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Une envie de livres ?

31/10/2011

La religion du progrès

En terminant le précédant message, je cherchais désespérément une référence entendue sur les ondes (je vous laisse deviner quelle radio) où il était question d'un essai à propos du culte du progrès. Après bien des recherches sur le site de cette radio, j'ai abandonné jusqu'à réentendre la voix qui avait invité l'auteur de cet essai. La voix était celle de Laurence Luret dans sa brève émission du week-end, Parenthèse, le 9 octobre dernier (clic), et l'invité Jean-Claude Michéa, que je ne connaissais pas encore.

J'ai été très intéressée par sa réflexion et vous la propose à mon tour. Pour commencer la quatrième de couverture:
Semblable au pauvre Orphée, le nouvel Adam libéral est condamné à gravir le sentier escarpé du « Progrès » sans jamais pouvoir s´autoriser le moindre regard en arrière. Voudrait-il enfreindre ce tabou - « c´était mieux avant » - qu´il se verrait automatiquement relégué au rang de Beauf, d´extrémiste, de réactionnaire, tant les valeurs des gens ordinaires sont condamnées à n´être plus que l´expression d´un impardonnable « populisme ». C´est que Gauche et Droite ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l´homme un égoïste par nature. La première tient tout jugement moral pour une discrimination potentielle, la seconde pour l´expression d´une préférence strictement privée. Fort de cette impossible limite, le capitalisme prospère, faisant spectacle des critiques censées le remettre en cause. Comment s´est opérée cette double césure morale et politique ? Comment la gauche a-t-elle abandonné l´ambition d´une société décente qui était celle des premiers socialistes ? En un mot, comment le loup libéral est-il entré dans la bergerie socialiste ? Voici quelques-unes des questions qu´explore Jean-Claude Michéa dans cet essai scintillant, nourri d´histoire, d´anthropologie et de philosophie.

Et ici une présentation Philomag (clic).  Bonne lecture !
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27/10/2011

Faut-il supprimer les notes?

L'heure est grave, mes amis. Hier, mon coeur balançait entre les deux Guillaume d'Inter (en vrai il y en a plus mais ce n'est pas grave), aujourd'hui, mon choix est fait. Il faut croire que c'est le concept de l'émission intitulée Service Public (France Inter 10h-11h) qui nuit au présentateur. Les dernières années Isabelle Giordano m'énervait prodigieusement en traitant les sujets à la surface, aujourd'hui c'est Guillaume Erner. Il n'y a pas à dire, je préférais ce dernier quand il proposait L'été en pente douce...

Hier, enfin le 26 octobre, Guillaume Erner recevait Pierre Merle, sociologue et Serge Hefez, psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, thérapeute familial et conjugal, pour parler de la suppression des notes à l'école. Enfin, de la suppression de toute évaluation, parce qu'il faut être cohérent, c'est l'évaluation qui est accusée d'être traumatisante.  

C'est un peu comme si pour vendre une pièce de boucherie, on appelait comme expert un cordonnier. Et ça, visiblement, ça ne dérange pas les journalistes de cette émission. Selon P. Merle, les filles sont mieux notées que les garçons, les redoublants moins bien que les autres, et les enfants des classes populaires moins bien que les enfants de cadre. Alors plutôt que de remédier au problème, on casse le thermomètre pas beau-vilain et hop! magie, les élèves seront épanouis. Mais quand arrêtera-t-on de nous prendre pour des cons?

Bref, émission sans intérêt qui ne défendait qu'un seul point de vue. Alors voici (clic) l'article de l'Odieux connard (c'est pas moi, c'est lui qui s'appelle comme ça) sur la suppression des notes. Lui, c'est un ancien professeur d'histoire-géographie, et avoir des collègues comme lui donne un peu de fierté.


Et si la question qui vous taraude l'esprit est de savoir si je suis réac, non, je ne voue pas un culte au passé, le "c'était mieux avant" est tout aussi stupide que "le progrès c'est forcément des tas de choses meilleures". Seulement, nous n'avons pas le droit de faire des élèves des cobayes.



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23/10/2011

Pour vous

Voici un document écrit cette semaine par une enseignante de lettres. À lire. 

Le 19/10/2011
Aux journalistes, politiques, syndicalistes qui voudront bien se faire l’écho de la détresse, de la colère et non du “malaise” de notre profession.
Par avance merci.

“Je le fais pour vous…”
… a dit notre collègue, Lise B. professeur de Béziers, qui, en proie à un désespoir absolu, s’est immolée dans la cour de son lycée.

Qui, “vous” ?

Vous, chers élèves, dont je ne cherche pas à me faire aimer avant toute chose, car je veux rester sourde à la cote d’amour censée mesurer ma valeur au sein de la “communauté éducative”. Vous ne serez jamais, pour moi, “les gamins” dont il est question dans les salles des “profs”, car je ne serai jamais ni votre mère, ni votre copine. Mais savez-vous encore la différence entre un professeur, une mère et une copine ? Ce n’est pas un père trop souvent absent, irresponsable ou immature lui-même, très souvent votre meilleur copain, qui vous l’apprendra!

Oui, je continuerai à réclamer le silence en début de cours et à vous laisser debout tant qu’il ne sera pas de qualité. Ce n’est pas là volonté militariste de vous humilier, mais condition nécessaire à mon enseignement: délimitation d’un espace, la classe, où l’on doit entendre la parole d’autrui, celle des grands auteurs dont les textes que nous lisons font entendre la voix, respect de la mienne, simple passeuse de savoir, chargée de structurer votre… parole, afin que vous puissiez, à votre tour, vous faire entendre et être pris au sérieux, respect de la voix de vos camarades qui s’exercent à formuler leur pensée.
 Mais veut-on encore vous apprendre à penser ?

Oui, je continuerai à faire la chasse aux portables et aux I-Pods en cours pour les mêmes raisons.

Oui, je sanctionnerai, autant que mes forces me le permettront – mais il ne faut préjuger de rien, l’usure gagne – vos retards systématiques, votre désinvolture, vos comportements égocentriques, insolents, agressifs et insultants, car je suis un être humain, nanti d’un système nerveux qui n’est pas à toute épreuve, mais conserve le sens de la dignité, de la mienne comme de la vôtre.

Non, je ne ferai pas de stage pour apprendre à “gérer les conflits” et mon propre stress, comme si des ficelles psycho-techniques pouvaient se substituer à la loi qui doit être appliquée, à l’ordre que l’institution doit avant tout garantir, afin de nous protéger vous et moi contre tout acte de violence verbale ou physique, condition sine qua non pour commencer à pouvoir travailler. 

Non, le “prof” n’est pas un outil qu’on doit rendre plus performant pour vous mater, vous manipuler ou vous séduire.

Non, je ne négocierai pas mes notes, malgré les pressions : celles de l’administration qui sait si bien faire porter la responsabilité d’une moyenne de classe trop basse au professeur, toujours trop exigeant et trop sévère ; celle de nos inspecteurs qui nous “invitent à l’indulgence” dans les commissions d’harmonisation du Brevet et du Bac et nous enjoignent de revenir sur les copies aux notes trop basses ; celles de vos parents qui, dans leur grande majorité, s’alarment à la première de vos faiblesses et me font savoir que “l’année dernière, ça marchait pourtant si bien avec M. Machin” (lequel n’hésitait pas, pour avoir la paix, à surnoter de la manière la plus démagogique qui soit) ; et celles que vous-mêmes savez si bien exercer sur les “adultes” d’aujourd’hui, plus prompts à laisser faire, à négocier des contrats, qu’à faire respecter des règles, sans faiblir – sachant qu’ils n’en tireront jamais aucune gratification immédiate – et qui semblent devenus incapables de supporter cette frustration inhérente à leur fonction d’enseignant et maintenant d’éducateur.

Non, je ne me transformerai pas en animatrice de MJC, pour ne pas “vous prendre la tête”, ou parce que apprendre et travailler vous “gave”.

Vous ?

Vous, chers collègues, broyés un peu plus chaque jour par une institution qui ne vous protège plus, en dépit de l’article 11 du code de la Fonction Publique qui est encore censé protéger le fonctionnaire contre les outrages ou délits exercés à son encontre dans l’exercice de ses fonctions.

Vous qui jonglez désespérément avec les impératifs de vos programmes qu’il vous faut boucler impérativement dans l’année, mais que l’on vous enjoint d’adapter à chacun de vos élèves dont les niveaux sont, d’une année sur l’autre, plus disparates au sein d’une même classe (puisque les plus perdus passent dans la classe supérieure “au bénéfice de l’âge” ou malgré l’avis des professeurs).

Vous qui vous efforcez de maintenir encore les apparences, alors que tout le système est fissuré ; vous qui direz au conseil de classe : “ Tout va très bien Madame la Marquise” ou “ Avec moi ça se passe bien”, alors que vous pouvez, sans guère vous tromper, annoncer en début d’année, qui sera reçu ou non au Brevet, car les jeux sont faits en septembre et que, pour l’essentiel, vos cours sont devenus très souvent une garderie culturelle où vous tentez de maintenir laborieusement une relative paix sociale, en limitant vos exigences, en surnotant, en renonçant un peu plus chaque jour à transmettre ce que vous avez reçu, car “l’enfant, au centre du système, doit construire lui-même son savoir”, choisir ses matières, ses options, pour un projet devenu essentiellement professionnel. Les valeurs humanistes qui vous ont structurés sont chaque jour un peu plus bafouées au sommet de l’Etat. Il s’agit maintenant d’évaluer des compétences à travers des grilles d’évaluation fabriquées par et pour l’entreprise, au niveau européen, compétences dites souvent transversales qui n’ont plus rien à voir avec l’acquisition de savoirs exigeants dans des disciplines bien précises. Le livret de compétences doit garantir “l’employabilité future” de ceux qui sortiront du système sans diplôme national reconnu et sans qualifications.

Vous, les professeurs d’Humanités (latin et grec) dont il est de bon ton de ridiculiser vos enseignements, que l’on s’est employé à reléguer très tôt ou très tard dans la journée du collégien ou du lycéen, de manière à faire chuter inexorablement les effectifs ; vous qui transmettez les fondements de notre culture et qu’on met en concurrence en 3ème avec l’option DP3, découverte de l’entreprise…

Vous qui enseignez une option que nos élèves-consommateurs peuvent essayer au gré de leur fantaisie et abandonner sur une simple lettre de parents qui obtiendra l’arrêt souhaité, pour peu que les notes de latin du chérubin ne lui fassent baisser sa moyenne.

Vous qui vous sentez responsables, voire coupables, du désintérêt que ces matières suscitent, vous à qui vos inspecteurs-formateurs suggèrent de rendre vos cours plus attractifs (sorties, jeux, Olympiades…) tout en vous sommant de vous conformer aux Instructions Officielles qui ne transigent pas avec les connaissances grammaticales à acquérir. 

Vous dont les classes ne doivent jamais s’ennuyer ! 

Vous qui êtes, même aux yeux de vos collègues, le prof ringard qui persiste à enseigner des savoirs désuets et inutiles et qui ne devrait pas se plaindre…vu ses effectifs réduits.

Vous qui vieillissez, vous qui vous fatiguez plus vite, vous qui êtes maintenant une loque en fin de journée, lasse du bruit et des tensions incessantes, à qui le système demande désormais de rendre compte chaque jour, sur un cahier de textes numérique, de ce que vous avez fait en classe, heure par heure ; vous que Big Brother place ainsi sous le contrôle permanent de vos supérieurs et des parents d’élèves ; vous qui pourrez dorénavant recevoir chaque soir, chez vous, des mails d’élèves, ou de leurs parents, jugeant normal de vous interpeller par écrit et attendant bien sûr de vous la réponse rapide qui leur est due. 

Vous qu’on flique honteusement comme on ne le fait pour aucune profession. Vous à qui la société entière peut ainsi demander des comptes à tout moment; vous qu’on livre à toutes les pressions aisément imaginables et qu’on place dans la situation de devoir vous justifier, de vous défendre sans cesse, car vous êtes devenu le fonctionnaire, bouc-émissaire par excellence, livré régulièrement en pâture à l’opinion publique.

Vous qui ne comprenez pas l’engouement aveugle, incompréhensible de vos jeunes collègues pour l’informatique, le numérique, censés séduire “nos nouveaux publics” et stimuler leur envie d’apprendre, alors qu’ils se lassent du gadget pédagogique comme ils se lassent si vite de tout dans un monde consumériste où le seul principe qui vaille est le “tout, tout de suite”, dans un tourbillon de désirs sans cesse renouvelés et toujours insatisfaits.

Vous qui en perdez le sommeil ; vous qui ne pouvez travailler avec ce couteau sous la gorge, vous qui tentez de reconstruire chaque soir une image acceptable de vous-même au travail avant de vous en remettre au somnifère ou à l’anxiolytique qui vous permettra, enfin, de dormir, car vous ne pouvez imaginer tenir vos classes demain sans ces heures de sommeil.

Vous qui travaillez en apnée entre ces périodes de vacances que tous vous envient et vous reprochent, ultimes bouées qui vous permettent de vous reconstituer avant de découvrir, à chaque rentrée, que la situation se détériore irrémédiablement et que vous êtes, vous, professeur, jeune ou vieux, en première ligne chaque jour, de moins en moins sûr de tenir, si une volonté politique ne rappelle pas, très vite à chacun (parent, élève, professeur) la place qui devrait être la sienne dans une institution laïque et républicaine, si elle ne vous rend pas de toute urgence votre dignité, votre autorité, et des conditions de travail et de salaire décentes.

Vous, parents, élèves, professeurs, qui espérez qu’on tirera une leçon du sacrifice de notre collègue…
Quelle leçon ? Telle est la question !


M.C. Perrin-Faivre, professeur de Lettres à Nancy.
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Une semaine après. Que reste-t-il de l'école?

Cette semaine ont eu lieu plusieurs hommages à Lise Bonnafous. Le Midi libre y a consacré plusieurs articles ici (clic) et là encore (clic). Audrey Pulvar en a fait l'objet d'une chronique, jeudi 20 octobre (clic). Plusieurs autres journaux, plusieurs émissions ont traité de la souffrance des enseignants: ici le Point (clic). On a rappelé les cas passés de professeurs qui ont démissionné, comme Claire-Hélène dans une brève de Sauvons l'université (clic).


Cette semaine, il y a eu les mots importants du père de notre collègue:
Ma fille était devenue fragile, sans doute, mais elle restait un excellent professeur de mathématiques et aurait dû pouvoir continuer d’exercer. Son message désespéré était celui-ci : il faut refonder, à tout prix, une nouvelle et authentique école de la république, celle où primaient les valeurs du civisme et du travail. Celle où le professeur était au centre de tout. Celle où l’enfant du peuple pouvait devenir fils de roi.
J'ai beaucoup aimé le billet de Charlotte Charpot (autre professeur qui a démissionné) à propos de Lise Bonnafous, à retrouver ici (clic):
Le journaliste débute d'une voix d'outre tombe sur une musique tragique. Le cadre est posé. L'interview se lance avec un enseignant collègue de Lise, et nous tâtonnons une bonne heure à la recherche de quelque chose. Quoi? Qui était cette enseignante? La question se pose depuis jeudi dernier, cela fera bientôt une semaine. La réponse à oscillé de "une femme rigide - vieille école" à "seule" "dépressive" à "brisée par des drames personnels" en passant par... - le plus souvent -  lorsque la réponse n'est pas politisée : "Quelqu'un de parfaitement NORMAL."
"Oui, on a discuté avec elle, elle a dit ça, répondu ceci, elle avait des amis, elle sortait, il paraît qu'elle jouait de la musique aussi... je l'ai croisée hier à la cantine."
Le journaliste insiste "Oui mais à part ça, comment était-elle????" Hé bien nous n'en saurons jamais plus. Lise était une quadragénaire standard, similaire à vous et moi. La réponse semble inacceptable. Comment ça? Rien? du tout? Aller quoi une particularité! Non. Nada. On s'interroge ensuite sur le cadre de travail  : "Mais heu.. l'établissement était plutôt standard, non? Extérieurement rien n'indiquait qu'on y trouve une violence particulière?" Non, rien.

Et c'est sans doute malgré tous les efforts des médias cette terrible normalité qui dérange. Se pourrait-il qu'une personne équilibrée n'ayant pas connu plus de drames sur une durée de vie de 44 ans que n'importe qui, ne travaillant pas dans des conditions plus pénibles que la moyenne en vienne à poser un acte aussi extrême?
La réponse est oui. Quelle image de notre société donne cet événement? A moi c'est simple, si je suis honnête. Je me regarde dans un miroir et me dit, ok. Ca aurait pu être moi, toi. Chercher à fuir en mettant des termes pathologiques, la disséquer, trouver du réconfort dans des mots bien analytiques, décomposer son corps et sa psyché comme fait si bien la médecine moderne qui a réponse à tout et classifie l'humain dans des petits tiroirs pour rassurer en évitant d'approcher le problème global, c'est impossible. Il s'agissait de Lise, enseignante normale. 
Hé oui, notre bon ministre, qui ne croit pas aux chiffres sur la souffrance des enseignants, notre bon ministre a mis sur le dos d'une prétendue dépression le suicide de Lise Bonnafous. Sans revenir sur ce point. Mépris.

Certains stagiaires vivent bien leur année de stage - il n'y a aucune obligation à souffrir, bien heureusement. Comme de nombreux collègues peuvent aller au travail avec plaisir. Et heureusement encore.  Mais tous les établissements ne se ressemblent pas. Une amie a particulièrement "dérouillé" durant son année de stage où elle a cumulé éloignement de son fiancé, établissement difficile, tuteur... "spécial" (avec une volée de guillemets). Le mieux est encore de la laisser décrire cette année en quelques mots et ce qu'elle sait de la capacité de l'institution à faire souffrir:
Je ne sais pas comment était la vie de Lise Bonnafous, je ne sais pas si elle avait du soutien dans le lycée, à l'extérieur du lycée, je ne sais pas si elle était dépressive, ou fragile, ou qu'importe.
Je sais juste que pour moi, mon année de stage, m'a réellement mise en danger. L'éloignement - oui, je sais, tout le monde l'a vécu, tout le monde a son anecdote a raconter là dessus, et comment il l'a surmonté - , la surcharge de travail, les élèves difficiles, l'absence de soutien de la hiérarchie, frileuse peut être, l'absence de soutien des collègues, dans la négation "non chez moi tout va bien, chez moi les élèves sont adorables, je ne comprends pas que tu aies des difficultés ...
Tout ça, je l'ai vécu.
Et je me souviens d'un jour, au début de mon année de stage, où un élève, de quasiment mon âge, s'est levé, m'a menacé. Ma tutrice m'a dit que je l'avais provoqué. Les collègues m'ont dit que ce n'était pas un méchant bougre. L'administration m'a déconseillé de déposer une main courante. Les formateurs IUFM, parce que j'y ai encore eu droit, m'ont dit que de telles choses n'arrivent jamais.
Je suis rentrée chez moi, dans cet appartement que je détestais, et j'ai pleuré et pleuré et pleuré parce que je me sentais seule, coupable, nulle et incapable. Et personne ne devrait avoir à vivre ça. Parce que si, à ce moment là, j'avais eu une boite d'anxiolytiques, de somnifères, ou que sais-je, à portée de main, j'aurais bien été capable de l'avaler, parce que je voulais juste que ça s'arrête.
Remise en cause personnelle - incessante et au-delà de ce qui est bon et supportable -, solitude et délations. Savez-vous par exemple qu'une loi de 1994 interdit aux enseignants du primaire de donner des devoirs écrits aux élèves? C'est même plus sournois que cela, plus ancien dans les faits. Un premier texte de 1956 sur les devoirs porte bien sur les devoirs notés, qu'il interdit, pour des raisons qui ne sont pas mauvaises. Il a d'ailleurs été suivi d'une note explicative précisant bien qu'il ne s'agissait en aucun cas de mettre fin aux nécessaires exercices d'entraînement (B.O. n° 42 du 29-11-56, p. 3005 ; 100-Pr-& II a, p. 9). Mais des générations d'IEN ont joué sur le flou du terme "devoir" pour imposer progressivement leur vision des choses. Laquelle est entrée dans les moeurs et n'a été entérinée, contrairement aux idées reçues, que récemment, avec la circulaire n° 94-226 du 6 septembre 1994, qui interdit bel et bien, elle (et seulement elle) le travail écrit à la maison. Voir ici pour consulter les textes : http://dcalin.fr/textoff/devoirs_1956.html

Le résultat, c'est que selon les établissements d'origine des petits sixièmes, l'on accueille des enfants qui ouvrent régulièrement de grands yeux quand on leur parle de devoirs, d'exercices, de leçons à apprendre à la maison. Et l'on sort les pagaies. Heureusement, beaucoup de professeurs des écoles continuent à donner des consignes de travail à la maison, réviser seulement les exercices faits en classe, apprendre deux ou trois phrases de leçon. Mais gare à qui se fait dénoncer ! Car le quotidien de professeurs des écoles, c'est cela aussi (parole de collègue de primaire):


Dans l'école de zone "violence" où j'enseignais ces dernières années, j'ai eu le droit à une lettre de dénonciation anonyme à l'IEN [à l'inspection de l'éducation nationale] parce que je donnais un peu plus de devoirs que mes collègues. ...
J'avais un CM1-CM2. Cela consistait à deux opérations posées, et en moyenne deux leçons par jour à apprendre, une d'étude de la langue et une de maths (ou plutôt à revoir car en élémentaire nous décortiquons tellement les leçons en amont qu'un élève attentif et de niveau moyen la connaît en sortant de la classe). Parfois se rajoutait une strophe de poésie (une poésie de 3 strophes à apprendre en 3 fois donc...). J'ai fini par découvrir qui c'était car un parent avait laissé des indices dans sa lettre qui permettaient de remonter à lui.
En fait, lui-même n'avait jamais réussi à apprendre à faire les divisions à l'école...
À force d'entraînement au CE2 (maintenant c'est au programme), la très grande majorité de mes élèves que j'avais suivis au CM1 savaient les faire et j'en donnais une chaque soir dès la rentrée pour qu'ils ne "perdent" pas cet acquis le temps que nous en soyons à aborder et approfondir cette notion au CM1 (en début d'année de CM1, nous en étions à consolider addition et soustraction de grands nombres). Son enfant faisait partie des 5 CM1 ayant fait un CE2 dans la classe de mon collègue et ayant abordé la division en juin.
J'avais bien précisé que c'était totalement facultatif pour ceux-là et que nous reviendrions sur la technique en cours d'année. Il n'a pas supporté de se sentir incapable d'aider son enfant, a d'abord demandé à un autre parent de "suppléer" puis, voyant que cela reproduisait chaque soir, a fini par faire photocopie du cahier de textes assortie d'une lettre pour le moins excessive ("Mon enfant subit une pression insupportable dans cette classe, je ne signe pas car cette maîtresse me fait peur et elle est capable de se venger sur mon enfant...).
Flicage, plaintes, dénonciations de professeurs... Un climat normal, quoi. Attention, je ne dis pas qu'il ne faut pas encadrer les pratiques des enseignants. Nous avons sans doute tous connu des enseignants qui usaient et abusaient de violences physiques et psychologiques. Des enseignants dont les cours étaient des cauchemars pour nous ou pour le petit camarade: maux de ventre, troubles nerveux divers, j'en passe. Des fessées pratiquées sur l'estrade alors qu'elles étaient interdites depuis longtemps. Que ces pratiques-là aient cessé n'est vraiment pas un mal, ces maîtres et professeurs étaient durs et l'on n'apprenait pas mieux qu'avec des enseignants souriants, voire au contraire. Mon propos n'est en aucune manière un développement sur le thème du "c'était mieux avant". Mais il n'est pas non plus fondé sur "la nouveauté est forcément bonne".


Quoiqu'il en soit, ce flicage et ces abus de la part de parents et de la part d'inspecteurs (il ne s'agit pas non plus de désigner à la vindicte un corps) rend le quotidien des professeurs en collège particulièrement compliqué, pour user d'un euphémisme, "enrageant" comme l'explique une collègue de lettres:

J'enrage quand je vois tous ces petits normalement fainéants et tout aussi normalement intelligents qu'on enferme peu à peu dans l'indigence à force de ne jamais rien exiger d'eux.
Pas de devoirs en primaire - poussé dans certaines ZEP (la mienne notamment) jusqu'à aucun exercice de mémoire, aucune leçon. Bref, aucune habitude de travail jusqu'en Sixième. Or, chacun sait que la préadolescence, c'est l'âge idéal pour découvrir l'effort...
Des élèves de collège qui considèrent qu'apprendre un sonnet en deux semaines, c'est exorbitant, n'apprennent aucune leçon, ne font pas les punitions.
Une administration qui renâcle de plus en plus à des sanctions un peu plus significatives - ou alors, nous sommes priés d'assurer la surveillance de nos heures de colle nous-mêmes.
Des textes qui nous mettent des bâtons dans les roues, insistant toujours sur les devoirs des enseignants, jamais sur ceux des élèves.
Des "pédagogues" prompts à nous culpabiliser et à faire des élèves les victimes toujours irresponsables d'un système abject (mais pourquoi diable le conserve-t-on, alors ?).
Une avocate à la con qui vient procéduriser tout ça.
Des parents de plus en plus contestataires, exigeant le retrait de ce zéro (aucune conjugaison sue le jour du contrôle pourtant annoncé de longue date), contestant telle punition et jurant leurs grands dieux que Chéri ne la fera pas.
Je suis lasse de régler ces questions dans le bureau du CDE. Maintenant, il m'arrive de répondre : "Si vous voulez faire de votre enfant un imbécile, après tout, c'est votre problème, pas le mien."

Le bottage de cul*** pourrait sauver sans doute aucun une bonne moitié de nos cancres qui n'a contre soi qu'une tendance bien naturelle à la paresse. En nous l'interdisant, on condamne ces enfants.
 Sous le clavier de cette collègue, je précise, à toutes fins utiles, que ce bottage de cul n'est nullement physique, il s'agit d'apprendre aux enfants à faire des efforts en leur donnant les notes que leur travail mérite, en ne les faisant pas passer en classe supérieure s'ils ne maîtrisent pas la lecture donc en intervenant tant qu'il est encore temps pour reconstruire un élève déjà bien démoli par des années d'échecs accumulés. Le pire étant l'argument de la toise "ah non, il faut le faire passer en 5e, vous comprenez, il sera trop grand au milieu des 6e si on le faisait redoubler". Cette collègue a proposé au prochain conseil de ne pas regarder les bulletins de note et d'apporter la toise de ses enfants.

La faiblesse n'est bonne ni pour les parents ni pour le monde de l'enseignement. Combien de parents consultent aujourd'hui à cause de l'hyper-activité de leur enfant. La collègue de lettres dont j'ai cité les propos plus haut racontait ce qu'une de ses amis, psychologue, lui avait dit à propos de cette multiplication des cas : "Dans 99% des cas, je suis obligée d'expliquer aux parents que Toto n'est pas hyper-actif, il est juste pas éduqué". 

Restent dans les classes, les autres, ces deux tiers de classe jamais très méchants - tant qu'il n'y a pas d'agitateurs impossible à gérer en classe - jamais très travailleurs, pas forcément très mal élevés... qui trinquent et trinqueront encore des années. Sauf si l'on réagit. Les programmes actuels des candidats à la présidentielle font dire que l'on va encore attendre longtemps une réaction. 

Pour finir en beauté, je viens de lire ce billet (clic) sur le blog l'instit'humeurs. Là, comment dire... ce n'est pas rassurant.


P.S.: et que personne ne croit me faire plaisir en me renvoyant vers la vidéo de SOS éducation qui circule sur le net depuis quelques semaines, parce que ceux-là je leur prépare une réponse à la hauteur de la bouse qu'ils diffusent. 


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18/10/2011

Vous avez dit "histoire-géo en option?"

Une amie, en poste dans le secondaire, a pointé du doigt ce qui pourrait bien être une nouvelle arnaque du ministère. Si vous vous souvenez, l'année dernière, il a bien été question de la place de l'histoire-géographie dans le programme en lycée. Plus exactement, il était question de rendre optionnelle l'HG du programme de Terminale scientifique. Mais puisqu'on vous dit que les scientifiques ont d'abord besoin de renforcer leur excellent niveau en sciences (là, si j'ai des collègues de maths et de physiques qui lisent, ils doivent être en train de s'étrangler, mourir de rire ou rire tout simplement jaune). Et puisqu'on vous a dit, bandes de profs j'menfoutistes toujours soupçonneux et mal intentionnés, que le volume horaire d'HG sera juste juste concentré en seconde et en première et même qu'il y aura possibilité de faire plus d'HG en choisissant cette option en terminale! 

Ben voyons.


Voici ce que nous écrit cette collègue, Oiseau Phénix:





Parmi les grands dispositifs de la réforme du lycée mise en place depuis la rentrée 2010 (classe de seconde) figure la suppression de l'enseignement obligatoire de l'histoire-géographie en Terminale Scientifique à la rentrée 2013, les élèves de Première S passant donc l'épreuve du baccalauréat dans cette discipline, de manière anticipée en juin 2012.
Il a néanmoins été prévu que les élèves de section scientifique ayant passé cet examen en histoire-géographie à la fin de leur classe de première pourraient, sur la base du volontariat, poursuivre en terminale (à partir de la rentrée 2013 donc) cet enseignement, qui donnerait lieu à une évaluation finale prenant la forme d'une épreuve optionnelle au baccalauréat.

Néanmoins, chaque rectorat semble avoir décidé de n'ouvrir l'option dans chaque lycée qu'à la demande expresse du chef d'établissement, et ce, selon un calendrier qui diffère d'une académie à l'autre. L'information concernant les dates limites n'est absolument pas connue par les enseignants d'histoire-géographie, alors qu'il est urgent pour eux de pouvoir s'assurer que les chefs d'établissements ont bien adressé une demande, pour instruction au rectorat, et pour information à l'inspecteur d'académie.

A terme, nous, professeurs d'histoire-géographique, sommes menacés de voir disparaître définitivement notre enseignement en classe de terminale scientifique. Pensons aux lacunes, dans un domaine majeur des sciences humaines, d'élèves de filière scientifique qui n'auront reçu cet enseignement dans leur parcours intellectuel de lycéens que durant deux années. Rappelons nous que de nombreux élèves de cette section peuvent se destiner à des classes préparatoires littéraires ou économiques et sociales, à des écoles comme Sciences Po. Sans parler, plus fondamentalement, des conséquences sur leur formation intellectuelle et civique.
Pour ce qui est du nombre de postes, il semble également évident qu'il s'agit à terme d'aller encore vers des suppressions massives, qu'une telle démarche ministérielle ne saurait que favoriser, avec l'aide des rectorats qui n'offrent pas aux enseignants la possibilité réelle d'ouvrir cette option à temps, faute d'information sur le calendrier académique.

Réveillons-nous !

Je ne sais pas comment vous comprenez le truc, mais moi,  j'ai l'impression d'un attrape-couillon, si vous me permettez ce mot un peu rabelaisien. Je ne peux pas estimer en l'état les conséquences en terme de postes, mais en terme de culture générale des étudiants, j'imagine très bien le massacre. Déjà qu'entre ce que l'on enseigne en cours et ce que retient la majorité des élèves, il y a comme une différence. Qu'en l'état actuel, les connaissances  de nos bacheliers sont rarement exceptionnelles... et je ne vous dis pas quand on leur évoque leurs programmes de collège, là, en général ils vous regardent avec de grands yeux vides. Ouhlà... Quatre ans avant? Il faudrait qu'ils se souviennent d'un truc vieux de quatre ans? Imaginez si pendant un an ils ne font plus d'histoire géo, je fais le gros dos et je m'attends au pire...

Mais comme nous sommes de gros chanceux, il n'y aura sans doute pas eu une profession épargnée par les mesures publicitaires du gouvernement. Ça me fait penser à la taxe professionnelle, supposée être supprimée. Oui-da. L'État ne la touche peut-être plus. Sauf que les entreprises la versent toujours - ou son équivalent, mais augmenté sinon ce n'est pas drôle -  aux collectivités locales. Et bam !

Je suis sûre que l'on pourrait s'amuser de toutes les mesures prises en relevant l'écart entre le discours et la réalité. M'est avis que l'exercice serait édifiant. 



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17/10/2011

Au revoir, Madame

Deux liens ce soir, mes mots sont inutiles, ou seulement pour dire aux membres de la famille de Lise Bonnafous, à ses amis et à ses collègues que leur peine est partagée, par ceux qui ne la connaissaient pas et qui ne veulent pas qu'elle soit oubliée.

Un article de rue 89.

Il y a quelques mois, un professeur de Lettres, Claire-Hélène, poussé à bout démissionnait et tentait de secouer l'opinion.

Bien d'autres exemples ont été donnés aujourd'hui, dans les journaux; ici sur France 3 Roussillon et ailleurs.
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16/10/2011

Trop "dure"?

Chronique de Bruno Frappat dans le Dauphiné*
http://www.ledauphine.com/france-monde/2011/10/16/profs-en-detresse

La mort d’une femme, s’immolant par le feu en pleine cour de récréation de son lycée, jeudi, à Béziers, a bouleversé la France entière. Une “marche blanche” aura lieu lundi pour honorer sa mémoire. Cette femme, professeur de mathématiques, âgée de quarante-quatre ans, n’était pas une débutante. Elle était chevronnée. Elle enseignait dans les sections générales d’un établissement et faisait preuve, dit-on, d’un haut niveau d’exigence vis-à-vis de ses élèves. Certains d’entre eux, semble-t-il, la trouvaient trop “dure”, trop sévère. Elle leur a répondu en se donnant la mort.

Elle se faisait une haute idée de son métier. Trop haute ? Nul ne saurait déterminer la cause d’un suicide. Car il n’y a jamais de cause unique s’il y a, souvent, une goutte de malheur qui fait déborder la coupe de la désespérance et pousse au passage à l’acte. La seule chose à observer, dans le cas de cette femme, est le choix du lieu de sa tragédie. La cour de son lycée. C’est un message terrible et fort. Il signifie que toute la société doit s’interroger sur ce qui se passe dans les établissements scolaires. Et pas seulement dans ceux qui sont réputés “difficiles”.

L’école est le lieu où les adultes sont censés former des jeunes aux exigences de l’avenir. Les nourrir, intellectuellement. Mais, si l’on accède souvent à ce métier par vocation, par passion, par amour de ce que vous a apporté à vous-même le système scolaire (les profs sont souvent d’anciens bons élèves), la réalité d’aujourd’hui est pesante, aléatoire, inquiétante. Bien des élèves se rebiffent, déformés par les dégâts d’images consommées à l’excès, d’un langage désarticulé appris dans des familles éclatées où l’autorité se dilue. Il n’est pas nécessaire d’être sociologue de l’éducation pour faire ce constat : jamais, sans doute, dans l’histoire de notre pays l’enseignement aura été une mission plus complexe, plus pénible, plus risquée en termes d’équilibre personnel.

Face à cette difficulté montante, face à la solitude du prof, seul adulte dans ses classes troublées, la société exprime tour à tour de la solidarité ou de l’indifférence, quand elle ne va pas jusqu’au mépris. Cette femme, disent certains, n’avait pas assez de soutien dans son lycée. Et autour du lycée, dans l’administration, chez les politiques, chez les parents, en avait-elle ? Elle a donné sa réponse. Sa dernière leçon.
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15/10/2011

En hommage à Lise Bonnafous

Notre collègue du lycée Jean Moulin de Béziers, Madame Lise Bonnafous, a pris la décision terrible de mettre fin à ses jours jeudi 13 octobre à 10h. Elle s'est immolée dans la cour du lycée, sous les yeux des élèves et de ses collègues de travail. Ses graves brûlures ont entraîné sa mort ce vendredi 14 octobre.

Les collègues biterrois de Lise Bonnafous, dans les cités scolaires Henri IV et Jean Moulin, ont exprimé toute la peine et la colère que ce drame a suscité en eux. "Solidarité avec Lise", "Plus jamais ça" : ces phrases ont émaillé leurs témoignages. Ils organiseront lundi à Béziers une marche blanche en mémoire de Lise Bonnafous, et rendront hommage à la défunte durant les prochains jours.

Mais cet événement terrible doit avoir un écho au niveau national. Le suicide d'un enseignant sur son lieu de travail, et dans des conditions aussi violentes, doit être l'occasion d'une profonde prise de conscience de la part de toute la société.

Suite aux discussions entre collègues qui ont eu lieu sur le forum neoprofs.org, nous invitons l'ensemble des professeurs, ainsi que toutes les personnes émues par ce décès, à porter un brassard blanc lundi 17 octobre 2011 à partir de 14h, heure de la marche qui aura lieu à Béziers en hommage à Lise Bonnafous. Nous vous invitons également à porter ce même brassard jeudi 20 octobre au matin, une semaine après l'immolation de l'enseignante qui a eu lieu jeudi 13 octobre à 10h.

D'autres actions collectives peuvent être envisagées : certains collègues envisagent par exemple d'observer une minute de silence lundi 17 octobre à 14h, ou jeudi 20 octobre à 10h. D'autre part, les syndicats de l'Education nationale relaieront, le cas échéant, les appels au débrayage lancés par les collègues biterrois.

Toutes nos pensées vont aux collègues, aux personnels techniques, à l'administration, aux cadres et aux élèves de la Cité Jean moulin de Béziers, qui ont perdu une collègue dans des conditions terribles. Ils ont malgré tout trouvé la force nécessaire pour appeler l'ensemble de la société et des enseignants à rendre hommage à Lise Bonnafous. Nul doute qu'ils auront besoin d'un soutien amical, fût-il symbolique, de la part de toutes celles et ceux qui se sentiront touchés par le décès brutal et violent de Lise Bonnafous sur son lieu de travail.

Outre les discussions qui ont eu lieu sur neoprofs.org, plusieurs témoignages d'hommage sont déjà lisibles sur internet :
- Sur Facebook, un groupe d'hommage a été créé par un élève de Lise Bonnafous : http://www.facebook.com/#!/groups/291836954161765/
- Sur Facebook également, une page d'hommage a été réalisée par un enseignant : http://www.facebook.com/#!/pages/En-hommage-%C3%A0-Lise-Bonnafous-du-lyc%C3%A9e-Jean-Moulin-de-B%C3%A9ziers/301406463219576
- Un blog consacré aux réactions suite à ce suicide a été lancé : http://hommagealisebonnafous.unblog.fr/

Merci de relayer ce message auprès de vos contacts, de vos collègues, de vos proches et de vos amis, ainsi que sur les supports de communication (sites, blogs...) et sur les réseaux auxquels vous participez habituellement.
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14/10/2011

Sous l'oeil de Big Brother, évaluons les moutons

L'université a déjà commencé à faire les frais de la mode des évaluations (Changaï, toussa, avec des statistiques interprétées par des types qui n'y comprennent rien) mais mais mais... vous n'avez tout de même pas cru que les choses allaient s'arrêter là. 

Quand même. 

Voyons. 

Soyez raisonnables. 

Nous avons eu le socle commun de compétences. 

Maintenant, c'est dès l'âge de cinq ans que les enfants devraient être évalués (clic). "RAS" (pour "rien à signaler"), "risque" et "haut risque".Rangés dans trois petites boîtes. Comme moyen de donner confiance à un enfant, il faut avouer, on est au top. Mais tout est compensé, puisqu'il est question de supprimer les notes, si traumatisantes. Cherchez l'erreur.

Actuellement, les professeurs sont invités à repérer les enfants en difficulté ou au comportement perturbé (et perturbateur) en classe de 6e. Et à communiquer sur ce point avec les professeurs des écoles qui ont eu ces enfants. En règle générale, ce sont les mêmes élèves avant et après le passage du CM2 en 6e. Remarque d'une collège "et on attend quoi pour classer à haut risque les foetus qui auront fait une grimace lors de l'écho des trois mois?" Que je sache, depuis des décennies, les instituteurs et professeurs des écoles connaissent les élèves en difficulté et font souvent ce qu'ils peuvent pour les orienter en soutien. Dans les années 80, existaient de fait des heures de soutien, depuis ont été créés les RASED.
Parce que, précisément, rien n'est prévu pour remédier aux difficultés constatées grâce à ces fabuleuses évaluations-bam-bam-bam-roulements de tambour. Si l'on sait qu'un élève a des difficultés et que l'on fait une petite fiche, très bien. Mais si l'on ne fait rien pour corriger les premières erreurs, à quoi sert cette fiche? Mon petit doigt, qui lui aussi est très mal intentionné, me dit que ça va surtout servir à classer les écoles pour distribuer des primes (ou pas). Parce qu'aider un gamin en difficulté, ça peut passer par une aide proposée aux parents, une mise en sécurité du gamin si le milieu familial pose de sérieux problèmes, des heures de soutien voire - rêvons un peu - un changement radical des méthodes de lecture...

Je ne suis d'ailleurs pas seule à tousser là-dessus, vous imaginez bien, il y en a aussi qui font du mauvais esprit sur le lepost.fr. En attendant, on demande des évaluations, ah non, des rapports sur le suicide des enfants à Boris Cyrulnik. Pour en faire à peu près le même usage, c'est-à-dire, rien, dans le meilleur des cas.

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11/10/2011

Les Trois mousquetaires - Ninja power !

J'ai failli une double crise cardiaque aujourd'hui. Ce n'est pas exactement le genre de chose qui arrive tous les jours, en général j'ai d'autres problèmes mais pas celui-là.

En fait l'une était prévisible, l'autre nettement moins. Dans les deux cas, ah non en fait dans un seul, celui qui était prévisible, j'avoue, je cherchais à me détendre entre deux pages de cours à rédiger et trois diaporamas à préparer pour rendre mon cours plus... plus... enfin pour faire joli quand je cause dans le micro (ou pas, mode Pierre Chaunu on). D'ailleurs, il faudra songer à placer les écrans des diaporamas sur le côté des amphis et pas derrière l'enseignant. Parce que se tordre le cou pour commenter une gravure, ce n'est pas terrible. Encore heureux quand il ne faut pas se lever en veillant à ne pas faire le pas de trop qui me ferait tâter du sol de l'amphi, quatre marches plus bas, plus vite que prévu. 

Plus joli, ce n'est même pas vrai, vu que l'on s'efforce d'expliquer aux étudiants les usages de l'image en histoire. On est des gens sérieux, quand même. Enfin, on essaie. Je ne doute pas que l'image soit un intermède sympathique pour nombre d'étudiants, mais ce n'est pas une raison. Ma démogagogie n'en est pas encore à faire voter pour ou contre la mort de Louis XVI en direct. Tiens, il nous faudrait ça, des manettes de vote. Ça pourraît être amusant. Je suis sûre que bien tourné, ça pourrait passer pour un projet TICE innovant (TICE: technique de l'information et de la communication pour l'enseignement ou LE truc branché de l'éducation depuis une grosse quinzaine d'années). Le truc qui fait que l'on distribue des portables aux mômes des quartiers défavorisés quand les enseignants doivent faire avec l'ordinateur, l'imprimante et le scanneur achetés avec leur premier salaire. Quand on voit l'état des manuels scolaire au bout de trois mois, je ne voudrais pas être réincarnée en portable pour adolescent, moi.

Bref, je suis tombée sur le dernier billet de L'odieux connard (c'est pas moi, c'est lui qui s'est nommé comme cela) (clic) à propos du dernier film portant à l'écran Les trois mousquetaires. Quand les Américains se mêlent de l'histoire de France et reprennent de manière terriblement originale le seul roman de Dumas qu'ils ont l'air de connaître, ça donne cette daube infâme. 

Il faudra quand même qu'un jour on m'explique pourquoi il faut absolument faire subir ce genre de supplice à un roman qui connaît assez de rebondissements comme cela. À la limite, si les Trois mousquetaires, personne n'en peut plus, ben, on a encore de quoi faire avec le reste de l'oeuvre de Dumas. Ce n'est pas comme s'il n'avait écrit qu'un livre. Quelqu'un peut se dévouer pour expliquer ça aux réalisateurs de bouillies américaines à gros budget? 

Déjà qu'avec les films français nous avons eu droit à La Fille de d'Artagnan avec  Sophie Marceau. Qu'elle montre ses seins en se dépoitraillant d'un geste à l'élégance absolue est à peu près le seul intérêt de ce film. Dans les Demoiselles de Saint-Cyr nous avions eu droit à un supposé projet de Madame de Maintenon de former les demoiselles - de St-Cyr donc - au métier d'avocat. Ben ouais. La vieille dévote a révolutionné l'éducation des jeunes filles, vous ne le saviez pas, Patricia Mazuy vous le révèle. Bam! Les innombrables versions du Bossu de Paul Féval nous livrent à chaque fois une amazone rebelle en lieu et place de la douce Aurore de Caylus (au hasard, la version de Broca de 2009 ah non, 1997)... j'en passe et des meilleures. 
Évidemment, il faudrait citer aussi la reine Margot de Chéreau, où notre bonne princesse Marguerite va courir la gueuse, ah non, le gueux, dans les rues de Paris, pour compenser les insuffisances de son époux. Je veux bien qu'une des maîtresses d'Henri de Navarre (Henri IV) lui a laissé la réputation de ne pas être un grand abatteur de bois (vous voyez cette chanson de Brassens, sussurrée par l'épouse d'un président, oui, celle-là (clic)? ben ça tourne autour de ce sujet). Mais il ne faut pas quand même pas exagérer. Pour certains, la palme du n'importe quoi est détenue par un obscur navet intitulé "Blanche" sorti en 2002, film de Bonvoisin avec Lou Doillon dans le rôle titre. Pour avoir eu un moment d'égarement, enfin être allée le voir en salle, je me suis demandé tout au long du film si c'était du premier ou du second degré. Si c'est l'hypothèse 2, il aurait fallu interner d'urgence le réalisateur. Dire que Jean Rochefort a joué là-dedans... Il devait vraiment avoir faim. Ou envie de rire.


Ma deuxième crise cardiaque de la journée - le cas non prévisible - j'étais simplement en train de travailler quand une âme charitable m'a envoyé un message avec ceci (âmes sensibles, détournez les yeux): 




Trouvé sur un cours en ligne. Non, je ne donnerai pas le nom du responsable. J'aurais bien aimé le contacter pour tousser, mais il n'y avait que le mail du responsable du site (académique) et pas de l'enseignant. Je suis restée atterrée. Parce que oui, les bourgeois ont des privilèges sous l'Ancien régime et TOUS les sujets du roi sous l'Ancien régime ont des privilèges. Puisque cette société ne se concevait pas en terme d'égalité mais de privilèges garantis à chacun selon ses "besoins" c'est-à-dire sa place dans la société, son métier. Un noble ne payait pas la taille car il payait l'impôt du sang (qui n'est pas une légende, nombreuses ont été les familles nobles décimées par la guerre). Un bourgeois - habitant d'une ville avant le XIXe siècle - de Paris ne payait pas la taille pas plus que les autres Parisiens. Les bourgeois des autres villes payaient moins de taille que les ruraux car beaucoup de villes avaient négocié un "abonnement", taux d'imposition moindre. Les habitants d'une paroisse perdue au fin fond du royaume avaient eux-aussi des privilèges. Le roi est à la tête d'une société qui est une justaposition de groupes privilégiés. La seule chose c'est qu'effectivement, le mot "privilège" a changé de sens passé les années 1750 et qu'il a désigné les droits accumulés (et l'enrichissement) d'une frange de la noblesse, très fortunée  (la noblesse de cour pour aller vite) et une partie du clergé également très aisé (les évêques). Ce qui est triste c'est qu'un tel raccourci montre d'abord que le professeur n'a pas compris le système politique de l'Ancien régime (en fait le système politique qui remonte au-delà, jusqu'au Xe siècle au moins). Donc qu'il ne comprend pas plus de 8 siècles de l'histoire politique française. Du coup, le jugement l'emporte, l'Ancien régime se confond avec la tyrannie des puissants sur les faibles. 

Tristesse. Pauvre époque moderne, toujours aussi malmenée... J'en viens à rêver des vieux films de cape et d'épée où l'on voyait nos ancêtres autrement que comme de pauvres guenilleux arriérés.


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02/10/2011

Les femmes ont-elles une âme?

Oui, bon, d'accord. L'accroche est grossière, elle a la finesse d'un politique à l'ignorance encyclopédique s'essayant aux références historiques. C'est lourd, c'est énorme même.

L'ignorance encyclopédique, cette formule n'est pas de moi mais d'un de mes anciens professeurs. Il faisait ainsi référence à l'admirable sortie d'une certaine Ségolène R. vers la fin des années 1990 quand elle avait cru bon de rappeler que pour l'Église du Moyen-Âge les femmes n'avaient pas d'âme. En général, quand on cite quelque chose de mémoire, on exagère. J'ai cru que ma mémoire me faisait exagérer. Là, non, la phrase d'origine était pire encore:

Le 9 janvier 1998, lors du journal de vingt heures sur France 2, Ségolène Royal, alors ministre de l’enseignement scolaire, stigmatise les réticences de l’Académie française à l’égard de la féminisation des titres et des noms par cet argument: « Cela me fait penser aux interrogations du concile de Trente qui se demandait si les femmes avaient une âme »
Il faut s'estimer chanceux, pour une fois, ce n'était même pas le Moyen Âge qui s'en prenait plein la gueule, c'était le XVIe siècle (oui le concile de Trente c'est bien au XVIe siècle...).

Soit dit en passant, non le concile de Trente (le concile de la réforme catholique, répondant aux réformes protestantes mais pas que) ne s'est pas du tout penché sur l'âme des femmes mais, pire encore, l'Église n'a jamais discuté sur ce fait. Tout au plus lors du concile de Mâcon en 585 (oui, ça date, je sais) se produisit un incident, raconté de la manière la plus savoureuse qui soit par mon Grég, enfin, Grégoire de Tours, évêque du VIe siècle (et auquel je dois ma très chouette note au CAPES. Depuis je l'aime). J'aime particulièrement la manière dont il rapporte ce qui s'est passé ce jour-là:
« De plus, on confondit lors de ce synode un évêque qui prétendait que la femme ne peut pas être appelée être humain (mulierem non posse dici hominem). Voilà bien une question sérieuse et digne d'être discutée dans un synode. Moi, j'aurais mis cet évêque à garder les porcs. Car si sa mère n'était pas un être humain, il était apparemment né d'une truie"
Et toc! Évêque machin-truc 0, mon Grég 1!
En gros, comme mon Grégounet, les hommes du Haut Moyen-Âge maîtrisaient mal le latin; il y a eu des discussions à base de "Dites, les potes, un homme, ça se dit comment en latin? Vir ou Homo? ". 

Les femmes ont donc une âme, sur ce point, l'on est rassuré. Néanmoins, comme elles appartiennent bien au genre humain, on compte un paquet de cruches dans leurs rangs. Le pire est atteint quand elles briguent envers et contre tout une présidence. Je ne cultive aucune solidarité liée au genre (bouh! Le mot à ne pas prononcer ces temps derniers...) donc je peux me permettre ce vilain jugement pas gentil. 

À propos de genre, j'ai bien aimé les réactions horrifiées de quelques politiques, récemment, à propos du supposé enseignement inspiré par les gender studies au lycée. J'ai eu l'étonnement de voir des centaines de personnes s'étriper sur la place publique sur un sujet... étudié à l'université par les historiens notamment et à l'origine de nombre de publications passionnantes, sans que cela ne fasse de bruit. Remarquez, l'objectif du chercheur n'est pas nécessairement de prendre parti, surtout à partir de ses opinions personnelles. En revanche, on ne refuse aucun problème a priori. Ensuite, cette notion, familière aux historiens, les intéresse surtout sous un angle précis. Il s'agit, très grossièrement, d'étudier les codes culturels qu'une société attribue à chaque sexe. J'ose espérer que personne n'ira nier que selon chaque sexe, un comportement est attendu par une société et une culture données. Enfin, dans la mesure où un enseignant parle bien de théorie, je ne vois pas le problème. Encore moins quand arrive l'information selon laquelle il ne s'agit pas d'un paragraphe des programmes officiels mais... d'un manuel. Et une fois de plus, une polémique qui fait pschiiiit... Ce qui demeure, c'est que la bêtise n'a pas de parti, au cas où l'on en doutait (je n'aurais pas dû lire les commentaires sur les sites d'informations, je n'aurais vraiment pas dû...).

À propos des femmes, de leur histoire, de leur place dans la société, une lectrice, Sofia, me demandait quelques références à propos du statut de la femme dans l'Eglise catholique durant le bas Moyen Âge. Las, j'avoue n'être pas très au point sur ce sujet. Mon réflexe primaire me ferait lui conseiller d'abord ce classique: 
- Christiane Klapisch-Zuber (dir.), Histoire des femmes en Occident, Paris, Perrin, 2002 (un grand classique sous la direction de G. Duby et M. Perrot). 
et de partir éventuellement de la bibliographie pour aller plus loin. 

En fait je ne crois pas qu'il y ait une spécificité dans le traitement des femmes par l'Église au bas Moyen Âge (soit vers le XIVe-XVe siècles). L'apparition des béguines dans les Flandres leur a t-elles donné davantage de liberté? Je ne vois rien d'autres. Bien sûr quelques figures éclatantes, comme Christine de Pisan. Alors d'autres références dans lesquelles j'espère que  Sofia et d'autres trouveront leur bonheur: 
- Françoise Thébaud, Ecrire l'histoire des femmes et du genre, Paris, ENS, 2007
- Michelle Perrot, Les Femmes ou les Silences de l'Histoire, Paris, Flammarion, 2001.
- Jean-Marie Mayeur, Charles Pietri, André Vauchez et M. Venard, Histoire du christianisme, tome 6 : Un temps d'épreuves, 1274-1449 (énorme mais passionnante qui va souvent bien au-delà de la seule histoire religieuse)
- Françoise Autrand, Christine de Pizan, Paris, Fayard, 2009.
- Patrick Carlot et Éric Gasparini (dir.), La femme dans l'histoire du droit et des idées politiques / XVIe-XIXe siècles, Dijon, Éditions universitaires de Dijon.

Bonne lecture ! 
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