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Une envie de livres ?

30/03/2009

Jeux de princes, jeux de vilains, expo de l'Arsenal (Paris)

Je croyais que cette expo était terminée, eh non ! Alors je vous la conseille, à la fois amusante et occasion d'apprendre encore et toujours de nouvelles choses... Si vous voulez en savoir un peu plus c'est le sujet de l'Humeur vagabonde de ce soir, et voici le résumé du livre de l'expo:


Jeux de princes, jeux de vilains
Exposition. Paris, Bibliothèque de l'Arsenal (2009)
Editions Seuil
Beaux livres (159 pages)
Paru le 12/03/2009
38.00 euros

Biribi, brusquembille, cavagnole, échecs, hoc, nain jaune, pharaon, piquet, trictrac, whist et antiwhist... : connus ou oubliés, les jeux ont une histoire. Même quand leur origine locale semble avérée, récits mythologiques et sources littéraires s'accordent sur leur provenance lointaine : de l'Orient mystérieux, d'Italie ou d'Espagne, les jeux, constante de l'humanité, ont voyagé pour parvenir jusqu'à nous. . Depuis l'Antiquité, le jeu fait débat. Aristote n'y voit pas une source de bonheur, Montaigne le considère comme l'activité la plus sérieuse des enfants, Locke le préconise à des fins pédagogiques et, pour Schiller, «L'homme n'est tout à fait homme que là où il joue.» . Appréciés pour l'éducation des princes - les échecs - ou interdits par les autorités de l'Église parce qu'ils poussent au blasphème, à la cupidité - les dés - et à la violence, les jeux occupent, dans la société médiévale, les réflexions des clercs. À l'âge classique, le jeu, qui règne sur les loisirs de la noblesse, déferle dans les salons et submerge la cour, cependant que pièces de théâtre et pamphlets dressent le sombre tableau du joueur dont la passion funeste et incoercible ruine la famille. Au XVIIIe siècle, enfin, les jeux d'argent gagnent les diverses couches de la société, envahissant billards et cabarets, tripots clandestins et académies tolérées. L'État lui-même, profitant de cet engouement, crée en 1776 la Loterie royale... . Essentiellement consacré aux jeux de réflexion, de stratégie et de hasard, ce livre rédigé par une équipe de spécialistes et richement illustré (modestes dés en os trouvés dans les fouilles archéologiques, jeux de quadrille aux incrustations de nacre, bourses aux armes de la famille royale, damiers d'ébène et d'ivoire, jeux de l'oie...) initie même le lecteur aux détours du monde de la divination et aux prémices du calcul des probabilités...
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29/03/2009

L'IUFM soigne sa réputation (et il a fort à faire)

J'avoue, j'ai ri. Et même beaucoup. Mais un peu sur l'air de "mais de qui se moque-t-on?".
Pour partager mon hilarité, allez voir ici la vidéo (trouvé sur le blog de la grosse feignasse... ce n'est pas moi, c'est elle qui le dit) de l'IUFM de Paris.

J'ai adoré la métaphore de l'avion sans co-pilote diplômé... Il faut oser, quand même. Parce que si j'ai bien eu le sentiment d'être lâchée sans pilote, dans le vide, c'est bien avec la formation reçue en stage à l'IUFM, pas celui de Paris, certes, après le succès aux concours. Alors que l'IUFM OSE dire que sans formation ça sera pire! C'est se f*** de la g**** du monde !

Et ce qui est merveilleux, c'est que la grève du supérieur, due en partie au flou très artistique du gouvernement, donne de l'eau au moulin des IUFM.

Pendant mon année de stage, voici ce qui s'est passé:

- mon tuteur n'a pas tutoré grand chose. Ce n'est pas qu'on ne les voyait pas nos tuteurs; tous les jeudis, on les voyait. Pour faire à chaque fois le même exercice : préparer une séance qui s'inscrit dans une séquence (j'ai mis quelques semaines à comprendre, je sais, je suis lente d'esprit) alors qu'on nous rabachait qu'avec les élèves il fallait VA-RI-ER les exercices! En fin d'année, il a inspecté mon cours, et j'ai passé un oral devant lui, en présentant un mémoire professionnel. Je vous épargne la préparation du mémoire, exercice oiseux d'auto-flagellation sur ses propres cours, à présenter en fin d'année. Ces jeudis étaient un supplice, on faisait en une journée (enfin journée IUFM hein, restons sérieux, 9h-12h avec pause kawa d'une demie-heure, puis 14h-16h) ce que l'on aurait pu boucler en trois heures (sans exagération).

- ma conseillère pédagogique (qui était enseignante titulaire dans l'établissement où j'étais nommée) s'est occupé de moi quand elle n'avait pas ses mômes à aller chercher à l'école (ce qui a été le cas du jour de la pré-rentrée, moi j'aurais bien aimé un peu plus qu'une demie-heure de formation avant le grand saut du lendemain, m'enfin...) ou quand elle n'était pas prise par un jury de concours de Professeur des écoles, par des formations à l'IUFM ou autre divertissement (rayez la mention utile). Le reste du temps elle m'a bien fait comprendre que je m'y prenais comme un manche, que je n'avais pas de "présence" en classe, que j'avais des problèmes d'autorité avec les élèves (merci, mais c'est trop tard poulette, je m'en suis rendu compte, tu sais...) mais que c'était mort pour rattraper la chose (merci de m'aider, poulette, j'avais pile poil besoin de ça) jusqu'au moment où elle s'est rendu compte, que j'avais en partie réussi à reconquérir de l'autorité, toute seule. Ah si j'oubliais, quand j'ai reçu l'inspection de mon tuteur, elle m'a très aimablement planté un couteau entre les deux omoplates, en me dézingant devant le tuteur. Je ne dirai pas ce que j'en pense, non, non, non je ne le dirai pas...

- le reste : les formations minables du mercredi matin, en ZEP, pour faire class' et mettre l'ambiance. Sauf qu'à part un jour où l'on est sorti voir les mômes, le reste du temps, nous étions cloîtrés dans une salle, et nous attendions la pause café comme un moment miraculeux... C'est là que j'ai entendu des énormités du style "De toute façon vous ne comprendrez rien aux situations d'échec vu que VOUS vous êtes d'anciens bons élèves, alors que MOI, l'échec, j'ai connu, blablabla..." Ou que le redoublement traumatise les élèves.

J'ai donc commencé mon année, sans savoir comment faire un cours, sans savoir comme "prendre" une classe; les premières formations à ce sujet sont arrivées quinze jours après la rentrée. Il y a eu une grande discussion avec les formateurs sur la pertinence d'un pareil apprentissage à pareille date :"oui mais vous comprenez, s'il fallait vous former avant la rentrée, il faudrait commencer la formation en août et du coup, il faudrait vous payer dès le mois d'août alors qu'une année scolaire ne commence comptablement qu'en septembre, etc". On marchait sur la tête.


Ah j'ai failli oublier: d'indispensables formations d'apprentissage de l'enluminure, et un atelier photo numérique, très bien pour les prochaines vacances (de prof).

Mais mais mais, les formateurs ont trouvé le moyen d'essayer - quand même - de faire pleurer dans les chaumières, en nous disant "Oui, mais, à notre époque, on n'avait aucune formation, alors une formation insuffisante, c'est quand même mieux qu'à notre époque sans formation du tout". Bien voyons. Je n'ai jamais léché les bottes de qui que ce soit pour réussir à l'université, mais à l'IUFM il a fallu y passer. Ce que j'ai eu envie de vomir. Au bout de quelques semaines, des rumeurs disaient qu'un collègue stagiaire et moi étions dans la ligne de mire. Trop contestataires. Il fallait faire comme on nous le disait à l'IUFM, sinon, nous serions recalés. J'en aurais pleuré de rage. Bosser comme une damnée pour obtenir ces ù£*§+@ de concours, et s'entendre dire ÇA ! Mais j'y suis passée...

Alors que l'on me prouve que sans formation ça sera pire! Pire peut-être pour l'avenir des IUFumeux, mais certainement pas pour les lauréats des concours!


Le seul truc utile que j'ai appris, m'a été donné entre deux portes par un collègue qui fuyait tout ce qui avait des rapports avec l'IUFM "Ne promets jamais rien à tes élèves que tu ne puisses exécuter sur le champ et fais tout ce que tu promets". C'était mieux que le seul enseignement de ma conseillère pédago selon laquelle "les enfants sont comme de petits animaux".


Et de vous à moi, demander à un jeune enseignant de préparer une année entière de cours pour un niveau, et ne lui donner qu'une classe de ce niveau, c'est se moquer du monde. Je n'ai jamais autant appris que le jour où j'ai commencé à avoir plusieurs fois le même cours à répéter devant plusieurs classes du même niveau. Parce que LÀ on ne peut pas déborder de l'heure en se disant que la prochaine fois, on reprendra là et puis c'est tout. Parce qu'il faut finir au même endroit avec tous, sinon ça devient ingérable.

Donc doubler le tiers temps des stagiaires ne me semble pas idiot du tout. Pour ce que l'on apprend du métier en dehors de la classe...


Reste que délivrer le master à des gens qui auront échoué au concours (possibilité contenue dans la réforme telle qu'elle est prévue) est une ânerie. Il faut que l'un conditionne l'autre, absolument.

Et on a peut-être d'autres sous à dépenser dans l'immédiat, d'autres priorités que d'accroître le nombre d'années de bourses par étudiant (il faut bien financer les bourses des étudiants boursiers qui prépareront un master enseignement, non ?), et d'accroître la rémunération des enseignants en les rémunérant à Bac+5, alors que l'on a probablement à peine mis le bout du petit orteil dans les difficultés économiques... Même si je suis assez favorable à la reconnaissance des concours comme année de formation diplômée.
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27/03/2009

Enquête sur les origines ethniques: et dans quel objectif s'il vous plaît?


Pendant que ronronne dans le poste la voix de Sophie (elle raconte une histoire de co-détenu en préventive enfermé avec un assassin à tendance anthropophage), j'en profite pour vous parler d'un très beau téléfilm passé cette semaine dans la petite boîte à images : Le doux pays de mon enfance, de Jacques Renard, avec Daniel Russo et Isabelle Renauld. Rien à voir avec le cinglé anthropophage dans le poste.
"Le doux pays de mon enfance" c'est, me disais-je au début de la séance, le genre de téléfilm devant lequel je comate le soir, quand je ne suis plus capable de rédiger une ligne de thèse (qu'est-ce qu'elles ont toutes à se mettre à sautiller, ces p*%£$§! de lignes, passé 20 h... !) sauf que là, au lieu de la bêtise qui m'exaspère au bout de cinq minutes, j'ai été enchantée jusqu'au bout...

Monique et Roger Joly sont mariés depuis 17 ans. Ils ont deux garçons et leur fille, Chloë, a déjà 16 ans. Directeur commercial estimé d'un garage de voitures de luxe, Roger est aussi un amoureux fou des mots et de la langue française. Un jour, pressé, il oublie de boucler sa ceinture de sécurité. Arrêté par la police, il subit un contrôle. Ses réponses laissent visiblement les policiers perplexes. Peu de temps après, il est convoqué chez le juge d'instruction. Il apprend alors qu'il est accusé d'avoir usurpé l'identité de Roger Joly. Le juge d'instruction affirme qu'il s'appelle en réalité Aziz Bensalah...
Fipa d'or 2006 de la meilleure interprétation masculine pour Daniel Russo dans la catégorie «Fiction».

Le sujet était exceptionnel et surtout extraordinairement bien traité. Jamais manichéen, toujours sur la corde raide sans savoir si l'on est dans la vérité ou le mensonge; l'absurdité de la démarche de l'administration judiciaire, la réflexion sur l'identité nationale, l'assimilation...

Cela m'a fait repenser au projet d'autorisation des enquêtes sur les origines ethniques de la population française. Je n'ai toujours pas compris l'intérêt de ce genre d'enquête, je cherche, je cherche, pas moyen de comprendre. Et j'ai pensé très fort à quelques personnes de mon entourage en me demandant comment elles seront "classées":

- Ciboulette, qui se reconnaîtra: pas vraiment de papiers français, pas un parent ni grand-parents français, tous de quelque part au bord de la Méditerranée, et pourtant, il ne me viendrait pas à l'idée de ne pas la considérer comme Française (pour autant que la question ait de l'intérêt)
- un ancien collègue de mon mari. Appelons-le Mohamed. Enfant de l'assistance. Il aimait accompagner mon mari pour aller danser dans une guinguette du bord de la Marne, en terminant la soirée par un petite verre. Du genre absinthe le petit verre, à l'occasion.

Ces deux-là et tous les autres, où notre chère administration va-t-elle les caser ? Comme si la couleur des papiers d'identité avait de l'importance... Je ne sais pas moi, savoir si on cuisine à l'huile d'olive ou au beurre, ça c'est intéressant. Si on parle français, un dialecte régional ou étranger, à la maison, ça c'est intéressant. Si on consomme couramment des bananes plantains, du paneer ou du melfor. Bref, réfléchir un peu à ce qui fait l'identité d'un Français, d'un Chinois, ou d'un Péruvien, et aux questions de l'intégration, assimilation ou des modes de coexistances...

Pour le coup, je vais ressortir "L'identité de la France" de Fernand Braudel.
Et puis le "La mosaïque France" d'Yves Lequin et "Et si on faisait payer les étrangers?" de Jean-François Dubost. Voilà.

Pendant que mon mari s'inquiète à l'idée de devoir refaire sa carte d'identité. Hé, c'est que ses grands-parents ne sont nés ni Français ni en France. Et pendant ce temps-là, une de ses employées, origine d'Europe de l'Est, hors Union européenne, mais en France depuis l'âge de 14 ans et ayant grandi dans une famille d'accueil, n'arrive toujours pas à se faire naturaliser... Je vais bien, tout va bien...

Biblio:

Fernand Braudel, L'identité de la France, Paris, Flammarion, 1993.
Yves Lequin, La mosaïque France, Paris, Larousse, 1988 ou reéd. 2006, Histoire des étrangers et de l'immigration en France.
Jean-François Dubost, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Paris, Flammarion, 1999.
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Brève introduction à l'histoire politique (3)


Parler de l'influence du marxisme sur l'histoire politique revient en fait à quasiment ne pas parler d'histoire politique, puisque "l'historien marxiste accorde une attention privilégiée aux phénomènes sociaux, à leur aspect conflictuel, au sort des plus défavorisés surtout" (Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981, p.104).

Mais il faut bien dire qu'entre Boris Porchnev et les historiens français des Annales des années 1930 aux années 1970, il y a un fossé... Porchnev était un historien soviétique, qui a particulièrement travaillé sur les révoltes populaires dans la France d'Ancien Régime, et fut opposé à Roland Mousnier, à propos de la nature des révoltes paysannes du XVIIe siècle: révoltes révélatrices d'une lutte des classes ou non? Pour la présentation des thèses de Porchnev, voir l'article d'Yves-Marie Bercé, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1964, vol. 122, p. 354-358, Porchnev, Les soulèvements populaires en France...



Cependant, on peut difficilement expliquer l'orientation d'un Lucien Febvre sans prendre en compte sa "lecture attentive de Marx" pour reprendre la formule de Fernand Braudel, dans cet article du vol 12, num. 2 de la revue des Annales, 1957, p. 177-182, "Lucien Febvre et l'histoire". L'accent est mis sur le social. Sur les bancs de l'université, on apprend le rejet de l'histoire politique par les historiens qui ont fondé la revue "Les annales", on apprend le courant historique du même nom, caractérisé par le rejet de l'histoire-bataille, d'une histoire politique focalisée sur les grands hommes. Ce rejet est lié au développement d'une histoire plus sociale, plus économique : voyez le Louis XIV et 20 millions de Français de Pierre Goubert. Au lieu de faire une biographie classique de Louis XIV, P. Goubert démontre les forces économiques de ces vingt millions de Français, sans lesquels Louis XIV n'aurait pu être le roi-soleil... Une thèse projetée sur la politique méditerranéenne de Philippe II, thèse de Fernand Braudel (et selon la légende au moins au sens de "ce qui est rapporté à propos de", en partie rédigée de mémoire en camp de concentration pendant la Guerre de 39-45) est devenue une thèse sur la Méditerranée, temps longs, structures, étant mis en valeur...

Comme Marc Bloch avec les rois thaumaturges, Lucien Febvre choisit ce que l'on appelle alors "histoire des mentalités" et aujourd'hui "histoire des représentations", pour écrire son merveilleux "Problème de l'incroyance au XVIe siècle, la religion de Rabelais"; Bloch, Febvre ont ouvert la porte à de grands maîtres de l'historiographie du XXe siècle: Robert Mandrou, Jean Delumeau, Robert Muchembled...
Mais avant ces célébrités, marquées par l'apport de la pensée marxiste, ont oeuvré et compté Paul Mantoux (La révolution industrielle au XVIIIe siècle, 1906) ou Henri Hauser (Les débuts du capitalisme, 1927). La révolution industrielle, concept qui nous est si familier, enseigné au collège, n'est pas une formule qui a existé de toute éternité en histoire, mais a été créée au début du XXe siècle. P. Mantoux a été le premier à développer à partir des analyses de Marx, le concept de révolution appliquée à l'industrie, à l'histoire économique.

À propos de l'histoire politique écrite jusqu'alors, Lucien Febvre a eu des mots sévères (dont on se délecte en cachette, avouons-le...) : critique du tout-politique, critique de l'histoire positiviste, c'est-à-dire, factuelle et certaine d'établir la vérité une fois pour toutes. On a parlé d'une certaine volonté de "tuer le père" de la part des premiers historiens des Annales. Étaient visés en particulier Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, auteurs d'un manuel sur la méthode historique (ne retenir qu'un élément d'un discours permet de le déformer... on le sait bien aujourd'hui encore):

" L’Histoire se fait avec des documents. Le documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de document, pas d’histoire. " (Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, rééd., Paris, Kymé, 1992, Liv.I, chap I, cité dans Charles-Olivier Carbonnell et Jean Walch, Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p.171).
La réponse de Lucien Febvre quelques années plus tard a été cinglante, comme il savait faire:

" L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste-t-elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce qu’elles ne disent pas d’elles-mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites – et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à l’absence du document écrit. " (Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p.428 cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, Folio Histoire, 1996, p82).
Et en marge des Annales, l'histoire politique, un peu occultée, a continué à vivre, à se renouveler grâce notamment à Pierre Renouvin, et notamment l'Introduction générale à l'histoire des relations internationales, de 1953. Néanmoins en 1974, Jacques Julliard écrivait "L'histoire politique a mauvaise presse chez les historiens français. Condamnée il y a une quarantaine d'années par les meilleurs d'entre eux, un Marc Bloch, un Lucien Febvre, victime de sa solidarité de fait avec les formes les plus traditionnelles de l'historiographie du début du siècle, elle conserve aujourd'hui encore un parfum Langlois-Seignobos qui détourne d'elle les plus doués, les plus novateurs des jeunes historiens français. Ce qui n'est pas naturellement pour arranger son cas".

Pour être plus précis, et en revenir au problème de la biographie, ce genre n'a pas entièrement disparu à cause de la désaffection des historiens, en raison de la demande du public. Reste que le genre biographique reste probablement un des plus difficiles, et même traités par de grands noms. Il donne aussi lieu ou a donné lieu à des publications trop souvent très médiocres.

Pour aller plus loin :

- Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981
- M.-P. Caire-Jabinet, L'histoire en France du Moyen-Âge à nos jours, introduction à l'historiographie, Paris, Flammarion, 2002.
- J. Le Goff, P. Nora, Faire de l'histoire, Paris, 1973 (apperçu dans Google Books)
- F. Bédarida et alii, L'histoire et le métier d'historien en France, 1995 (apperçu Google Books)

Vous trouverez également sur le site des classiques en sciences sociales (classiques.uqac.ca/) de nombreux livres de Lucien Febvre, dont Combats pour l'histoire.
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26/03/2009

Promenons-nous dans les bois...



Un peu de merveilleux, trouvé en travaillant mon texte de thèse, l'expo virtuelle de la BNF sur les contes de fées...


Et un peu de provoc' avec l'expo à la BNF Richelieu "Controverses, les photographies à histoire" : l'album est très, très alléchant, je crois que je vais aller m'y balader un de ces dimanches... Dommage, je n'ai pas osé prendre la coupette de Champagne offerte le jour de l'inauguration le 03 mars, je craignais d'être pompette sur mes archives et de m'y endormir... C'est bête la timidité !
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19/03/2009

Au hit parade du slogan stupide...

Comme vous l'avez vu, je n'ai pas été courageuse... Du tout. À ma décharge, le festival du recrutement des enseignants temporaires des universités a commencé, chaque université ouvrant sa campagne de recrutement quand ça lui chante, demande les pièces qui lui chantent, de remplir des dossiers dans des formats informatiques aussi divers et variés que possible. Évidemment aucune centralisation du bazard.

Aussi, je suis prise par la recherche des dates de recrutement, les photocopies de pièces justificatives, la mise à jour du cv, la recherche des bonnes formules pour la lettre de motivation. Très très motivée, il faut que je décroche un poste ou bien je sais ce qui m'attend, un poste dans le secondaire, enfin, 18 heures de cours par semaine au fin fond de la province, très loin de mon mari, à passer mes soirées dans une piaule de location, bouffant mon salaire en aller-retours vers la capitale. Et tout ça pour être remplaçante titulaire sur deux ou trois établissement, dont une ZEP et autres établissements sympas. Quand à la thèse elle passera à la trape.

Vous me direz, le rapprochement de conjoint, ce n'est pas fait pour les chiens.

Sauf que c'est bien pour un conjoint qui a un contrat de travail. Moins bien pour quelqu'un en profession libérale, qui au gré de la conjoncture économique, peut envisager d'embaucher pour développer l'activité à Paris, pour aller quand à lui, rejoindre ses salariés travaillant à l'heure actuelle en province. Ou bien lorsque la conjoncture est mauvaise, peut être contraint de rester finalement traiter la clientèle parisienne, faute de pouvoir embaucher.
En attendant, j'ai été mutée là où l'on pensait s'installer. Pas de bol. Donc j'attends que l'avenir se stabilise, j'attends d'avoir aussi assez de points pour pouvoir demander une nouvelle mutation.

Bref.

Alors pour tenir ma promesse quand même, voici mon commentaire (bougon) sur ce stupide slogan qui fleurit sur les murs "Le savoir n'est pas une marchandise!". Je ne sais pas quel esprit lumineux est l'auteur de cette vaste rigolade, mais j'espère pour l'honneur de l'université, qu'il n'y travaille pas.

J'ai bien ri de cette formule. Le savoir n'est pas une marchandise. Ben dans ce cas les gars (/ les filles) faudra penser à renoncer :

- à vos droits d'auteurs sur toutes vos publications (même si ça ne fait pas vivre, des publications scientifiques, on sait!), du manuel aux actes de colloques, en passant par les articles dans les revues scientifiques

- à votre salaire, parce que vous diffusez du savoir en cours, non ? Vous passez aussi votre temps de recherche à faire progresser le savoir, non ?

- à votre tranquilité : je suppose que vous ne paierez plus les logiciels dauberies-windosiennes que vous utilisez, les livres que vous prélèverez sur les étagères de votre libraire préféré, ni votre redevance tv/radio. Ce qui fait que vous pourriez être amenés les prochains mois à parler avec des huissiers et à jouer au chat et à la souris avec les vigiles. Si, si.


Comme si l'université avait le monopole du savoir. Autant de nombrilisme, ça me sidère. C'est peut-être mon mauvais esprit qui me fait dérailler, mais ce genre de formule ça me fait penser à une anecdote familiale. Le grand-père de mon mari, issu d'une province orientale, égaré en Bretagne, en plein pardon, assista aux prières habituelles, se terminant par un vibrant "Que Dieu bénisse la Bretagne et les Bretons!". Ledit grand-père, sans se démonter, le sourcil pas aimable, se serait levé et aurait fait d'une voix non moins vibrante "Et MEEEEEEEEEERDE POUR LES AUTRES!". Fermez le ban, ya rien à voir...


Merde pour ceux qui se décarcasse pour vendre du savoir qui améliore votre vie quotidienne et y trouver leur gagne-pain.

Je sais qu'un slogan, ça doit être court et claquer au vent. Mais pas à celui de la bêtise.

Autant les pins "Je lis la princesse de Clèves", ça, c'est savoureux. Autant là... "le savoir n'est pas une marchandise", c'est pathétique. Quand à ce que l'université soit rentable, je ne vois pas le problème. Rentabilité ne veut pas forcément dire inhumanité(s). Moi qui croyait qu'être un intellectuel, c'était savoir faire preuve de nuance. Voilà une illusion de moins.
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11/03/2009

Trop d'archives tue l'archive


Vendredi, jour de trouvaille. Fabuleuse, la trouvaille. Pour la deuxième fois j'ai mis la main sur un registre qui a été mal indexé (héhé...) et du coup totalement ignoré jusqu'ici. C'est le truc qui fait monter un chercheur au paradis en trois secondes, montre en main.

Si un jour vous allez dans un centre d'archives, et que vous ne voyez que des visages ronchons ou concentrés, et puis tout d'un coup un type ou un typesse qui se dandine sur sa chaise, avec un grand sourire qui lui traverse la face, ça, c'est un chercheur (en lettres, histoire, ou autre, je ne suis pas toujours sectaire) qui a trouvé. N'en déplaise au grand Charles et son mot pas gentil sur les chercheurs.

Ouais. Jusqu'au moment où on tente d'informer le conservateur du trésor qui se trouve "là, ici, j'vous jure, c'est fabuleux!". Je vous rassure ce n'est pas comme cela que je me suis exprimée. J'ai été très correcte, mentionnant une erreur d'indexation, un ouvrage très rare, ils ont tous été détruits à la Révolution, volontairement, et là, on ne devrait pas en toute logique, avoir conservé celui-ci mais, voilà, il est là, intact. Sur le millier de registres de cette sorte qui a été mis au pillon dans les années 1790, il en reste environ une dizaine, réchappés, Zeus seul sait comment.

Eh bien, j'ai fait un bide. De chez bide. On m'a dit "Blabla chère Madame, la réserve c'est pour la Bible ornée d'or et de pourpre de Machin-Bidulle IV dit le Gros, mais vous savez on a des milliers de registres ici, alors, vous comprenez, on ne peut pas classer celui-ci, patati etc". Ce qui m'a légèrement mis en rogne.
J'ai failli lui balancer "Mais chère Madame, vous savez qu'à Simancas [archives de l'État, en Espagne, qui n'ont pas connu de désastre comparable à notre Révolution ] ils ont incomparablement plus d'archives que vous, et ça ne les empêche pas de fonctionner...

De la même façon, les contrats d'une princesse très connue et popularisée par Dumas partent en miettes aux Archives nationales, et soit on tombe sur un conservateur qui s'en tape (pardonnez le vocabulaire mais c'est exactement ça) soit on tombe sur un qui ouvre de grands yeux et vous tend aussitôt le formulaire pour demander à ce que l'archive soit numérisée en urgence et désormais incommunicable.

Voilà comment être très heureuse et de très mauvaise humeur, en trois secondes...
Si je suis courageuse demain, je vous dirai tout le mal que je pense du slogan "Le savoir n'est pas une marchandise..." que l'on voit fleurir sur les murs à l'occasion des manifs du supérieur.
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04/03/2009

100 000 pesos pour poser une bombe

Comme je suis une grosse feignasse, moi aussi, pas moyen de trouver le temps d'un billet ces derniers jours. Pourtant...

Entendu dimanche, pour la énième fois LE truc qui me fait râler, bougonner, grommeler, grogner et j'en passe. Cette manie qu'ont nombre de journalistes et autres personnages adeptes de la formule qui fait mouche et plouf, de balancer, à chaque fois qu'ils avancent une somme d'argent en monnaie étrangère, de donner la valeur convertie en euros, francs, brouzoufs.

Ce qui dimanche dans le poste a donné "En Colombie, des enfants sont payés 100 000 euros soit 30 euros, pour poser des bombes". Ce qui ne veut rien dire. Mais c'est tellement habituel, ce genre de procédé. Parce qu'avec 100 000 pesos en Colombie en février 2009, on "tient" dix jours, vingt repas (et encore je ne suis pas sûre qu'un gamin pauvre mange correctement tous les jours, à raison de deux repas par jour). Prix du repas qui vaut ce qu'elle vaut, pêchée sur un site de routards. Quoiqu'il en soit un journaliste capable de convertir 100 000 pesos en 30 euros doit pouvoir donner une idée du coût de la vie, et de ce que l'on peut faire avec cette somme sur place. On est bien d'accord que vendre sa vie pour vingt jours de survie... Même pour cent, ou mille, il n'y a pas de mots pour cela.

Estimer la valeur d'une somme d'argent non en la convertissant en euros mais en évaluant ce que l'on peut faire avec cette somme au même moment, au même endroit, est un des principes du métier d'historien. Si je vous dis que la livre de beurre est passée de 3 livres tournois (monnaie de compte du XVIe siècle) à 12 livres tournois, entre 1585 et 1592, cela vous donne une idée de l'évolution des prix (à modérer par la variation de valeur de la livre tournois au fil du temps). Mais si je vous dis qu'un curé touchait en moyenne 200 livres tournois par an, autant qu'un manouvrier chargé de famille, pour vivre, cela vous donne une idée de la cherté liée aux troubles politiques... Alors que si je traduisais en euro, cela ne signifierait rien.

Plus près d'ici. Enfin non, disons plus près de nos oreilles, ces derniers temps. Le Comité contre la profitation demande deux cents euros par mois d'augmentation de salaire. Le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer prend rendez-vous pour discuter des marges des principaux distributeurs. Là aussi ça a fait pschiit. Parce que son supérieur est intervenu, et qu'il a désormais été question de négocier avec le patronat pour augmenter les salaires. 50 euros la première année, 200 euros au bout de deux ans.

Sauf que. Sauf que ce sont 50 euros net, soit 100 euros bruts. Bon je vais être gentille, disons 75 euros chargés. 200 euros nets, font 400 euros, disons 350 euros chargés. Par mois.

Donc par employé par an, une entreprise devra sortir 4200 euros.
Pour une PME de 500 employés : 2 100 000 euros.
Pour une PME de 250 employés : 1 050 000 euros.
Pour une PME de 50 employés : 210 000 euros.

Mais c'est bien connu, les patrons c'est comme les cochons et leurs caisses sont pleines, ils peuvent bien faire ça. Mouarf. Humour (noir).

(rassurez-vous, pour ma thèse, je n'applique pas de pourcentages à la louche... la louche je ne l'utilise qu'ici, mais c'est toujours pratique une louche)
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01/03/2009

Brève introduction à l'histoire politique (2)

Pour comprendre l'influence du marxisme sur l'historiographie du XXe siècle, il faut revenir quelques instants sur les principes du marxisme.

"L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte.

Aux époques historiques anciennes, nous trouvons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une hiérarchie variée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous avons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au Moyen Âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs ; et, dans presque chacune de ces classes, de nouvelles divisions hiérarchiques.

La société bourgeoise moderne, qui est issue des ruines de la société féodale, n'a pas surmonté les vieux antagonismes de classes. Elle a mis en place des classes nouvelles, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte.

Toutefois, notre époque – l'époque de la bourgeoisie – se distingue des autres par un trait particulier : elle a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.
Les citoyens hors barrière des premières villes sont issus des serfs du Moyen Âge ; c'est parmi eux que se sont formés les derniers éléments de la bourgeoisie.

La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, les échanges avec les colonies, l'accroissement des moyens d'échange et des marchandises en général donnèrent au commerce, à la navigation, à l'industrie un essor inconnu jusqu'alors ; du même coup, ils hâtèrent le développement de l'élément révolutionnaire au sein d'une société féodale en décomposition.

L'ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait pas aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés. La manufacture vint le remplacer. Les maîtres de jurandes furent expulsés par les petits industriels ; la division du travail entre les diverses corporations disparut devant la division du travail au sein même des ateliers.

Cependant les marchés ne cessaient de s'étendre, les besoins de s'accroître. La manufacture devint bientôt insuffisante, elle aussi. Alors la vapeur et les machines vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture dut céder la place à la grande industrie moderne et les petits industriels se trouvèrent détrônés par les millionnaires de l'industrie, chefs d'armées industrielles – les bourgeois modernes.

La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication. En retour, ce développement a entraîné l'essor de l'industrie. À mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer prirent de l'extension, la bourgeoisie s'épanouissait, multipliant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan toutes les classes léguées par le Moyen Âge." (Marx Karl et Engels Friedrich, (1965), Manifeste du parti communiste, trad. fr., in Œuvres, Économie l, Paris, Gallimard, p. 161-163 (1ère éd. 1848))

Marx et Engels ont présenté dans cet ouvrage leur vision de l'histoire. Depuis les années 1840, la connaissance historique a beaucoup évolué. On fait bien la distinction entre système féodal et système seigneurial (en l'occurence les auteurs désignaient non le système féodal mais le système seigneurial), et bien des historiens de la première moitié du XXe siècle, marxistes convaincus ont tenté de retrouver la vision de Marx et Engels dans les archives et tous les documents utiles pour les historiens.

En 1959, Roland Mousnier (1907-1993), un des plus fameux historiens du XXe siècle, mais non marxiste, écrivait ainsi "Pour certains historiens, le problème [de l'origine sociale de ceux qui, au nom du roi, exercent la fonction publique] est résolu. Ainsi, le bon historien russe Porschnev estime que le "plus pur moyen-âge féodal" règne dans l'économie française du XVIIe siècle que la noblesse foncière "féodale" détient la prépondérance économique et sociale et que l'État "féodalo-absolutiste" est son instrument pour tenir en respect les classes exploitées, paysans et plébéiens des villes."
Il faut préciser que Mousnier n'appartenait ni à l'école des Annales, ni au courant marxiste, et même qu'une polémique célèbre l'opposa audit Porschnew... Pourtant on peut prendre l'exemple d'Emmanuel Leroy Ladurie, qui, dans les premières pages de son Paysans du Languedoc, expliquait s'être rendu compte de l'incapacité du schéma marxiste de l'histoire à expliquer le déroulement de l'histoire.

"En 1955 Raymond Dugranet me parlait, pour la première fois, du compoix languedocien; et il me suggérait d'en entreprendre l'étude: les compoix, me dit-il, sont de vieilles matrices cadastrales, confectionnées seulement dans les régions de taille réelle. Les plus anciens d'entre eux remontent au XIVe siècle. Ils décrivent avec précision, en surface, nature et valeur, les biens des maîtres du sol. Ils rendent possible une histoire longue de la propriété; ils peuvent donc jeter une lumière décisive sur la conquête lointaine de la terre par le capital: autrement dit sur l'un des aspects essentiels de la naissance du capitalisme (...) la tâche paraissait lourde (...) mais j'étais fasciné par les origines du capitalisme. Je décidais de suivre les conseils de mon ami. Les premiers résultats ne trompèrent pas mon attente: et je trouvais d'abord dans les compoix, exactement ce que j'y cherchais; à savoir l'action classique des rassembleurs de terre capitalistes, déjà décrite par Lucien Febvre, Marc Bloch (et tant d'autres) Peu à peu cependant, mes belles certitudes me parurent nullement inexactes mais insuffisantes (...) mon enquête s'étendait, dans le plat pays, bien loin des petites villes rassembleuses. Et des phénomènes nouveaux -aberrants par rapport au schéma traditionnel, à l'hypothèse de travail initiale - sollicitaient mon attention. Le processus de concentration perdait sa simplicité linéaire". Il décrit ainsi qu'il a découvert des vagues successives de déconcentration puis de concentration de la propriété; et quand il y a concentration, c'est au profit de la micro-propriété paysanne.

"C'était la mésaventure classique; j'avais voulu m'emparer d'un document, pour y déchiffrer les certitudes de ma jeunesse; et c'était le document qui s'étaient emparé de moi, et qui m'avait insufflé ses rythmes, sa chronologie, sa vérité particulière. Les présuppositions initiales avaient été stimulantes; elles étaient maintenant dépassées". (E. Le Roy Ladurie, Les paysans du Languedoc, p. 5-6, Champs Flammarion, 1969.)

Je crois que cette formule ( "Les présuppositions initiales avaient été stimulantes; elles étaient maintenant dépassées") résume très bien les mouvements d'idées qui portent les uns après les autres l'écriture de tout étude scientifique. Dans le cas du marxisme, celui-ci a beaucoup contribué à la naissance de l'histoire sociale, de l'histoire économique, statistique. Il a provoqué un fort engouement pour l'histoire des masses, et condamné par là-même l'histoire des grands personnages, de la biographie d'hommes célèbres. Avant que ce genre, goûté du public ne revienne en force...





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