quoi dire, on va à l'essentiel, là tout de suite.


(Clio, muse de l'histoire et de la poésie héroïque,
Pierre Mignard, 17e siècle)

Alors, qu'est-ce ? Un blog de plus ? Hélas, oui. J'ai mis longtemps à me décider. Moi, un blog ? Jamais ! Et puis finalement, mouton de Panurge, j'ai suivi.
Et si c'était un blog vous causant d'histoire ? D'histoire ou d'Histoire ? Justement, on en reparlera, de cette majuscule et de cette minuscule qui semblent se faire la guerre. Alors qu'il n'en est rien.

Un blog d'historien ? Non, un blog d'historienne (cette répétition, c'est pour tenter ma chance et un éventuel référencement dans ce moteur de recherche que j'utilise et j'abhorre à la fois, dont les règles mystérieuses de fonctionnement échappent au commun des mortels, à moi aussi par conséquent). Je n'aime pas à l'excès ce mot d'historienne, soit dit en passant. Là encore, j'en parlerai. Rassurez-vous, j'ai vérifié, cela ne court pas la toile. Mais qu'est-ce que cela raconte un blog d'histoire ?

Il paraît que les Français ont un goût prononcé pour l'histoire. Je me demande bien ce que les sondeurs et les sondés mettent derrière ces mots-là. Moi, cruelle ? Ah, mais il faut bien justifier le "vitriol" du titre. Contrairement à mes obligations dans le métier, ici, je peux être cruelle, partiale, et j'entends user de ce droit. Donc il y aura des billets d'humeur : une once d'acide sulfurique, un setier de mauvaise foi de temps en temps, des quintaux d'agacement souvent. À ma décharge, le but n'en sera pas gratuit.


Parce que, en dehors des spécialistes, silhouettes fantomatiques errant dans quelques lieux secrets, bref, des quelques poignées de chercheurs qui fréquentent les Archives nationales ou pas, et autres lieux de conservations des vieux papiers plus ou moins moisis dont ils se délectent, j'ai le sentiment que peu de gens savent ce que signifie "faire de l'histoire", alors que le petit écran et le grand se mêlent souvent d'en faire, de l'histoire, et le résultat est souvent à pleurer, à chaudes larmes, de tristesse ou de rire, selon l'humeur (faites-moi penser à la chronique cinéma historique, elle mérite sa page celle-là).

Parce que je suis persuadée d'une chose : si l'on sait lire un texte, même tiré d'un quotidien, d'une publicité, à la façon d'un historien, si l'on sait regarder une image au journal télévisé, ou dans la rue, comme a appris à le faire un historien, on gagne en esprit critique, c'est-à-dire en liberté.

Il n'y aura pas ici de longues synthèses sur divers sujets historiques, car ce n'est simplement pas mon but. Tout au plus trouverez-vous ici une bibliographie, quelques ouvrages à découvrir si vous aimez l'histoire.

Mais j'essaierai de vous expliquer ce que signifie faire de l'histoire, pourquoi l'on gagne en liberté grâce à l'histoire. Et le quotidien du chercheur, comment concrètement, on écrit l'histoire. S'y ajouteront mille et une petites choses, commentaires, réflexions sur l'actualité se rapportant à l'histoire - j'aime rebondir !

Qui suis-je ? Métier : chercheuse en histoire (moderne, i.e. 16e-18e siècles) et enseignement. Tempérament : souvent railleuse et râleuse, mais désireuse de faire goûter à tous l'histoire sans la raconter. Limites : mes (mauvaises) humeurs, mes capacités (des jours qui ne comptent que vingt-quatre heures et une certaine jeunesse), mes goûts (j'avoue un penchant pour l'histoire culturelle, l'histoire politique, l'histoire sociale, l'histoire du genre, des sensibilités entre autres... surtout en histoire moderne, même si j'aime me rappeler des pépites du temps des études universitaires et grapiller du côté du Moyen-Âge comme de l'époque contemporaine)
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