Blogger Template by Blogcrowds.

Une envie de livres ?

18/10/2008

Enseignement secondaire de l'histoire et esprit critique, le grand écart...


Picasso, Guernica
1937, Peinture l'huile,
Musée de la reine Sofia, Madrid



Le week-end, c'est l'occasion de se détendre (hum... comment ça je suis censée travailler? Oui, bon, juste après ce billet c'est promis!) je fais mon p'tit tour sur la toile, et je fais tourner le truc qui me sert à penser (mon cerveau quoi), sur d'autres sujets que mon sujet de recherche ou de cours.

Sur un forum d'histoire, je suis tombée sur une réflexion au sujet de la neutralité de l'enseignant d'histoire. Hélas, je dois avouer que certains propos étaient justes, et sont peut-être une des raisons de mon dégoût d'élève pour ce truc que l'on appelle "listouarregého".

Je me souviens de la réflexion de mes étudiants qui n'étaient pas du tout historiens (ils étaient dans une filière les préparant au concours de professeur des écoles, je devais leur faire en 3e année de faculté une initiation à l'histoire) "Je n'aimais pas l'histoire, mais je n'en avais jamais fait comme ça". Le "ça" désignant la façon dont je les faisais réfléchir sur l'intérêt de la pratique de l'histoire.

Or, ce "ça" manque à mon sens cruellement dans les programmes du secondaire.

J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer que l'objectivité est une nécessité pour un historien, souvent inatteignable. Mais le but est de la viser...

Or, l'enseignant français doit, selon les programmes, faire l'historique des valeurs du monde actuel, voire défendre les valeurs de la République, c'est-à-dire prendre fait et cause pour l'idéologie républicaine française, la seule valable offerte aux élèves (n'est-il pas traditionnellement chargé de l'éducation civique? Et rappelez-vous pourquoi et depuis quand histoire et géographie sont associées...).

Un enseignant qui ne respecte pas ces directives peut être sanctionné. Oh, pas de goulag en perspective, on lui bloquera tout avancement.

L'exemple le meilleur est sans doute le programme de classe de seconde (voies générale et technologique).
Sont traités : – un exemple de citoyenneté dans l'Antiquité : le citoyen à Athènes au Ve siècle avant J.-C. ; – une approche de la religion chrétienne, composante majeure de la civilisation occidentale ; – la diversité des civilisations médiévales ; – une nouvelle vision de l'homme et du monde à la Renaissance ; – le tournant fondamental représenté par la période révolutionnaire en France ; – l'Europe en mutation pendant la première moitié du XIXe siècle (jusqu'aux révolutions de 1848 incluses).

Allez voir ici, sur le site du SCÉREN ("services culture éditions ressources de l'éducation nationale", ouf, on est au bout !) les extraits des textes officiels et le descriptif des programmes avec les instructions officielles.

Le commentaire suit : "Les programmes d'histoire-géographie permettent en effet la compréhension du monde contemporain, par l'étude de moments historiques qui ont participé à sa construction et par celle de l'action actuelle des sociétés sur leurs territoires. La démarche par laquelle les connaissances sont acquises, la recherche permanente du sens, l'exercice du raisonnement et de l'esprit critique contribuent à la formation des élèves : ils leur donnent une vision dynamique et distanciée du monde, fondement nécessaire d'une citoyenneté qui devient au lycée une réalité effective."

Que ce programme permette de construire une culture, je veux bien. Mais comment forger des esprits critiques, sans points de comparaison ? Avec le système monarchique, avec des dictatures anciennes, avec des régimes combinés, d'autres, oligarchiques, etc.
À part conclure que la citoyenneté d'aujourd'hui c'est quand même hachement mieux que celle de la grande époque d'Athènes, parce qu'à l'époque les femmes et les esclaves n'avaient pas le droit de participer à la vie de la société, comme les hommes, que peuvent en retenir des adolescents ? Surtout qu'à cet âge-là, on fait rarement les choses à moitié...

Si le but n'est pas de valoriser la démocratie, à quel résultat pense-t-on aboutir en ne parlant en matière de régime politique que de démocratie ?

Savoir qu'il y en a eu d'autre, qu'aucun régime politique n'est parfait, qu'ils sont tous un peu utopiques, que chaque régime aussi louable soit-il, impose son idéologie, sa propagande, ne serait-il pas aussi essentiel ?

Savoir que chaque système politique a compté ses grands hommes, ses "saints" selon ma définition (allez voir là), qu'il a avancé grâce à eux... Car à enseigner les idéaux seuls (la citoyenneté -avec Athènes-, la tolérance - la Méditerranée-, l'humanisme - de la Renaissance-, pour insister au final, conformément aux directives sur la période révolutionnaire et le monde contemporain), conformément aux directives, n'est-ce pas nourrir les élèves d'illusions sur la réalité de l'histoire, non pas désespérante, mais ancrée dans l'humain, l'erreur pour ne pas dire les errements ?

Et si on leur faisait découvrir que les sociétés européennes entre les Ve et XVIIIe siècles étaient fondées sur l'association de groupes sociaux dont les intérêts respectifs étaient garantis en échange de devoirs et de droits respectifs, et non une société tyrannique où le Tiers état, associé fréquemment de façon fantaisiste au petit peuple travailleur, était brimé par un roi, un clergé et une noblesse... Bref, qu'il n'y a pas de modèle politique absolu.

Or, la tendance naturelle est que chaque époque enfante le régime politique qui lui semble le meilleur et n'en imagine pas d'autres. Bien mieux, chaque époque légitime son propre régime, propagande et idéologie à l'appui.

Il me semble parfois que c'est presque forger non pas des esprits critiques mais des esprits d'aigris et revenus de tout, les pousser à dix ou vingt ans plus tard dans les bras des extrémismes de tout poil, en leur faisant dire "Nos politiques nous trahissent, et trahissent la démocratie !" Et à rejeter par là tout en bloc, sans nuance... Car leur dire qu'il n'y a pas qu'un seul modèle, mais qu'il faut croire dans la capacité d'une société à inventer son système socio-politique, qui ne sera jamais parfait mais dont l'objectif de perfectionnement est entre leurs mains.

J'ai développé les aspects du programme qui traitent de la démocratie, mais, on pourrait faire de même avec l'humanisme : les hommes du Moyen Âge et de l'Antiquité étaient donc des arriérés, à vivre sans cette valeur ???

Quand à la tolérance dans la Méditerranée au XIIIe siècle, elle est pour le moins à replacer dans son contexte, et n'a pas grand chose à voir avec notre tolérance... Bref !

Ça me filerait presque le bourdon, ces programmes... C'est un peu comme donner à des élèves des Beaux-Arts pour toute formation le modèle des peintres pompiers, bien académique, sans jamais leur parler de Picasso... Heureusement qu'il y a le génie individuel de quelques professeurs pour réparer ce triste programme...
Rendez-vous sur Hellocoton !