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Une envie de livres ?

23/12/2009

Être organisée ou ne pas être...

Je ne suis pas souvent là en ce moment, n'est-ce pas ? Après avoir été à fond sur l'enseignement - enfin pendant la moitié de la semaine - pendant le premier semestre, je profite du répit des vacances de Noël et de janvier à venir, pour redoubler les efforts sur la thèse.

Faire du tri dans les dossiers.

"Ah, tiens, j'avais dépouillé ce document-là ? Nooooon ?! Ah si."

"Je suis sûre que j'ai lu cette archive, mais p*%!$?! où est fourrée la retranscription ???"

"Oh, misère ! J'ai oublié d'indiquer la référence de l'archive pour celui-là..." (imaginez quelques dizaines de minutes de recherches frénétiques dans tous les dossiers)

"Aaaaah, j'ai oublié de compléter ma base de données pour ces documents-ci... Aaaahhh!!!"


Et puis vient le moment où il faut préparer la liste des archives consultées et rejetées, les archives consultées et gardées, qu'il faudra mentionner dans la liste des sources... Vérifier que la liste des archives constituée en début de thèse concorde avec les deux listes. Amis du travail bénédictin, bonjour ! Enfin j'espère que les bénédictins étaient plus méticuleux que moi, et ce n'est pas bien difficile.

Ou encore on redécouvre des tas d'archives photographiées et qu'on-n'a-pas-encore-eu-le-temps-de-lire mais qu'il-faudrait bien lire quand même...

Alors on élage, on trie entre le très important et le pas absolument vital.


La thèse, ce n'est pas le parcours du combattant, mais pas loin.
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Le "référentiel bondissant", un mythe ?


Je remercie chaleureusement France Inter pour sa grève, parce du coup, je suis exilée sur France culture. J'y suis allée un peu la mort dans l'âme, parce que, si les émissions de France culture sont intéressantes, leur format, leur ton, me découragent, m'ennuient. Je suis une d'jeun's qui s'ignore, si, si. Dingue.

Mais là, je me suis énervée. Un journaliste du Monde (référence classe, is'nt it ?) Luc Cédelle, invité dans une émission sur les réformes de l'éducation nationale, en particulier sur celle du lycée, évoquait le "référentiel bondissant" en rappelant qu'il s'agissait d'un mythe, ce que son enquête (publiée sur internet) avait bien démontré... Ah ouais. Et bien, j'espère que ce cher Monsieur, révisera son enquête. Une copine de fac (elle était en sport) y a bien eu droit, au référenciel bondissant. Je peux lui indiquer l'académie et en me grattant la mémoire, même l'année. Et peut-être même lui refiler le numéro de téléphone de l'amie en question. Je ne donnerai pas l'académie ici, par discrétion, mais en privé, sans aucun problème.

Binaire, vous avez dit binaire ? J'aime (ironie) ceux pour lesquels le monde se divise en deux : les gentils et les méchants. Pour Luc Cédelle, à l'écouter, les opposants à l'IUFM tel qu'il a prospéré pendant des années, partagent tous le même avis. Consternant.

Le monsieur tient un blog, vous pouvez y aller faire les curieux. La catégorie "anti-pédago" est... intéressante.

Dans la même veine, se développe en ce moment le regret de la formation des IUFM. Le vieux truc habituel, parer de roses le passé, c'était quand même mieux avant, une (mauvaise) formation est préférable à pas de formation du tout... Une mauvaise formation est une mauvaise formation, assez du relativisme ! Non l'année de stage ne nous permettait pas de nous adapter en douceur. Ce n'est pas parce que cette formation a disparu qu'il faut la parer de charmes qu'elle n'avait pas. Et quand une formation est inutile, elle l'est un point c'est tout. En quoi ai-je été formée à gérer des violences dans un classe ? En rien. On nous a juste dit "vous savez qu'il y a des élèves qui, à 12 ans, n'ont jamais mangé de haricots verts?" La détresse des stagiaires ou néo-titulaires des années passées ou de maintenant est LA MÊME. Parce qu'on a rien fait contre ça.

Une amie a tenu les deux dernières années dans une collège ZEP ambition réussite et je ne sais plus quoi aux anti-dépresseurs. Elle avait eu un stage et "formation" d'un an, ça ne l'a PAS aidée. Et rien n'a changé depuis.


Le fort mécontentement suscité par la formation délivrée par les IUFM a été mal entendu, par une politique faite sans prendre en compte les suggestions des premiers intéressés. Soit dit en passant, les IUFM n'ont pas été supprimés jusqu'à preuve du contraire. Ils existent toujours, en les intégrant aux universités, d'un point de vue administratif notamment et ça ne me pose aucun problème (au contraire). J'admets tout à fait l'idée de recherche d'économie, si cela permet d'en faire, du moment que ça ne soit pas au détriment de la formation.

Les cours à l'IUFM que j'ai subis étaient une perte de temps. Mais en réduisant le volume horaire et en renforçant le contenu (moins dogmatique, moins de rapports à la mord-moi-l'noeud, avec plus d'interventions de jeunes enseignants pour que l'on profite de leur expérience, que l'on en fasse notre miel, des formations au repérage des problèmes scolaires, des discussions avec des orthophonistes et pédopsychiatres) on pouvait améliorer la formation, en donnant deux ou trois fois la même classe, dans un établissement "normal" et non violent, puis le même niveau l'année suivante dans un établissement plus difficile en étant toujours encadré par des pédopsy et des orthophonistes, des collègues engagés bénévolement dans la formation des jeunes collègues, sans qu'ils n'en tirent ni profit ni perte (sauf d'un peu de temps, si aider est une perte de temps).

[Je dis aide bénévole pour éviter la perversion du système que j'ai constaté : ceux qui s'engagent à l'IUFM disent le faire pour la pédogogie. Je crois surtout qu'après des années d'enseignement, l'IUFM leur offrait des évolutions de carrière qu'ils n'auraient pas sinon. Il se trouve que les collègues qui m'ont le plus aidé l'ont fait gratuitement]

Il faut qu'il y ait un système souple, à l'écoute des jeunes enseignants, et pas seulement sur une année. Et pas décrété par des enseignants de l'IUFM. Dans la mesure où la formation doit se décider dans le cadre des départements d'histoire, à l'université, j'ose espérer pouvoir contribuer à la formation des jeunes enseignants en leur offrant ce que je n'ai pas eu (et j'ai conscience de réagir là comme les enseignants d'IUFM que j'ai subi, mais avec une démarche légèrement différente).

Là encore, avec une logique binaire on ne peut rien comprendre à mon discours. Je ne cautionne pas l'absence de formation. Et c'est du j'menfoutisme révoltant de mettre un jeune enseignant en cours d'année dans un collège de zone violence.

Et pour finir, il est scandaleux que la réforme de la formation se fasse à l'improvisation, plus ou moins en cours d'année - supprimera de l'agrég ? Supprimera pas ? Quel programme ? CAPES et Agrég, même programme ou pas ? en consultant uniquement ponctuellement les responsables des formations représentants des enseignants de l'IUFM et des asso scientifiques, alors qu'ils devraient plancher en continu dessus, pour mettre au point en une fois un programme de réformes. Ça fait deux ans et plus que ça mijote au ministère et l'ensemble de la réforme n'est toujours pas fixé. C'est aberrant.

Et encore grâce à France Culture, j'ai découvert le blog de Natacha Polony, invitée elle aussi à l'émission, et dont les propos me semblaient beaucoup plus nuancés... Du coup, beaucoup plus intéressants... À lire, donc !
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10/12/2009

CR de la réunion entre les associations d'historiens et le ministère de l'enseignement supérieur

Dans un registre plus sérieux...

Compte rendu de la réunion au Ministère de l'enseignement supérieur du 4 décembre 2009.

Monsieur Thierry Coulon, directeur de cabinet adjoint de madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, a reçu madame Régine Le Jan et messieurs Bernard Legras, Nicolas Le Roux et Jean-Noël Luc, qui représentaient les quatre associations historiennes.

Etaient également présents monsieur Claude Boichot, inspecteur général très chevronné d’une discipline qui n’a pas été précisée, et madame Carole Moinard, conseillère pour les affaires sociales au cabinet.

La discussion avait pour objet la mise en œuvre de la mastérisation des concours.

M. Coulon a présenté le calendrier suivant (les deux premières phases devant s’achever d’ici fin décembre)?:

— première phase: discussion sur le contenu des concours
— deuxième phase: préparation de la circulaire relative au cadrage des Masters
— troisième phase: organisation des stages
— quatrième phase: dialogue avec les universités sur leurs projets, qui seront présentés au CNESER en juin 2010.

Il a été rappelé que:

— tous les Masters doivent pouvoir mener aux métiers de l’enseignement, et que c’est aux universités de mettre en place les formations permettant ce type d’orientation, par exemple sous la forme de «parcours» spécifiques.

— Masters et concours sont dissociés dans leur organisation comme dansleur fonctionnement (même si, c’est le paradoxe principal de la réforme, le contenu et le calendrier du Master sont entièrement déterminés par la nouvelle mouture des concours).

— les stages ne sont pas obligatoires, mais conseillés. Il s’agit destages d’observation et/ou de pratique accompagnée en M1, en petits groupes, pendant quelques jours, puis de stages en responsabilité en M2 de 108 h (soit 6 semaines à temps plein), rémunérés 3 000 euros. Ces stages seront coordonnés par les rectorats (sur le fonctionnement desquels le Ministère ne sait rien). Le déroulement des stages pourra être évoqué lors des oraux du Capes, mais on ne pourra sanctionner un candidat qui n’en aura pas fait. Mme Moinard pensait que les examinateurs avaient le CV?des candidats sous les yeux lors des oraux.
Nous l’avons détrompée. Nous avons rappelé que les membres des jurys des oraux n’ont ni le CV, ni les notes de l’admissibilité sous les yeux lors des épreuves d’admission. M. Boichot a refusé de nous croire sur ce dernier point.

—Les préparations simultanées du Capes et de l’Agrégation sont désormais incompatibles (nous avons visiblement appris à nos interlocuteurs que, jusqu’à présent, dans notre discipline, les deux choses étaient étroitement associées)

—Le contenu précis des Masters n’intéresse pas beaucoup le Ministère.
Nous avons appris à nos interlocuteurs comment fonctionnaient les Masters actuels, issus de l’ancienne maîtrise et de l’ancien DEA, avec, dans bon nombre de cas, la rédaction de deux mémoires (l’un en M1, l’autre en M2). Il nous a été dit que la réalisation de deux mémoires était parfaitement inutile. Un seul suffira, par exemple en M1, ou en M2, cela n’a pas d’importance. Les non admissibles au Capes (en M2) pourront faire un second mémoire pour occuper leur printemps et valider leur Master.

—La réforme entrant en vigueur dès la rentrée prochaine, l’écrit du Capes aura lieu fin novembre 2010. Le calendrier n’est pas négociable. Les étudiants auront trois mois «intenses». Ils prépareront également pendant l’été, bien que, comme nous l’avons signalé, bon nombre d’entre eux soient salariés pendant les grandes vacances. Nous avons donc constaté que c’est en M1 que s’effectuerait la préparation, et qu’il n’y aurait donc plus beaucoup de temps pour faire un véritable mémoire. On
nous a répondu que nous nous trompions.

—Une voie consacrée à la recherche devrait concerner une poignée d’agrégatifs. M. Coulon nous a demandé quelle était la proportion de doctorants susceptibles de faire carrière ans l’enseignement supérieur et la recherche. Nous lui avons appris qu’il y avait environ une trentaine ou une quarantaine de postes de maîtres de conférences d’histoire (toutes périodes confondues) mis au concours chaque année. Il n’est pas interdit de penser que, dans l’esprit du Ministère, tel devrait être — à peu près — le nombre des personnes susceptibles de passer l’Agrégation et de s’engager dans une thèse.

Par ailleurs, nos interlocuteurs ont refusé catégoriquement d’évoquer la réforme du lycée et de donner des indications, même très générales, sur le nombre de postes mis au concours.

M. Coulon nous invite à prendre contact de toute urgence avec monsieur l’inspecteur général Wirth pour les questions relatives aux programmes du concours, et avec monsieur Duwoge, secrétaire général des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, pour les détails de nos préoccupations.

L’impression générale n’est pas très encourageante.

Nicolas Le Roux
Secrétaire général de l’AHMUF
J'y reviendrai... Je cuve ma colère.
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Une compil' de toute beauté...

Je vous l'avais promis depuis longtemps, je ne l'avais pas fait, faute de temps, entre autres, mais la voici : une méchante, méchante liste de boulettes estudiantines. Ouais, je sais ce n'est pas bien. Et même c'est banal.

Sauf que copies obligent, je suis d'une humeur de dogue, et encore dogue affamé nourri à la salade verte et au yaourt depuis huit jours. En clair, j'ai encore du tonus, mais ne venez pas me gratouiller le menton, si vous tenez à vos mains (et au reste, aussi, je ne fais pas dans le détail).

D'abord, à cause des copies, je suis privée de recherche, et ça, c'est très mauvais, pour moi et pour mon entourage. Et je ne peux même pas tempêter en cours ou en TD. Leur demander si ça sert vraiment à quelque chose que Ducros se décarcasse à leur expliquer avec des mots simples ce qu'ils ressortent de façon alambiquée. Si ça sert vraiment à quelque chose que je me tue à leur dire d'être prudents, de bien définir les termes d'un sujet de dissertation, sinon, c'est hors sujet garanti. Si ça sert enfin à quelque chose que je leur dise de me demander dès qu'ils ne comprennent pas quelque chose, plutôt que d'essayer de me recracher un gloubi-boulga informe et nauséabond.

À force de corriger, je suis un entrainement intensif à l'humour pourri (je ne mets en rouge dans la marge des copies que le trop plein, autant dire qu'il faut vraiment que ça passe les bornes du raisonnable, de l'humainement supportable)...

Et si au lieu de tourner autour du pot, on y allait ? Alors, fermez la porte ( au cas où vous vous mettriez à rire comme une baleine seul face à votre écran, ça fait très bête) et asseyez-vous, pour éviter de choir encore plus bêtement... Mettez-vous du sparadrap autour de la machoire, ça, c'est pour éviter qu'elle ne tombe.

Je précise que l'orthographe et la grammaire d'origine ont été gardées, tant qu'à faire... En italique les perlouzes, en-dessous, ce que ça m'inspire (rien de fabuleux).


Alors alors :

1/ "La vie est fragile et dotée d'une grande mortalité infantile"
Respect.

2/ "Le roi pratique l'authargie"
Quézako ? P'têt bien la thaumaturgie...

3/ (attention, expirez et inspirez longuement) "Les autres religions chrétiennes occupent une place spirituelle venant du résultat de l'affrontement entre l'Église et l'État, car l'Église n'a pas pu continué à dominer tous les aspects de la vie des Français"
Faites simple qu'ils disaient

4/ "Le jansénisme n'est pas la seule des religions catholique nuisante"
Si vous le dites...

5/ "On peut donc s'interroger sur le poid qu'occupe l'Église ainsi que les religions en dérivant au sein des Français et de quelle manière les guident-elles"
Rien compris. Mais vraiment. Ça me bloque.

6/ "Les autres religions chrétiennes comme les jésuites ou les jansénistes viennent de plus en plus se proposer aux Français"
(reste plus qu'à les équiper de bas résilles et porte-jarretelles, hein, pour qu'ils se proposent de façon sexy, quoi...)

7/ "Les relations entre les deux camps permettent à l'Église de dominer le spirituel et le social chez les Français".
Et ça se domine bien, le spirituel ? Pas vraiment, n'est-ce pas ?


Dire que ça a un bac. (Oui, je sais, ce n'est pas gentil)

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28/11/2009

Enseignant(e) et chercheur(se)


J'avais préparé la semaine dernière un début de billet sur l'enseignement. Parce qu'il me prend un peu, même disons-le franchement, beaucoup de temps en ce moment. Aaaahhh! Je VEUX des vacances (pour bosser. Sur ma thèse). À ce sujet, j'en profite pour donner quelques précisions, juste pour faire comprendre que le fonctionnement n'est pas le même que dans le secondaire. À l'université, il y a nettement moins de petites vacances qu'au collège ou au lycée. Quinze jours à Noël, quinze jours à Pâques et c'est tout, entre septembre et mai. Janvier, c'est le mois des examens du premier semestre, mai le mois des examens du second semestre, juin, ce sont les rattrapages de premier et second semestres. Raison pour laquelle, à part les copies, en janvier on passe un peu plus de temps sur la recherche, et entre mai et septembre aussi. Pas de vacances de la Toussaint, ou de ceci ou de cela. Deux fois douze semaines de cours dans l'année, pendant lesquelles on jongle avec les recherches personnelles, les cours à préparer et à donner.

Or, sur le fameux blog de Princesse Soso, il était question dans la discussion de vocation. Mouais. L'ennui c'est qu'après un certain nombre d'années d'enseignement, je ne vois toujours pas ce que des collègues appellent la vocation. Sais pas. Vide, néant total à l'évocation de ce mot. Aimer enseigner, là, oui, je vois. Mais alors vocation, RIEN. Ce qui suit est un mélange d'expérience personnelle et de propos qui me semblent généralisables.

Je me suis donc dit qu'un billet sur l'enseignement dans le supérieur ne serait pas inutile. Notamment parce que j'ai gardé une dent comme certain de mes anciens collègues du secondaire - non pas tous ! Rassurez-vous... - mon conseiller pédagogique entre autres qui m'avait dit pour résumer à propos de mon mémoire de fin de stage "La partie recherche de ton mémoire est bien, mais la partie pédagogie est nettement moins bonne, oh de toute façon, toi, tu es faites pour enseigner en lycée, ou à l'université". Bam. Hé ouais. Tu n'as pas de charisme, tu n'es pas vraiment faite pour enseigner, donc direction le lycée ou mieux encore l'université, où la pédagogie compte moins, enfin c'est ce que l'on peut s'imaginer. Pourtant, je n'ai rencontré qu'une seule fois dans le secondaire un enseignant - de philo - qui avait un talent monstrueux, capable de me scotcher à son cours. En revanche, c'était le cas de beaucoup de mes professeurs du supérieur. Pédagogie et amour de sa discipline, il me semble que c'est tout un. L'un sans l'autre me semble inconcevable.

Alors j'aimerais bien proposer une autre vision des choses, et faire comprendre que même dans le supérieur, il y en a tout autant qui aiment enseigner que dans le secondaire. Et non, enseigner dans le supérieur n'est pas un choix par défaut. Du type "il faut bien manger, et vu que je n'ai pas épousé un rentier, hein..." Dans mon précédent billet, je disais que le monitorat m'avait effectivement permis de manger, raison pour laquelle j'ai sauté sur l'occasion d'en faire un, sachant bien que l'avancement de ma thèse en pâtirait. Cela ne veut pas dire que je ne l'ai fait que pour cela. Cesser d'enseigner pendant trois ans n'aurait pas été le bon choix, et je le savais. Parce qu'il faut du temps pour aimer l'enseignement, souvent, surtout quand le premier public a été difficile. Il faut du temps pour sortir de sa timidité, pour acquérir une expérience technique, scientifique. Pour ne plus avoir trop d'états d'âme, en tout cas ne pas avoir quand on a fait tout ce que l'on pouvait faire pour des étudiants. J'ai le sentiment de m'être lancée dans l'enseignement sans vraiment comprendre ce que signifiait ce métier, vu côté professeur et non côté élève (et surtout côté élève consciencieux, à défaut d'être excellent). Et d'avoir fait avec ce décalage entre le métier rêvé et le métier réel. Avec le temps, admettre le public que l'on a en face de soi, aucunement idéal, si divers. Si vocation il y a, c'est un mélange de passion pour sa discipline, de volonté de la partager (mais c'est la conséquence logique de la passion) et de capacité à diriger un groupe, en trouvant à force de tâtonnements l'équilibre entre autorité et humanité.

Longtemps, j'ai cru que je n'aimais pas l'enseignement, que je n'était pas faite pour ça. Pour être honnête, je ne sais toujours pas si je suis faite pour ça, pas plus que je ne sais si je suis faite pour la recherche. Enfin, pour la recherche, il paraît que si. C'est ce que l'on m'a dit. Méfiante à mon propre égard, j'ai du mal à y croire.

Une connaissance, médecin, disait récemment à propos d'un de ses collègues, qui avait des doutes sur ses compétences "mais ça doit être horrible de vivre avec des doutes perpétuels sur soi-même! Moi, je ne pourrais jamais vivre comme cela!"

Je n'ai rien dit. Que dire à quelqu'un qui ne comprend pas que l'on soit hanté par le doute, la peur perpétuelle ne pas être à la hauteur? À la fois je sais de quoi je suis capable, techniquement, et en même temps, je considère utiles les avis extérieurs, que j'aimerais avoir sans que ce soit le cas, hélas, pour jauger mon travail, et j'aimerais avec des yeux d'étudiante, observer mes cours, pour savoir si je donne autant que j'ai reçu. Je ne sais pas. Je vis avec ce doute. Il y a bien pire.

Avec le temps, l'expérience, qui apaisent les doutes, je suis moins nerveuse. Je sais que mes cours d'aujourd'hui sont meilleurs que ceux d'il y a quatre ou cinq ans. Et je pense qu'ils sont d'un niveau largement suffisant, compte-tenu de mon public. Aussi, quand on me déclare "Moi, j'adore enseigner!", je ne réponds rien non plus. Pour moi, la réponse est complexe.

J'aime enseigner quand je vois mes étudiants progresser, acquérir des connaissances, travailler consciencieusement, comme un boeuf son champ de labour, quand écoutant les recommandations, ils se réinventent une vie de travail, au moins le temps de leurs études, de longues heures penchés sur les livres à déchiffrer, assimiler, penser. Quand ce sont les meilleurs que je retrouvent les plus assidus à la bibliothèque, quelque soit l'heure à laquelle j'y passe.

J'aime enseigner quand je vois mes étudiants comprendre les règles du métier d'historien: esprit critique, interrogation, curiosité incessante, rigueur de la preuve apportée, éprouvée, goût pour la comparaison, la mise en relation des événements ou des faits.

Je déteste l'enseignement quand, malgré tout mes efforts, les étudiants n'écoutent pas les conseils, les avis, les "lisez-ceci" "travaillez-cela", et échouent lamentablement, et me maudissent en secret, sans comprendre que, non, je ne me réjouis pas de les torturer (si travailler est torture, malgré l'origine latine) et encore moins de les voir échouer.

J'aime enseigner quand je vois qu'en appliquant conseils et méthodes, ils apprennent l'art de la dissertation et du commentaire, qui ne sont pas des arts stériles, mais contribuent à former l'esprit à la rigueur et à la réflexion.

Je déteste enseigner quand des étudiants, dont la paume s'orne un palmier, viennent sûrs et arrogants réclamer un point, contester une note, et cherchent dans les manquements de leurs enseignants l'explication de leur échec, plutôt que dans leur suffisance et leur fainéantise.

Je déteste l'enseignement quand je vois un étudiant, plein de bonne volonté pourtant, aimant probablement l'histoire, pleurer tout un cours entier, parce qu'il vient d'échouer à des examens, et que je suis la coupable.

J'aime l'enseignement quand les étudiants me croisent avec le sourire, ou me sourient en me voyant arriver en salle. J'aime l'enseignement quand il y a un rire qui fait frissonner une classe, quand, parce que j'ai levé un sourcil mécontent pour faire taire des bavards, rappelés à l'ordre par leurs camarades eux-mêmes inquiétés de ce sourcil levé, et que l'on échange en remerciement de leur aide au "bon ordre" un regard malicieux.

Je déteste l'enseignement quand je n'ai pas pu préparer impeccablement une séance, quand je sens le poids de ma propre faiblesse (ce qui m'arrive de plus en plus rarement, heureusement).

Je déteste l'enseignement quand je dois préparer dans l'urgence. Je n'ai jamais aimé le travail de dernière minute, même s'il est probablement celui qui m'oblige à fournir le meilleur en très peu de temps.

Je déteste l'enseignement, oh, brièvement, quand il me détourne de mon sujet de recherche, interrompt mes pensées, mon labeur de boeuf attelé à la charrue.

J'aime l'enseignement quand il m'amène sur des sentiers que je n'aurais jamais pensé à explorer moi-même et qui enrichissent et bouleversent ma réflexion, mon travail de recherche.

J'aime l'enseignement, selon les moments... C'est une de mes deux faces, d'un côté enseignante et de l'autre chercheuse, mais l'une n'est pas moins importante que l'autre...
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08/11/2009

La vie fabuleuse (ou pas)... suite (3)


Moniteur, vous faites les mêmes travaux dirigés qu'un maître de conférence, à ceci près que ce sont les premières années, on apprend donc le métier sur le tas. Il y a bien les formations du CIES (centre d'initiation à l'enseignement supérieur), qui m'ont appris comme l'IUFM des trucs périphériques au métier, pas inutiles mais bien périphériques dans la plupart des cas. Avantage du CIES sur l'IUFM: pas de dogmatisme. Rien que ça rend supportable les formations du CIES. Mon tuteur en monitorat, j'avoue, n'a pas tutoré grand chose. J'ai même oublié que j'en avais un jusqu'à redécouvrir son existence et me poser des questions sur son rôle en ressortant mes contrats quelque temps après la fin dudit monitorat ("Oh! C'était lui mon moniteur ? J'en avais donc un ?! Hannn...")

Bon, pour l'achat de livres, vous attendrez toujours d'être titulaire. Mais maintenant tout cela, allocation et monitorat a été remplacé par le nouveau contrat doctoral, bien mieux. Le salaire est le même, la charge de cours, la même. Mais le nom a changé. Le marketing embellit non seulement les murs de votre RER préféré, mais aussi votre vie à VOUS. Merveilleux, non ?

Après vos trois ans d'allocataire-moniteur, vous postulerez pour être attaché temporaire à l'enseignement et à la recherche. Candidater à l'aveugle dans toute la France, pendant plus d'un mois, ne faire qu'envoyer des dossiers, tous différents sinon ce n'est pas drôle, croiser les doigts pour être appelé, pris, à n'importe quel prix. Et là le même jeu recommence. Un salaire qui vous fait dire, qu'assistante maternelle, c'est bien aussi, comme boulot. Pas besoin de diplômes, pas besoin de quitter conjoint et enfants deux, trois, quatre jours par semaine sans revenir à la maison, pour aller donner les cours et participer aux quelques tâches administratives naturellement comprises dans votre royale rémunération.

À propos de charge de cours, vacataire, moniteur ou ATER, en fonction des collègues, vous serez pris pour l'imbécile de service - entendez, on vous refilera tous les cours et TD (travaux dirigés) qu'aucun titulaire n'a envie de faire - ou bien convenablement traité. Exemple, cette année j'ai plutôt de la chance. Mais vous pouvez avoir un TD dans une matière, un second dans une autre, un cours là à des spécialistes, sur un sujet mortel mais nécessaire, un autre cours ici à des non-spécialistes... Ou alors un TD un mardi, et l'autre le vendredi. Naturellement, vous habitez à une heure, deux heures, trois heures ou plus de l'université, parce que vous avez la mauvaise idée de ne pas être célibataire ou marié à un conjoint au foyer. Le top étant de faire venir un contractuel habitant à six cents kilomètres, pour un mi-temps qui compte deux heures sur un site, trois heures sur un autre. Ah oui, parce qu'une université peut avoir des antennes, et c'est à vos frais que vous vous rendrez d'une antenne à l'autre.

Le luxe absolu, est de faire quatre fois le même TD à des premières années. Vous avez l'impression de bégayer affreusement d'un groupe à l'autre, mais pédagogiquement, c'est réellement bon, et là je n'ironise pas, vous apprenez à corriger vos erreurs, et en plus vous n'avez pas quatre préparations à faire en même temps. Ça peut arriver. Comme vous pouvez trouver une université qui rembourse une petite partie de vos frais de transport, propose un logement à ses enseignants – et pas la chambre d'hôtel à 50 euros la nuit- et aménage votre emploi du temps sur deux jours ou même un seul. Comme quoi, vous pouvez avoir de la chance. Pour de vrai. C'est rare, mais ça arrive.

Ça ne vous épargnera pas, pour autant de devoir boucler votre thèse au plus vite. Tout en sachant bien, que si votre thèse n'est pas ébourriffante, vous aurez peu de chance d'être classée par une université, bref, peu de chance d'obtenir un poste de maître de conférence. C'est la quadrature du cercle, une thèse terminée, de bonne qualité, en quatre ou six ans, en ayant géré en quelques années plusieurs centaines d'étudiants. Là, ne croyez pas que ce sera tout rose, les titulaires croulent pour les plus consciencieux, sous les charges administratives en sus de leurs fonctions d'enseignants-chercheurs. Si dans ces conditions, ces chères têtes plus très blondes assises sur les strapontins des amphis viennent chouiner après un cours que la fac c'est vraiment trop dur, vous avez le droit de leur répondre avec un sourire hargneux chargé d'années de galère de thésard contractuel, que « ya pas de raison que vous ne morfliez pas, vous aussi! ». La boucle est bouclée.

PS 1 : Maintenant, si vous êtes un étudiant, cher lecteur, vous savez pourquoi on est rosse avec vous. Vous vous coucherez moins bête, même si on est dimanche et que vous ne pouvez pas profiter d'ordinaire, en ce jour, de notre mirifique savoir. (<--- ceci est de l'humour, pour ceux qui ont l'esprit bouché). PS 2 : Vous voyez, je ne suis pas souvent là, mais quand je reviens, bigre... n'est-il pas ?
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La vie fabuleuse (ou pas) suite... (2)

À ce jeu-là, donc, au bout de dix ans, si vous ne vous êtes pas démené pour trouver en plus de vos quinze ou dix-huit heures de cours en collège ou lycée, des vacations à l'université, personne ne vous connaît dans le supérieur à part votre directeur de thèse, et là... Faire des vacations, c'est être le précieux bouche-trou qui remplace au pied-levé un enseignant malade pour plusieurs semaines, ou un autre qui vient d'obtenir un congé pour x raisons. Sans vacation, eh bien, vous n'intéressez personne. Sans expérience d'enseignement dans le supérieur, votre épaisse thèse servira tout au plus à atteindre les pots de confiture en haut des placards de la cuisine.

Et si vous n'avez pas l'agrégation, il y en aura toujours pour vous dire « Ah! Vous n'êtes pas agrégé(e) ? Ah mais c'est très fâcheux, cela... C'est dommage, vraiment dommage. Une carrière dans le supérieur, sans agrégation, vous n'y pensez pas! ». D'autres vous diront « Vous êtes agrégé(e) ? Ah c'est parfait! Et combien d'années dans le secondaire ? Aucune ? Alors vous n'avez aucune chance, à l'heure actuelle, il vous faut une expérience dans le secondaire! Comment ? Vous dépendez une académie lointaine et pour enseigner dans le secondaire, il vous faudra quitter toutes les semaines votre conjoint et vos enfants? Mais oui mon petit monsieur/ma petite dame, mais que voulez-vous... Demandez votre mutation! Ah vous serez muté(e) dans une ZEP dont personne ne veut et vous, pas plus que les autres, d'autant qu'avec une thèse en poche, vous pleurez à cette perspective ? ». En fait, cette conversation est suréaliste, elle s'arrête avant que vous n'ayez eu le temps d'objecter quoi que ce soit. Pas le temps.

Si par bonheur, vous obtenez un allocation de recherche à l'université, dites-vous tous les matins que vous avez une chance fabuleuse. Si, si, répétez-vous ça. Payé pour faire sa thèse, le pied ! Parce qu'effectivement c'est une chance.

Bon, parmi ceux qui vous féliciteront, professeurs et maîtres de conférence de votre université, personne ne pensera que le montant de l'allocation permet tout juste en région parisienne, une fois payé loyer, impôts, assurance, carte de transport, et autres basses nécessités matérielles (dans laquelle je ne comprends pas des paires de Louboutin ni même un manteau neuf tous les trois ans) d'aller manger aux restos du coeur ou d'aller récupérer à la mairie votre colis alimentaire.

Vous renoncerez naturellement à faire l'acquisiton de tout livre, même les basiques que vous n'avez jamais pu vous acheter parce que vous étiez boursier ou non, en tout cas étudiant sans le sou – et que la bourse d'agrégation, sur critère de mérite, a été donnée à un autre dont les parents avaient des revenus
très suffisants, pas comme les vôtres, un autre qui s'est découvert une vocation pour le collège et n'a rigoureusement aucune envie de faire une thèse ni d'enseigner à l'université. Mais ça a changé, maintenant il paraît que les critères sociaux sont aussi pris en compte pour les bourses d'agrég. Mais l'administration n'ayant jamais à se justifier auprès des candidats, dans les faits, je serais curieuse de savoir ce que cela a changé. Quoiqu'il en soit, comme vous n'avez pas eu cette bourse vous pouvez en être toujours à rembourser l'argent que de la famille ou des amis vous ont prêté il y a longtemps, pour faire ou terminer vos études.

Bref, ce qui tombe bien, c'est qu'au prix exorbitant auquel vous payez votre inscription annuelle à l'université – que vous ne fréquentez pas, vu que le laboratoire est fantôme, il n'y a même pas un local vide qui fasse illusion; université que vous ne fréquentez donc pas sauf pour un rendez-vous de loin en loin avec votre directeur de recherche, le patron, en un mot – vous gagnez de ce fait le droit d'aller au prix de longs trajets en métro/RER, consulter ou emprunter gratuitement tous les livres dont vous avez besoin. C'est déjà une chance. Votre vie est remplie de chances, il faut se le répéter.

Du coup, parce que vous calculez qu'éviter les restau du coeur ce serait bien, vous postulez en sus de votre allocation, pour un monitorat, initiation à l'enseignement dans le supérieur, de l'ordre du tiers d'un temps plein. Là, vous êtes royalement payé 270 euros net - ce qui revient pour l'université à deux fois moins cher pour un temps de travail équivalent, qu'un salaire de maître de conférence – et vous réussissez à remplir tout seul votre frigo et les placards de votre cuisine. Pour les repas du midi, en bibliothèque, salle d'archives ou ailleurs, vous continuerez à préparer votre salade ou gamelle thermos.

L'éducation national et la recherche ne connaissant toujours pas une magnifique invention appelée chèque restaurant. En revanche, dans le monde merveilleux de l'éducation, on connaît très bien le système des marchés publics, grâce auquel vous payez votre sandwich/pomme/yaourt près de 10 euros à la cafét de la BNF. Pas de concurrence, mais un groupe de restauration qui a remporté le monopole de l'approvisionnement alimentaire des usagers du grand Boulevard (N)Moquettisé Français.
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La vie fabuleuse (ou pas) du thésard en sciences humaines (1)

En ce moment, je suis fatiguée. Pas seulement fatiguée physiquement, merci j'ai à peu près bien dormi. Il s'agit plutôt d'une fatigue liée à l'absence de divertissement au sens pascalien du terme. Le travail six jour sur sept y est probablement pour beaucoup. La tâche répétitive qui m'occupe en ce moment aussi.

Je rêve d'un samedi à faire le ménage, bricoler, cuisiner, bouquiner, ne rien faire. J'ai entendu l'annonce de la mort de Lévi-Strauss. J'ai réussi à caser l'écoute partielle - inachevée, trop fatiguée ce soir-là, je ne comprenais plus rien - d'un grand historien, Jean Delumeau, qui parlait il y a près de quinze jours, des peurs collectives en Occident, dans l'émission de J.-N. Jeanneney. J'ai raté des tas de ça peut pas faire de mal, et j'en pleurerais. Mon emploi est tellement serré que j'ai même beaucoup de mal à trouver dans une pauvre semaine juste une demie-heure pour passer en coup de vent à la bibliothèque municipale afin d'y emprunter un ou deux bons romans, histoire d'occuper mes trajets, enfin ceux où je m'accorde le droit de ne pas travailler.

Fatiguée, bougon, pessimiste. Une année à ce rythme-là, je ne vais pas tenir. Ou alors, je ne vois pas comment. Et là dans le métro qui m'emportait vers la BNF, je maudissais ces traditions bien institutionnalisées qui veulent qu'une thèse se fasse en trois ans. Après zou, demande de dérogation à chaque réinscription. À l'extrême rigueur, en quatre ou cinq quand on a la chance d'avoir un CDD dans
une fac. Une thèse de sciences humaines, c'est volumineux, c'est long aussi.

Trois ans à temps plein, hummm, plutôt quatre ou cinq. Alors, quand on ne peut pas travailler à temps plein dessus, ça devient quatre, cinq années ou plus de cadences infernales. Parce que, détail fâcheux, il faut bien manger. Et payer ses impôts, ses assurances, s'habiller (un peu), payer un loyer et des tickets
de transports etc. Or, soit on reste dans le secondaire, soit on dégote un contrat dans une université.

En collège ou en lycée, il ne faut pas compter avancer vite. Les cours dévorent tout le temps la première année au moins. Voire encore un peu les années suivantes. Si on demande un congé pour formation, on ne l'obtient qu'après plusieurs années d'exercice et moults demandes annuelles. Alors on demande un temps partiel. Et l'on se serre la ceinture. Parce que si vos archives vous obligent à vivre en région parisienne (dans laquelle vous avez été muté comme tant de jeunes enseignants, sans que l'on tienne compte de vos voeux, « vous comprenez, vous êtes si nombreux et là, personne ne veut y aller » « moi non plus, ma brave dame, moi non plus, je ne voulais pas y aller dans votre collège ZEP ambition réussite ») il faut payer votre cage à lapin les yeux de la tête; pire encore, vous êtes au fin fond de la Picardie, ou dans la région de Dreux, là où non plus très peu d'enseignants pourvu de points souhaitent rester, il faut en plus débourser les aller-retour jusqu'à vos archives chéries, squatter le temps des vacances de la Toussaint/Noël/Printemps/ le canapé du copain de la fille dont le père est un des meilleurs amis de vos parents, ou le lit du copain du cousin parisien que vous ne voyez jamais sauf dans les réunions de famille décennales.

À ce jeu-là, une thèse se fait en dix ans environ. Autant dire que votre bibliographie, au bout des dix ans, vous pouvez vous la retaper, en rajoutant les actes de tous les colloques que vous avez manqués, parce que l'on ne peut pas être devant une classe de 6e et en même temps assis dans un amphithéâtre obscur et minuscule, aux places comptées, où d'éminents spécialistes, quelquefois mortellement ennuyeux, viennent vous expliquer en allemand, polonais, espagnol et italien, tout ce que vous ignorez de l'historiographie allemande, polonaise, espagnole ou italienne.

Comment, vos cours d'allemand, polonais, espagnol, italien sont loins ? Et les formations de langues de votre école doctorale, à quoi servent-elles ? Comment ? À rien ?! Non, à rien. Parce que soit vous êtes devant vos élèves et quand vous avez le temps, devant vos archives et vos bouquins, soit vous retravaillez votre allemand et votre espagnol. Enfin, quand le cours fait à la demande de l'école doctorale vous permet effectivement d'améliorer votre niveau dans la langue de votre choix. Il m'est arrivé de devoir subir un semestre de cours d'analyse linguistique anglaise rechangé à l'arrache en cours d'anglais tout court, parce que l'école doctorale avait négligé de prévenir l'enseignante qu'elle aurait affaire à des non-spécialistes, qui seraient là d'abord pour améliorer leur vocabulaire, reprendre quelques bases, comprendre les intervenants d'un colloque, savoir parler à un colloque sans faire pouffer de rire les auditeurs, comprendre les questions qu'une éminente spécialiste américaine ou suédoise fait à la suite de votre communication, et lire un bouquin de huit cent pages sans se décourager. Et si au lieu de ça, on nous avait délivré des cartes d'accès pour des laboratoires de langue, aux horaires élargis, ça n'aurait pas été aussi bien ? Et ne me dites pas qu'au lieu de râler j'aurais dû participer aux conseils universitaires comme représentant(e) des doctorants, je l'ai fait. Bouger le mamouth universitaire, non, mais vous voulez rire... Je me souviens m'être cassé le nez sur la simple constitution d'une liste des addresses électroniques des doctorants, pour faciliter les communications entre lesdits doctorants.
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25/10/2009

Adieu, Monsieur Chaunu !


Pierre Chaunu est mort, jeudi dernier, 22 octobre. Vous avez peut-être vu passer l'annonce. Pour moi, l'annonce a été comme un coup de tonnerre.
Vous trouverez facilement sa biographie sur le net. Un très grand historien. Un personnage de caractère, aussi, un peu à la manière de Fernand Braudel.

(Pierre Chaunu. Photo : archive Jean-Yves Desfoux, site ouest-France)

Historien moderniste, né en 1923, auteur d'une thèse sur Séville et l'Atlantique, dans laquelle il examinait les structures de l'espace atlantique de 1504 à 1650 (voir un compte-rendu sur Persee.fr de R.-H. Bautier) les relations avec l'Amérique naturellement, les échanges commerciaux entre Europe et Amérique, il était spécialiste de démographie historique, d'histoire religieuse. Un historien d'une puissance intellectuelle peu commune. Il suffit pour s'en rendre compte d'ouvrir son Temps des Réformes...!
Il était pour nous, étudiants des années 90, une des stars en histoire moderne, et même en histoire tout court. Plusieurs de nos professeurs avaient été ses élèves. Ils en avaient été marqués et nous en marquaient à leur tour.

Le personnage, je l'ai souvent écouté avec presque de l'adoration, dans le poste - j'aimerais beaucoup d'ailleurs retrouver ces émissions - et croisé souvent dans les rues le dimanche matin. Mais je ne l'ai vu qu'une fois "sur scène" lors d'une conférence. Un monstre sacré sur les planches, ça ne se ratait pas. Il s'agissait d'une conférence sur la démographie. J'ai gardé de lui quelques phrases acides qui disaient en gros que les Bretons, les Basques espagnols, les Corses, pouvaient revendiquer leur autonomie, mais qu'ils fassent vite, leur population étant en train de disparaître... Un pauvre auditeur, qui avait osé demander des précisions, s'est fait remballer vite fait, le maître n'appréciant pas qu'on lui demande des précisions, son propos avait été suffisamment clair... Et à chaque fois maintenant que je vois dans une conférence quelqu'un oublier la nécessité de garder son micro à proximité de la bouche, je pense à Chaunu. Ce soir-là, le micro était un objet inutile pour lui. Qui se retrouvait dans ses mains naturellement croisées dans le dos, ou élevées vers le ciel dans un grand geste d'exaspération, bref, heureusement, nous avions bonne oreille pour ne pas souffrir de l'absence du micro. Un personnage.

Pour finir sur plusieurs sites de journaux et notamment sur celui de Libération notamment, vous trouverez des anecdotes de ses anciens élèves (les veinards), très très drôles et émouvantes.



Adieu, Monsieur Chaunu !




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22/10/2009

Entre deux pages de thèse, de petits soldats émouvants...


Pfffiouh... un mois depuis le dernier billet. Je ne suis pas morte ni en hibernation, juste très très prise par les cours et la thèse. Rien de neuf, sauf que si. Je suis entrée dans l'année de rédaction, et je me suis fixée comme limite absolue la fin de l'été prochain. Et là, ça ne rigole plus. Un plan de bataille a été établi, et comme je me méfie de mes pires ennemies, autant dire moi et ma cossardise (j'aime les néologismes, moi aussi) j'essaie d'être stricte pour l'instant. Je sens que je vais dépasser, à terme. Alors au moins au début, j'essaie de ne pas déraper et envoyer tout de suite à la poubelle ce précieux calendrier. Ordonc, vous avez l'autorisation de me botter le derrière si à la fin du mois, je n'ai pas fini ma bibliographie. Si, si. En attendant, je m'ennuie et je me régale. Rien de plus fastidieux que de dépouiller des volumes de références bibliographiques. Mais j'en profite pour relever les numéros des références qui attisent ma curiosité, qui corrigeront ma culture générale, plus-tard-après-la-thèse quand j'aurais enfin le temps, me serviront pour mes cours.

À part ça, envie de reprendre le fil des billets ce matin pour cause de colère au réveil. Hé oui, le 22 octobre, hein. Guy Moquet, commémoration. Recommandations. Et foutage de gueule ministériel. Parce que les enseignants sont des fonctionnaires ils DOIVENT obéir. Ben voyons. Tant qu'on y est, à quand la récitation d'un cours pré-écrit à la gloire de notre valeureux chef d'État ? Histoire d'entretenir la fierté nationale, le patriotisme ?
J'ai aimé la chronique de Thomas Legrand (à réécouter ou lire sur cette page 7-10 du 22 octobre 2009). Qui précisait que G. Moquet n'était pas exactement un résistant. Un otage, fusillé pour l'exemple, en revanche oui. Une victime des exactions de l'occupant, toujours.

Mais les directives élyséennes et ministérielles m'ulcèrent. Alors, plutôt que de laisser les élèves dans l'ignorance de Guy Moquet, oui, lisons cette lettre. Et parlons de la construction de la mémoire, de la différence entre mémoire et souvenir. Parlons de propagande, qui se cache sous les oripeaux du patriotisme parfois. Avec les lycéens, on peut même commencer à étudier des articles de quelques historiens qui ont levé le sourcil sur cette obsession de la mémoire. Je sais bien que beaucoup de collègues mènent déjà ce genre de réflexion. Alors une ou deux références, pour ceux qui ont quitté les bancs de l'école depuis longtemps, pour ne pas être de petits soldats émouvants ou émus :

- Philippe Joutard, "La tyrannie de la mémoire", article de la revue l'Histoire, mai 1998 (consultable sur le site de l'histoire pour les abonnés, sinon me contacter par mail)
- P. Nora, Les lieux de mémoire, Gallimard, 1997
- plusieurs articles sur persee.fr en tapant en mots clés "historien" et "mémoire"

Il y a des quantités monstrueuses de références sur le sujet, mais je n'ai guère le temps de vous faire un tableau complet, là, maintenant. J'espère être pardonnée...

Et ces mots de Joutard pour conclure :
"En tout état de cause, nous n'avons pas le choix : dans un État de droit et une nation démocratique, c'est le devoir d'histoire et non le devoir de mémoire qui forme le citoyen. Car l'histoire si elle est fidèle à sa vocation, implique distance, remise en cause des stéréotypes et surtout débat et diversité des points de vue. Elle préserve du simplisme et du manichéisme, générateurs de haine et d'intolérance. Elle apprend la lucidité et l'esprit critique qui mettent à l'abris des illusionistes".

Boum.
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22/09/2009

Apocalypse, l'usage du document






6 millions de téléspectateurs ! Bigre ! C'est le chiffre d'Apocalypse, documentaire qui nous est proposé depuis quinze jours, et proposant un tableau de la Seconde Guerre Mondiale à partir d'images d'archives sonorisées et colorisées.

Se repose à ce sujet la sempiternelle question de l'usage des faits et des archives. Sempiternelle car elle revient souvent dans les discussions du public. La question de l'usage scientifique du document ne fait pas débat entre les historiens. Tout au plus le débat naît-il pour les chercheurs dès qu'il est question de présenter une émission de "vulgarisition" au grand public.

C'est le problème abordé ce matin dans Esprit Critique avec Vincent Josse, sur France Inter ( à écouter ici dans le Sept-Dix de ce jour (mardi 22 septembre 2009). Il confronte deux historiens spécialistes du sujet.

Car le principal reproche fait à ce documentaire, au demeurant très honnête, tient dans la maigreur des commentaires, des explications. On sait qu'un fait sans remise dans le contexte - préciser s'il s'agit d'une image de propagande ou pas, sans expliquer le moment que l'image ou le témoin ont capté, peut poser problème.

L'exemple pris est celui d'un Stuka qui fait exploser un char français, probablement une image de propagande, ce qui n'était pas dit. Mais n'est-ce pas légitime d'utiliser cette image pour "raconter" la guerre ?

Écoutez, faites votre jugement. Pour ma part, il est dommage de ne pas saisir l'occasion pour proposer au public le meilleur de décennies de recherches, sous prétexte qu'il faut faire grand public. C'est un peu prendre le spectateur pour plus bête qu'il est. Souvenons-nous, dans un autre format, plus long certes, du succès d'"Histoire Parallèle", cette prodigieuse émission qui m'a fait découvrir adolescente, tout ce que l'on pouvait faire d'un fait, d'une archive. Là où certains ne voyaient que récit de la Seconde Guerre Mondiale, M. Ferro nous proposait une incroyable analyse des images de propagande (oui, je voue un culte personnel à Marc Ferro, là, c'est avoué)...
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16/09/2009

Et une nouvelle rentrée, une !


Aaaaaaaaaahhhh... Permettez, je m'étire, encore un petit peu...

Bon, en vrai, je suis rentrée des vacances depuis bientôt quinze jours. Mais les rentrées, c'est toujours compliqué, encore plus quand on est contractuel. Le temps de faire les papiers d'inscription à l'université pour la thèse, les papiers pour le nouveau contrat de travail, un peu de thèse par ci, quelques réunions et échanges de mail par là pour préparer les cours, s'informer des particularités de fonctionnement de la nouvelle université, secouer le cocotier des gestionnaires du personnel pour qu'ils/elles n'oublient pas de verser le salaire de septembre ou au moins une avance, et tout le reste, et hop! Quinze jours en moins !

D'ailleurs pour l'inscription à l'université, je sens que les ennuis vont se concentrer sur ma tête! Dossier spécial, demande de dérogation pour une inscription parce que, voyez-vous, je suis gentiment en train d'exploser les trois sacro-saintes années de préparation du doctorat... et date butoir d'envoi dudit dossier, elle-aussi explosée. Oups. Boulette. Si, si. Vraiment. C'était en juillet. Ah oui, quand même.
En même temps le service des thèses n'avait qu'à le dire dans son courrier de juin, au lieu de mettre la date valable pour tous, soit la mi-octobre. Non mais hé!

Pour l'instant, je profite de mes dernières semaines sans cours pour me replonger à fonds dans la thèse, en éliminant le truc pénible mais nécessaire, le dépouillement de toutes les publications relatives à l'histoire de France et touchant de près ou de loin mon sujet. J'avais un peu survolé cette tâche en Master 2 (anciennement DEA), et comme j'ai HORREUR de l'à-peu-près, je ne peux pas envisager de rendre ce travail sans avoir fait cette partie proprement.
En DEA j'avais une excuse, je travaillais et en option, je faisais un DEA.

Dépouiller une bibliographie annuelle, or donc, est une chose tout sauf exaltante.
Il faut repérer les chapitres qui vous intéressent. Puis, s'emparer d'un premier volume, une feuille blanche, un stylo, et recopier les références des ouvrages ou des articles qui vous intéressent. Peut-être. Pas sûr. Mais on ne va pas courir le risque de laisser passer l'article fa-bu-leux que tout le monde a oublié et qui va changer la face du monde, non, de votre thèse. On peut rêver. Puis au bout d'une heure et demie à tourner les pages, tourner les pages, noter une référence, et tourner les pages, tourner les pages... On passe joyeusement (?) au volume suivant. Et c'est reparti, on tourne les pages, on tourne les pages.

Hé le monsieur là, à côté, à droite, il ne pourrait pas se couper les ongles ailleurs ? (Véridique, cet après-midi, il y en a un qui se coupait les ongles. Non seulement le tic-tic était désagréable dans le silence de la bibliothèque, mais en plus, je trouve ça... hum... pas très propre. Non?)
Et son voisin, il va comprendre qu'il ne tape pas sur une machine à écrire mais un ordinateur (récent qui plus est) ? À ce rythme, il va casser sa machine, ce fou! Un doigt POC, un autre doigt PLOC... Ne pas s'énerver, ne pas s'énerver ! Aaaaahhhh... Et voilà, c'est la rentrée, et je suis déjà stressée! Han...


Je vous laisse entre de bonnes mains: l'ensemble l'Arpeggiatta, et notamment cette chanson splendite, à écouter très fort et en dansant, même si on veut!

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12/08/2009

Bonnes vacances!


C'est l'été !

Comment, je viens de le découvrir ? Ah oui, un petit peu. J'aurais dû dire "Ce sont les vacances! (pour moi)", parce que je confonds un peu vacances et été. Tant que je ne suis pas en vacances, l'été me laisse indifférente. Ou alors me fait râler, parce que j'ai beaucoup trop chaud à vélo, sac à ordinateur sur le dos...

Enfin, indifférente, j'exagère. Bref. Si un jour j'ai une maison à la campagne, où me réfugier l'été, j'en profiterai peut-être pour de grandes tablées familiales, chargées de victuailles. En attendant, je vous souhaite bonnes vacances - quinze pauvres jours pour moi seulement, oh oui, je sais, vous ne m'avez pas attendue pour partir, ingrats! en vous laissant quelques sites alléchants et pas idiots :

- Boire et manger, quelle histoire !
Qui fait très envie... Beau, bon, intelligent, un régal !

- La page Actuhistoire consacrée à une recension de sites sur l'histoire de la nourriture (je suis allée sur oldcook, cet automne je me mets à la cuisine médiévale, il me faut donc du verjus!)


Estampe, Frontispice gravé du livre de La Varenne. Le Cuisinier François, enseignant la manière de bien apprester et assaisonner toutes sortes de viande grasses et maigres, légumes, pâtisseries et autres mets qui se servent tant sur les tables des grands que des particuliers avec une instruction pour faire des confitures, (La Haye), Adriaen Vlacy, 1664, 1 vol. in-12. (C) RMN / René-Gabriel Ojéda, 1664, Chantilly, musée Condé.
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La racaille du XVIIe siècle

Rembrandt, La leçon d'anatomie, 1632, Huile sur toile, 169 x 216, Het Mauritshuis.

En ce début de février 1630, le procureur du roi a un petit souci. Il lui faut prendre une décision, et ce n'est pas, croyez-moi, chose facile. L'affaire est fâcheuse, réellement fâcheuse. Cela dure depuis longtemps, des décennies même. Régulièrement il faut sévir. Mais avec les dernières règlementations exigeant des candidats chirurgiens une connaissance précise des corps, il fallait s'attendre à ce que les problèmes amplifient!

La peste soit de ces écoliers en médecine! Il faut déjà compter avec les désordres ordinaires que créent les mendiants, les vagabonds, la valetaille - ah ces petits valets, ces pages insolents, qui se gaussent des bourgeoises en allant leur chercher niches sous leurs jupons! Vermine!

Mais là, c'en est trop, ces gredins viennent maintenant en aide aux apprentis médecins, et pourquoi, me direz-vous? L'affaire est très simple: les étudiants en médecine, et particulièrement les compagnons apprentis chirurgiens s'emparent avec l'aide de laquais et autres gueux, des corps des condamnés, nuitamment, alors que ceux-ci ont à peine rendu leur dernier souffle. Les pages et laquais qui rendent ces coups de main sont rémunérés et s'évanouissent dans la nature jusqu'au prochain coup. Les corps, quant à eux, sont ramenés au logis de nos étudiants, voire vendus aux chirurgiens eux-mêmes, désireux de s'exercer pour garder la main, et disséqués en toute tranquilité, au mépris des lettres patentes du roi, et autres arrêts de la cour. La peste de ces étudiants! La peste!





Du vendredi 1er février 1630.

Sur la plainte faite à la Cour par le procureur général du roy, les voyes de fait, meurtres et violences qui se commettent par les escoliers etudiant en médecine et compaignons chirurgiens qui pour avoir les corps de ceux qui sont executez, attirent des vagabonds, pages et laquais, et les emportent par force, violant l'authorité du roy et le respect deub à la Justice, la matière mise en délibération et tout considéré

La Cour conformément à l'arrest donné en l'an 1615 a faict et faict inhibitions et deffences au lieutenant criminel de robe courte prevost de L'Isle et tous autres juges, mesme à l'executeur de la haute Justice et ses valets de deslivrer aucun corps mort aux barbiers et chirurgiens pour faire anatomies et dissections, sinon que la requeste soit signée du doyen de la faculté de medecine et scellé du sceau de lad. faculté, et toutes personnes mesmes aux escoliers estudians en medecine et aspirant à la maitrise de chirurgiens, d'aller en troupe pour les enlever, sur les peines portées par les arrests, mesme lesd. escoliers et aspirans privez de pouvoir parvenir à lad. maitrise, et a tous les chirurgiens de les y recevoir et d'assister à la dissection desd. corps enlevez par force, à peine des privation de leurs offices, Maistrises, et enjoint aux chirurgiens jurez de faire fermer les Boutiques de ceux qui contreviendront au present arrest, à peine d'en respondre en leurs propres et privez noms, et qu'à la requeste du procureur général il sera informé de la contravention au présent arrest qui sera leu publié et affiché a ce qu'on n'en prétende cause d'ignorance.


BnF, NAF 9804, fol. 88


À propos de la leçon d'anatomie de Rembrandt, j'ai trouvé par hasard cet article, assez fabuleux à première lecture... (site du journal français de l'orthopédie)
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Un petit air d'élégance surannée ?

Je suis tombée il y a quelques jours sur cette lettre d'un seigneur du début du XVIIe siècle, un seigneur fort important, puisqu'il s'agit du duc d'Épernon, ancien fidèle d'Henri III - un de ses "mignons" dont le sens a été expliqué par Nicolas Le Roux et ne renvoit en aucune façon à une quelconque homosexualité, voir N. Le Roux, La faveur du roi, mignons et courtisans au temps des derniers Valois, (site Champ Vallon) Paris, Champ Vallon, 2001 - avant de devenir après la fin des guerres civiles, un fidèle de Marie de Médicis.Regardez comme il est fier notre Épernon, ici... Peinture à l'huile, anonyme, 17e s., Musée de Versailles, 32 x 22 cm.

J'ai cédé à la tentation et relevé ce texte, alors qu'il ne concerne pas mon sujet d'étude, simplement à cause de la beauté de cette langue du début du XVIIe siècle et aussi parce que c'est un très bel exemple des relations de "clientélisme" qui liaient entre elles les élites de ce temps.
Pour faire court, ce terme désigne une pratique existant déjà dans la Rome antique républicaine, qui consiste dans la protection et l'aide qu'accorde un puissant et fortuné personnage à de nombreuses "clients" en réalité, des personnages moins haut placés, moins riches. Celles-ci peuvent espérer une carrière avantageuse et une fortune qui élevera leur famille ou la maintiendra au moins. En retour, le puissant personnage dispose de relais et d'appuis dans divers métiers, diverses provinces, ce qui lui permet de posséder un pouvoir sur des portions plus ou moins importantes du royaume, pour prendre le cas français. Ici le duc d'Épernon s'adresse au duc de Montmorency, un des chefs de file du parti des "modérés" ou Politiques, favorables, pour aller, vite, pendant les guerres de religion à un rapprochement entre catholiques et protestants. Notons que le sens du terme "clientélisme" est aujourd'hui beaucoup plus négatif.

J'ai travaillé dans le passé sur ce genre de lettre, je raffole toujours autant des correspondances, et je vous livre ce petit bonheur en toutes lettres...

"Monsieur,

Je ne veux point faire ce tort à mon devoir ni à mon affection que d'en laisser aller le présent porteur sans l'accompagner de celle-ci [cette lettre], qui sera non pour faire récit de ce qui se passe en cette armée d'autant que je me remets à la suffisance du porteur qui en est amplement informé pour vous en dire toutes nouvelles; mais plutôt pour me remémorer en l'honneur de vos bonnes grâces, auxquelles je vous supplie, Monsieur, de me conserver toujours et autant que je désire m'en rendre digne par toutes sortes de services dont je me pourrai adviser. J'espère de n'être si longtemps par deçà que je n'aie ce bien de vous voir dans peu de jours, qui me gardera de vous ennuyer de plus longue lettre. Demeurant jusqu'à ma fin, après vous avoir bien humblement baisé les mains, Monsieur, votre plus obéissant etc."
Lettre d'Épernon au duc de Montmorency, du 20 mars 1597.
À Montdidier.
BnF, Mss. Fr. 20505. fol 42.

Version originale :
Monsieur, Je ne veulx point faire ce tort va mon debvoir ny a mon affection que d'en laisser aller le present porteur sans l'accompaigner de cestecy, qui sera non pour faire aulcung recit de ce qui se passe en ceste armée d'aultant que je me remetz a la suffisance de ced. porteur qui en est amplement informé pour vous en dire toutes nouvelles. Mais plustot pour me rememorer en l'honneur de vos bonnes graces, ausquelles je vous supplye Monsieur de me conserver tousjours et aultant que je desire m'en rendre digne par toutes sortes de services dont je me pourrai adviser. J'espère de n'estre si longtemps par deça que je n'aye ce bien de vous voir dans peu de jours qui me gardera de vous ennuyer de plus longue lettre demeurant jusqu'à ma fin, apres vous avoir bien humblement baisé les mains, Monsieur, votre plus obeissant etc.
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31/07/2009

Et tu fais quoi, alors ?

- Les vacances se passent bien? Tu fais quoi cette année?
- ... Les vacances ?
- Bah, je ne comprends pas, tu n'es pas en vacances en ce moment ?
- Disons, je n'ai plus de cours depuis deux mois
- Ah quand même, ah c'est sympa, tu as du avoir le temps de te reposer, déjà....
- Pas tant que ça. Je travaille un tout petit peu (euphémisme) sur ma thèse, depuis quatre ans.
- Mais à part ça, tu travailleras quand pour de bon ?
- ... (in petto, avec un poil de mauvaise foi "ce n'est pas du travail, une thèse, peut-être?!" - je ronge mon frein et répond aimablement:) Eh bien, j'enseigne déjà, je suis un petit peu titulaire au moins dans le secondaire, quand même, mais tu dois le savoir.
- Ah oui, c'est vrai; et au fait à la rentrée, tu es en collège ou en lycée, là-bas, à ton nouveau poste dont tu parlais l'autre jour, déjà?
- Ni l'un ni l'autre, si je vais là-bas, c'est parce que j'ai dégoté un poste à l'université, sinon je serais partie dans la direction géopraphiquement opposée.
- Tu vas enseigner à l'université? Ouah! Tu dois être contente, ça va te changer!
- ... ça fait quatre ans que j'enseigne à l'université. Comme contractuelle d'accord, mais ça fait quatre ans.
- Ah bon? Ah ouiiiiii c'est vrai.


(shplop... ça c'est le conversation qui tombe. Flschflsch... si vous préférez la version ange qui passe)


- Et ta thèse ça va te servir à quoi, au fait?
- À passer le concours de maître de conférence et être enfin titulaire dans le supérieur.
- Oui, non, mais, je veux dire, ça va servir à quoi? (sur l'air de "et ça va même pas te rapporter de pognon?!") Parce que, les thèses d'histoire, personne ne lit ça.
-.... Si, si. Les enseignants du supérieur, quelquefois (in petto encore "On peut toujours garder quelques illusions, ça ne coûte rien"). Et puis les gens cultivés ou désireux de se cultiver.


(schloup. Ça, c'est le conversation qui tombe définitivement). En vrai la dernière réponse, je ne l'ai pas faite. Mais j'aurais dû. Hélas, en vrai je ne suis pas assez méchante. Ça paraît surréaliste comme conversation mais ce sont les éléments auxquels j'ai eu droit le week-end dernier.



Conclusion: j'aime ma famille. Surtout quand elle est loin. (Humour)


PS: quand je parle de supérieur, il n'y a pas de mépris à l'égard de qui que ce soit. C'est la formule consacrée pour parler de ce qui se passe après le bac. Non, parce qu'il y a des personnes dans mon entourage qui croient que je suis méprisante. Je me marre.
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27/07/2009

Le doute

Je ne suis pas en vacances, non, non ! Hélas, c'est mon drame, je suis épuisée, six jours sur sept aux archives pour avancer, avancer, essayer de finir ces %$?*@&! d'archives. Courage, plus qu'une centaine de cartons et registres...

J'ai fait des trouvailles fabuleuses, ce n'est déjà pas si mal. Me restera à partir de la rentrée le plus délicat, la rédaction. Paraît qu'à force de lire les sources du 17e siècle, à relever mot à mot divers textes en respectant orthographe et absence de ponctuation à la lettre, j'ai tendance dans mes premiers chapitres, à abuser de la litote et à négliger le principe fondamental que l'on répète aux étudiants "sujet, verbe, complément, point!". C'est triste, si,si, c'est triste. Être infoutu de respecter les dix commandements de l'historien (merci de ne pas me demander les neuf autres, c'était pour la formule).

La rédaction, or donc, est le plus difficile. Mais c'est ce que je préfère. C'est là que l'on fait le bilan de toutes les informations, que l'on compare avec ce qui est connu, que des "Bon sang, mais c'est bien sûr!" surgissent du tréfond du cerveau, qui rendent guilleret et bouleversent des certitudes. Restera à me débrouiller avec ma méfiance à l'égard de l'affirmation historique. Sans aller jusqu'au "je ne sais pas, je n'y étais pas!" qui a tendance à me hérisser légèrement le poil (oh! une litote... je vous le disais), il faut sauter le pas, au moins la première fois, de l'affirmation.

Toute certitude doit être étayée de preuves. Je ne vais pas m'étendre sur le rapport des historiens aux chiffres et aux statistiques, dont certains ont grandement abusé. On sait la stature intellectuelle d'un Pierre Chaunu - et il ne s'agit pas ici de la remettre en question - mais l'usage fait des statistiques dans certains de ses ouvrages, prenons La civilisation de l'Europe classique, laisse un peu à désirer: faute d'informations nécessaires en abscisse et en ordonnée, il est souvent difficile de lire les graphiques. Ça aère le texte, remarquez. Je dis cela, parce que je reste marquée par l'enseignement reçu au lycée en économie: il nous était formellement interdit de produire un graphique ou un tableau sans compléter tous les champs nécessaire pour la bonne compréhension de la chose produite, et sans phrase rédigée servant d'exemple de lecture.

Les premières fois où j'ai dû affirmer, j'ai eu beaucoup de mal. J'en ai toujours. La certitude de l'historien n'est souvent que l'hypothèse la plus plausible, car la seule qui résiste à l'épreuve de la confrontation des sources entre elles. En tout cas, garder le doute à l'esprit, la possibilité de l'erreur me semble plus prudent. Aujourd'hui encore, je préfère le conditionnel, la supposition.

Et si jamais le pithecanthropus erectus vivait dans un pavillon de banlieue, pétri de bonnes manières, jouait au tiercé, portant des cols durs, avant la guerre, avant que tout ne saute? Sait-on jamais...


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13/07/2009

De l'humanité des DRH

Et je n'arrive pas à prendre/trouver le temps d'un billet. En vrac, un poste à mi-temps à l'autre bout du pays pour la rentrée, ça aurait pu être mieux, ça aurait pu être pire. Les commissions de recrutement avaient un bon mois de retard, et comme d'habitude, chacun a ses propres dates, donc, je sais que j'étais classée dans plusieurs universités, mais, priée de dire oui ou non pour le demi-temps proposé, je n'avais pas le temps d'attendre des réponses pour d'autres temps pleins, en tablant sur les désistements éventuels des candidats placés devant moi.

Mon coup de grogne est surtout allé aux DRH et autres services du personnel. Je ne leur demandais pas de pleurer sur mon sort, mais simplement de garder à l'esprit qu'il y a des vies derrière les dossiers, des couples,qui vont être séparés à l'occasion, qui vont devoir faire avec 500 euros de moins par mois, pour cause de mi-temps, ou même un salaire complet en moins. De prévenir, envoyer des courriers pour dire que l'on n'est pas pris, de mettre en ligne les dates de réunion des commissions et des conseils scientifiques POUR QUE L'ON SACHE! Et que l'on ne passe pas des jours entiers au téléphone à tenter d'obtenir des informations toujours imprécises...
Sinon il m'est arrivé un truc (très) drôle: j'étais classée dans une université, ce qui me remontait le moral. Jusqu'à ce que j'apprenne qu'il n'y avait pas de poste dans ma section scientifique. Ballot, non ? Être classée pour un poste inexistant.

Bref, c'est reparti pour un an à courir les trains. *petite voix geignarde on* Je veux être titulariséééeeee ! Je veux en finir avec cette thèseu ! *petite voix geignarde off*

Pour parler d'autre chose, en ce moment, je me régale avec ça (et vous le conseille par le même biais): Sylvène Édouard, Le corps d'une reine, histoire singulière d'Élisabeth de Valois (1546-1568), aux Presses universitaires de Rennes:
Le corps de la reine est celui d'Elisabeth de Valois, fille d'Henri II et de Catherine de Médicis, qui fut princesse de France puis reine d'Espagne de 1559 jusqu'à sa mort en 1568.
A partir de sources diverses et originales, Sylvène Édouard propose une biographie du corps de la reine pour démontrer qu'il fut un et politique. En soulignant l'importance du langage des signes corporels dans les cours de France et d'Espagne à la fin de la Renaissance, le sujet se déplace d'une cour à l'autre, où les cultures du corps furent différentes, au point de devenir des frontières symboliques entre ces " nations ".
Les signes éloquents du corps majestueux de la reine et son devoir d'enfanter un héritier révèlent aussi, de son baptême à sa mort, une pratique du don, celui de ces corps princiers qui furent éduqués pour se donner pleinement à leur dignité (résumé Decitre à retrouver ici)
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26/06/2009

La cigale et la fourmi d'aujourd'hui

La Cigale, ayant boursicoté
Tant et tant de décennies et d'années,

Se trouva effarée, fort dépourvue
Quand la crise redoutée fut venue :

Pas un seul petit, tout petit morceau
D'actif, de titre sains, de free cash flow

À grever de si juteux intérêts.
Elle se trouvait bien fort embarrassée.

Elle alla crier misère et famine
Chez la Fourmi patronne et voisine,

Exigeant hypothèque pour accorder
Tout prêt, contracté afin d'embaucher

(Sotte idée), jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous en saurai bien gré, lui dit-elle,

Foi de financier filou, cannibale,
Je garderai intérêt, principal. "

La petite Fourmi peu hasardeuse :
(Et c'est là le plus grand de ses défauts)
Que faisiez-vous, s'il vous plaît, au temps chaud ?
Demanda t-elle à cette prêteuse.

- Nuit et jour, sans cesse, à tout venant
Je spéculais, ne vous en déplaise.
- Vraiment, vous spéculiez ? J'en suis fort aise.
Eh! Riez, je licencie maintenant.

Sur le ton de la fable, voici ma tristesse. Après tant d'années à se battre pour survivre, embaucher, se développer, porter son projet, l'homme, et moi par la même occasion, sommes les otages des banques, qui bien avant la crise, refusaient de prêter à des conditions honnêtes pour financer des embauches. Des conditions honnêtes c'est quand nous ne sommes pas obligés de faire de nos biens personnels des garanties pour un emprunt. L'unique but de cet emprunt est de développer le personnel de l'entreprise, pour répondre à la demande ces clients. Ce qui nous éviterait de couler... Si on coule, il ne touchera pas d'assedics, et on verrait nos biens être vendus pour satisfaire la banque.

Notez que pour des emprunts destinés à du matériel, les banques sont beaucoup plus arrangeantes, persuadées des pouvoir réupérer le matériel en cas de faillite. Ce qui est idiot, la valeur de revente n'étant pas semblable à celle de la vente initiale. Mais passons. La connaissance de la gestion d'une entreprise est tellement bien maîtrisée par les banquiers, que le nôtre n'a même pas osé nous dire que le dossier d'emprunt n'avait même pas été constitué, car il sait que le siège (le patron du banquier) ne le regardera même pas... Sauf que savoir est essentiel pour trouver au plus vite une autre solution.

Sérieusement, mon pauvre monsieur, vous voulez embaucher ? Mais quelle idée ! Laissez-nous donc continuer à magouiller nos actifs pourris... Sinon, vous pouvez vous adresser à des financiers. Comment ? Ils s'en f*** de l'avenir de vos employés ? Quand ils auront fait main basse sur la direction de l'entreprise, ils la pressureront avant de lui faire déposer le bilan ? Et alors, qu'est-ce que vous voulez que ça nous fasse, à nous les banquiers ?

Quand je disais qu'il y avait quelque chose de pourri dans le royaume de l'économie, depuis que les banquiers ne sont plus commerçants...

PS : il va de soi que je parle des patrons de PME, et pas de ceux qui collectionnent les golden hello et autres parachutes dorés, que ne connaissent pas les "petits patrons".

PS 2 : pour remonter mon moral, toujours pas de proposition de poste pour moi pour la rentrée prochaine... Pensons à autre chose, pensons à autre chose, fuyons, fuyons...
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18/06/2009

"Racisme socio-économique" vous avez dit ?

En écoutant là-bas si j'y suis - pour une fois que je bosse à la maison - je suis restée aterrée par la naïveté de quelques personnes au cerveau pourri d'idéologie, journalistes, enseignants, ou autre qui causaient dans le poste. En gros il était question de la société de la région de Roubais, "grandes familles" et "familles d'ouvriers" au XXe siècle. Comment les "grandes familles" ont construit leur fortune, la raison d'être de leur politique sociale, leur capitalisme qui les a poussé à délocaliser, et à s'installer en Beligique plutôt qu'en France parce qu'en Belgique il n'y a pas d'ISF.
Et évidemment il y a eu un couplet de dénonciation du "racisme socio-économique" dont souffrent les jeunes issus de ces familles ouvrières. Parce qu'ils sont de milieux pauvres économiquement, ils sont stigmatisés, et c'est à cause de cela qu'ils peinent dans la vie.

Mais est-ce que ceux qui affirment cela ont connu cette vie "pauvre" ?! Au nom de quoi font-ils le lien entre pauvreté et difficulté d'insertion sociale ?! Non ils affirment! J'ai grandi dans une famille "nombreuse" (et pas seulement nombreuse sur les critères actuels, soit "trois enfants", non plus nombreuse que cela). Avec un seul salaire, niveau SMIC ou à peine plus, mes parents ne nous parlaient jamais argent, et les allocations familliales pour tenir. Le jardin et quelques animaux de basse-cour, il est vrai, étaient essentiels.
Aucun d'entre nous n'est devenu délinquant, aucun n'a franchi la ligne rouge du mot sur le carnet pour indiscipline, il ne vallait mieux pas, si l'on tenait au bon état de nos abbattis.
Mais quand donc ces analystes à la noix comprendront-ils que ce qui détruit un môme c'est l'absence d'apprentissage des règles sociales, l'absence de suivi dans l'éducation ? Les parents qui n'y arrivent pas avec leurs mômes peuvent avoir de bonnes raisons, dépression, la tête qui explose avec tous les soucis financiers, n'avoir jamais su comment faire, être partagé entre trop d'amour et l'exigence de la sévérité minimale que nécessite l'éducation.
Et si on arrêtait de généraliser, si on traitait au cas par cas, ce serait bien, aussi...Entre la démagogie d'accuser ces mômes d'être toujours des délinquants et la manie de toujours les excuser, il y a peut-être un milieu, non ?
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11/06/2009

Rien au-dessus des natures mortes !

Nature morte à l'échiquier (Les cinq sens), Lubin Baugin, huile sur bois, 55 x 73 cm, Musée du Louvre, Paris

En visitant le blog d'une amie, j'y ai vu en passant un tout petit bout de tableau, une nature morte au citron. On ne voyait d'ailleurs que le citron. Thème cher aux peintres de natures mortes, or je suis fanatique absolue (comment, c'est redondont ? Pas assez pour dire ma folie) une fanatique donc des natures mortes, au moins tant qu'elles ont porté un message caché, donc en gros jusqu'au XVIIe siècle... Juste après, ce sont les scènes de genre qui me font soupirer.
Pour en revenir à notre citron, ce fruit est en principe toujours peint avec un rouleau de peau que l'on serait en train d'éplucher. Ce n'est pas un hasard : le citron dont la peau se déroule signifie l'amertume de la vie terrestre, qui se déroule jusqu'à la mort.

En cherchant de quoi me rafraîchir la mémoire sur le langage symbolique des natures mortes, j'ai trouvé ceci (site du CNDP, signé Valérie Bougault):

De tous les genres de la peinture, la nature morte est le seul dont l’image peut offrir autant d’interprétations. Parce qu’elle est composée d’objets, porteurs de sens symboliques ou non, elle est le vecteur idéal du message.

"Des codes sont à l’œuvre dans la plupart des natures mortes. Les vanités ont porté ce principe à son paroxysme puisque aucun objet ne s’y produit « gratuitement ». Le plus souvent parfaitement compréhensible aux spectateurs de l’époque, familiers des symboles religieux ou moraux en usage, ce langage a cessé de nous être accessible. La nature morte est donc aujourd’hui deux fois morte : par son objet, inanimé, et par son sens, introuvable ou dont nous sommes tout à fait inconscients.
Au cœur des natures mortes des XVe et XVIe siècles, les objets sont autorisés à figurer parce qu’ils sont porteurs d’un autre sens que celui de leur matérialité quotidienne. La symbolique religieuse parcourt tout un éventail, du séculier au mystique. Le décor qui figure en arrière-plan d’un saint – Saint Éloi orfèvre, de Petrus Christus, 1449 – n’est pas purement décoratif : les bijoux, coraux précieux, aiguières ciselées sont les attributs qui révèlent le patron des orfèvres.
Ailleurs :
- la serviette figure la pureté
- la fontaine, la virginité,
- le livre ouvert, la piété.

Dans les pures scènes de piété, les fleurs, fruits et autres objets sont autant de références à la Bible, à la liturgie, à la prière :
- la pomme renvoie à Adam et au péché originel,
- les cerises au Paradis,
- le raisin à l’incarnation du Sauveur et au mystère de l’Eucharistie,
- le calice de vin au sang versé par le Christ ;
- la noix est la chair tendre de Jésus sur le bois de la Croix,
- le citron, l’amertume de la Chute.

Les fleurs aussi ont leur traduction :
- le lys signifie la pureté,
- l’ancolie, la présence du Saint-Esprit,
- l’iris, la douleur,
- l’œillet, par homonymie (carnatio), l’incarnation du Christ.

La symbolique morale triomphe dans les vanités dont la composition forme un message.

Une catégorie originale

On donne le nom de vanité à une catégorie particulière de la nature morte qui associe des symboles du temps, de la brièveté de la vie, de la mort, aux objets de l’activité humaine. Ce genre de représentation a des origines anciennes puisqu’on retrouve à Pompéi une mosaïque montrant un crâne entouré des attributs du mendiant et du roi, souligné d’une sentence : « La mort égalise tout. » Elle connaît son apogée en 1620-1630, notamment à Leyde, en Hollande, dans le milieu très calviniste de l’université, pour s’étendre ensuite à toute l’Europe de la Contre-Réforme. Elle est l’expression picturale de l’esprit baroque qui a marqué le XVIIe siècle. On retrouve ce Memento mori – « Souviens-toi que tu vas mourir » – dans l’iconographie de saint Jérôme, méditant dans sa cellule entouré de livres, d’un sablier, d’une bougie et d’un crâne.

On distingue diverses catégories d’objets symbolisant tour à tour :
  • la corruption de toute matière : la mouche, qui précède le ver de la pourriture, et les petits insectes d’une manière générale ; les pétales fanés ; les fruits abîmés ; les pierres lézardées ou les rebords de coupelles ébréchés ; les cordes rompues ;
  • la fuite du temps : le chronomètre ou la montre, la bougie consumée, le sablier, le crâne ou le squelette, la lampe à huile ;
  • la fragilité de la vie : crânes, bougies éteintes, fleurs fanées, miroirs, instruments de musique, fumée, bulle de savon, chenille, papillon (qui est aussi symbole de l’âme), verre brisé ou renversé ; objets en déséquilibre ;
  • la vanité des biens de ce monde : étoffes précieuses, coquillages, bijoux, pièces de monnaie, armes, couronnes et sceptres (richesse et pouvoir), livres, instruments scientifiques, bustes antiques ou tout objet d’art (connaissance), verres et vin, pipes, instruments de musique, cartes à jouer, dés (plaisirs) ;
  • la vérité de la résurrection et de la vie éternelle : épis de blé, couronnes de laurier, citations des Écritures ou des stoïciens qui soulignent l’inutilité des biens de ce monde sous forme de sentences : Vanitas vanitatum et omnia vanitas (« Vanité des vanités, tout est vanité »), « Toutes choses ont leur temps », « Sorti nu du ventre de sa mère, il s’en retournera de même, et n’emportera rien avec lui du fruit de son labeur ».
La symbolique des objets s’interprète différemment selon le contexte, un peu comme dans les arts divinatoires, et rend la lecture des vanités parfois complexe. Par exemple ici un crâne signifie la fragilité humaine, là il évoque l’immortalité. Ailleurs, les livres symbolisent la vanité de toutes connaissances, ou se réfèrent aux textes sacrés ou encore érigent le savoir en valeur positive. Cette « nature morte moralisée », si elle a eu ses ténors aux Pays-Bas – David Bailly, Harmen et Pieter Steenwijck –, n’a pas produit de style particulier, s’adaptant au courant dominant. En France, les inquiétudes pascaliennes du mouvement janséniste lui ont imprimé une sobriété de motifs particulière à travers les peintures de Philippe de Champaigne ou de Lubin Baugin. Cette « indépendance plastique » notable explique peut-être l’étrange pérennité du thème, puisqu’on en retrouve des interprétations jusqu’à aujourd’hui avec Gerhard Richter en passant par Cézanne et Braque."

Sur ce site marchand d'art, artcult.fr vous trouverez une très jolie étude sur des natures mortes au homard (surprenant, non ? L'idée de symbolique du homard...) et ici sur le site du Louvre, un joli parcours sur les natures mortes de l'École du Nord.

Pour finir, on trouve nombre de livres d'art sur les natures mortes, des petits, des moyens, des gros, mais pour moi il me faut un gros, très gros (hélas très cher), celui-ci entre tous:
Sybille Ebert-Schifferer, Natures mortes, Paris, Citadelles & Mazenod, 1999.


Tout cela me rappelle les extases (si, si, je vous jure) de notre ancien prof d'histoire de l'art, directeur du musée de ma ville universitaire, qui, partant dans de grandes envolées lyriques, évoquait la "volupté de cette manche!" (celle de l'Arioste peint par le Titien) sur le tableau du ou de la "plénitude de cette pomme" de telle nature morte XIXe siècle... En vrais gredins que nous étions, qu'est-ce que cela nous faisait rire! Et après on s'étonne que les études d'histoire de l'art ne m'ait jamais tentée!

Rien à voir, mais aujourd'hui pour la première fois depuis que je lis des archives, soit un, deux, trois, non, six ans à peu près, j'ai dû sortir une loupe pour déchiffrer un mot ! Pour peu je me croirais dans la cour des grands, enfin, des médiévistes... C'est vrai, il n'y a que les médiévistes pour utiliser une loupe, en salle d'archive... Nous, les modernites, c'est rare, et pourtant on a les plus sales écritures! Et eux, les plus belles enluminures (non en fait, c'est faux, les plus belles sont - à mon goût - au XVe et XVIe s.). Il faudra que je vous cause des joies de la paléographie, un de ces jours...
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07/06/2009

Je suis fâchée avec les expos en ce moment...


Entre celle de Versailles sur Le costume de cour, et celle sur les Jeux de Princes, jeux de vilains, je fais la moue... Il faut admettre dans les deux cas que la préparation a dû être complexe, demander le prêt de ces objets, gérer les assurances à la hauteur de leur valeur (surtout pour les costumes). La richesse des deux expositions est flagrante et mérite d'être saluée. Oui mais. On passera sur Lauzun, déclaré époux morganatique de la Grande Mademoiselle - en fait, on n'en sait rien, mais si jamais c'est faux, Lauzun a dû faire un looping de bonheur, dans sa tombe -, sur des bêtises entendues de la bouche d'un responsable de l'exposition, passons, glissons. Le problème essentiel, mon chagrin, c'est l'absence de commentaires dignes de ce nom et du coup, la sensation d'une occasion ratée. J'ai l'impression qu'on a voulu en mettre plein la vue, on en a plein la vue dans les deux cas, mais c'est tout.

J'aurais aimé avoir une idée de la fabrication de ces costumes - pour avoir démonté des parures anciennes, on imagine peu les techniques en admirant juste le résultat -, les métiers qui étaient derrière, l'économie de la cour; j'aurais aimé qu'on m'explique le lien entre politique et vêtement princier, les raisons de ce besoin de parures poussé à l'extrême (les relations entre l'apprentissage de la maîtrise des corps dès l'enfance par la danse, par les corsets, le poids de l'éducation princière, la maîtrise de soi très néo-stoïcienne et la maîtrise d'un royaume), ce que ces costumes disent de la société qui les a produit, bref, j'aurais voulu non seulement qu'on m'éblouisse mais aussi et autant qu'on provoque le bouleversement des idées. J'aurais voulu ressortir de là en ayant l'impression d'avoir découvert un nouveau monde. J'ai seulement découvert de jolies choses. Peut-être que j'ai un peu une dent contre les administrateurs de Versailles et leur manie d'en mettre plein la vue au détriment de la qualité scientifique. Ils nous ont fait le même coup avec le mobilier en argent. Je ne parlerai pas du colloque sur le costume de cour, où il fallait réserver sa place avant même l'annonce officielle dudit colloque, et dont de toute façon le contenu était, paraît-il, assez décevant aussi.

Pour l'expo de l'arsenal sur les jeux, j'en suis ressortie sans savoir quels étaient les jeux des princes et ceux des vilains. Au-delà de la formule, on aurait aimé peut-être plus de pédagogie, plus d'ouverture aussi : pourquoi ne pas avoir insisté davantage sur les jeux d'enfants ? J'avais plein de questions qui sont restées pour la plupart sans réponse: qui joue entre Moyen-Âge et XVIIIe siècle? Les hommes, plus que les femmes ou l'inverse? Quelles catégories sociales et culturelles ? La question des fabricants de jeux était abordée, mais de façon éclatée. N'aurait-il pas été préférable de présenter des volets thématiques plus clairs : il aurait été intéressant de présenter toutes les représentations iconographiques du jeu, pour mettre en lumière les jeux que l'on représente et ceux que l'on ne représente pas ou peu. J'ai des connaissances à l'Arsenal, je ne sais pas s'ils ont participé à la préparation mais je suis chagrine pour eux du résultat de cette exposition.
C'est l'occasion de voir de beaux manuscrits, de beaux objets en ivoire, en marqueterie (ah! cette table de jeu! Il faut que j'écrive un best-seller à tout prix, pour m'en payer une comme celle-là!), d'assez beaux tableaux. Mais c'est à peu près tout. Ah! et puis, l'absence de librairie, non mais, quelle idée ! Qu'est-ce que j'aurais aimé acheter une reproduction des jeux de l'oie du XVIIIe siècle, moi! Tant pis...

Dernière chose : le prix des livres de ces expositions... 52 euros pour celui sur les Fastes de cour, et 38 euros pour celui sur les jeux. 52 euros. Je m'étrangle.
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