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Une envie de livres ?

10/10/2010

Devenir historien (7)

J'ai découvert il y a quelque temps cette tribune publiée par Le Monde du 21 novembre 2007, qui mérite d'être lue si vous ne la connaissez pas encore. Le bilan n'est pas glorieux mais je crois qu'il était et reste parfaitement nécessaire étant donné les réactions entendues dans la bouche de Monsieur tout le monde, lorsqu'a eu lieu la grève de 2008-2009. Pour commencer à bien connaître les conditions de travail dans le supérieur, je dois avouer que cette tribune reflète l'exacte vérité. Il ne faudrait pas en conclure que ces conditions sont démotivantes, car le goût de la recherche et de l'enseignement fait accepter cette réalité. Enseignant-chercheur n'est pas un métier que l'on fait pour devenir riche. Il n'en reste pas moins que l'on a une relative garantie du salaire, ce qui est un luxe. Et puis lorsque l'on commence, ces détails-là semblent sans importance, tant le bonheur de se consacrer à la recherche semble supérieur à tout.

Cela dit, je me passerais bien des commentaires insultants de cette ministre qui osait encore dire dans le poste pas plus tard qu'il y a un mois, que s'il y a autant d'abandons chez les étudiants lors de la première année, c'est parce que les enseignants n'y mettent pas assez du leur. Devant de telles réflexions, je lui adresserais bien mon mépris le plus cordial. Mais je garde pour moi les noms d'oiseaux qui me viennent à l'esprit. Son titre de ministre de l'autorise pas à mépriser le travail de ceux qui sont dans les classes. Il faut cependant "laisser dire les sots, le savoir a son prix". Madame le ministre devrait au moins savoir, puisqu'elle se permet de faire la leçon, que d'un magistrat ignorant c'est la robe que l'on salue.  Qu'elle prenne garde, il n'y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne, comme je l'ai appris il y a longtemps en étudiant le latin, cette chose que l'on veut nous faire croire inutile.

Point de vue
Les enseignants, ces oubliés

Dans le tohu-bohu actuel sur l'université et les réformes qui la visent, l'enseignant-chercheur est oublié, voire calomnié. Quand on l'évoque, c'est pour pointer les échecs pédagogiques qui lui seraient imputables ou ses prétendus piètres résultats dans le domaine de la recherche. Que l'on nous permette de dépasser ces clichés. Pour intégrer l'enseignement supérieur, un très long parcours d'obstacles est à suivre : huit années d'études supérieures au minimum, ponctuées de diverses barrières hyper-sélectives (souvent l'agrégation, puis le concours de recrutement dans l'université offrant un poste). Le postulant doit aussi, outre sa thèse, avoir déjà fait parler de lui, en publiant notamment des articles dans des revues savantes. Seuls 5 % environ des doctorants bénéficiant d'une (maigre) allocation, les autres se débrouillent comme ils peuvent.

Au terme de ces épreuves, que découvre alors le maître de conférences fraîchement émoulu ? Des locaux effrayants : salles de classe crasseuses ; amphithéâtres lugubres ; bureaux quand ils existent, à partager à plusieurs, non équipés (même d'un téléphone, ne parlons pas d'ordinateur...) et mal chauffés. Cet inconfort affiche visiblement un mépris pour le savoir, pour ceux qui en assurent la diffusion comme pour ceux qui le reçoivent.

Le sentiment d'être traité avec indignité est confirmé par sa première feuille de paie : 1 600 euros net. Mais ce n'est qu'une question de patience : tous les deux ans et dix mois, très exactement, il prendra un échelon qui lui permettra, à coups d'une centaine d'euros, de gravir petit à petit l'échelle salariale, jusqu'à atteindre 2 500 euros nets dans la quarantaine. Si, au prix d'une nouvelle thèse et d'un nouveau concours, le maître de conférences parvient à accéder au rang de professeur des universités, et à condition qu'un poste soit offert dans sa spécialité, il pourra compter sur quelques centaines d'euros supplémentaires. On le voit, la personne la plus diplômée de France peut être qualifiée de nantie. De ce traitement, il faut souvent défalquer les transports nécessaires pour se rendre sur le lieu d'enseignement. Bon nombre d'universitaires traversent en effet le pays deux ou trois fois par semaine, à leurs frais, pour aller travailler. Tous les enseignants des universités devraient se voir allouer une indemnité, non forfaitaire, calculée sur les frais réels engagés par l'exercice de leur profession : déplacements, équipement informatique, achats d'ouvrages, etc.

Quant à la charge de travail des universitaires, le malentendu est total : les 192 heures d'enseignement requises (soit davantage qu'aux Etats-Unis ou au Canada, puisque les comparaisons avec l'étranger sont de saison) sont à comprendre comme du face-à-face. Elles n'incluent évidemment pas les très longues heures de préparation, de très lourdes corrections (par centaines de copies), ou de lecture de mémoires et thèses (par dizaines), de rendez-vous avec les étudiants, en master et doctorat notamment ; elles ne comptabilisent pas la présence aux jurys d'examen et de soutenance ni aux réunions pédagogiques proliférantes ; elles ignorent aussi bien le temps passé à l'exercice de responsabilités administratives, de plus en plus envahissantes.

Ces lourdes tâches rendent la mission de chercheur presque optionnelle, d'autant qu'elle est peu reconnue et notoirement sous-dotée (la « prime de recherche », d'environ 1 000 euros annuels n'a pas augmenté depuis vingt ans). On peut d'ailleurs s'étonner que cette obligation de production soit globalement si bien remplie en France, dans ces conditions d'indigence et d'indifférence. Aujourd'hui, l'habituelle lassitude cède la place à une forme de révolte, face à la dégradation d'une condition déjà en soi inacceptable et qui s'accompagne d'un inquiétant discours de mépris. A moins qu'on ne considère que « la République n'a pas besoin de savants ».

Nathalie Barberger, Florence de Chalonge, Claude Habib, Anne Richardot, Nelly Wolf sont maîtres de conférences ou professeur[s des universités [en lettres et littérature françaises] à Lille-III.
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