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Une envie de livres ?

12/04/2009

La vie des archives


L'autre jour, j'ai consulté simultanément deux registres que tout opposait, le contenu, mais plus encore le format. C'est une chose amusante, oh d'un amusement très relatif, je vous le concède, mais quand on reste plongé sans compter ses heures de lecture (ou tentatives de lecture, quelquefois), cela apporte ce peu de changement qui suffit à réveiller l'attention. Et puis moi, qui m'intéresse à des comptabilités, je ne peux travailler que sur des parchemins grossiers (épais, à trous), ou en papier quelconque, sans jamais rencontrer d'enluminure. À tel point que je suis restée bête il n'y a pas si longtemps devant la référence d'un microfilm, à cause de l'appellation "MFC" à la place du "MF" pour microfilm. Un microfilm couleur ? Pour moi? J'aurais donc droit à des images aujourd'hui ? Chouette ! Hum...

D'un coté donc, un tout petit volume, est-ce un in 8° ou in 16°, j'avoue n'en rien savoir. Un de mes regrets est de ne pas avoir eu de formation sur la fabrication des livres. Quoiqu'il en soit, à chaque fois qu'un magasinier me le remet, il me dit "ah! Mais ce n'est pas normal, celui-ci est si petit, il devrait être conservé et délivré par le bureau central!". Ce à quoi je ne peux que répondre"Oui, votre collègue m'a dit exactement la même chose hier..."

Et puis m'est arrivé par le chariot des livraisons un ouvrage curieux (le bonheur d'être servi à table... veuillez imaginer le roulement du chariot qui seul, avec le bruit du rembobinage rapide des bobines de microfilms, dans le fond de la salle, trouble la quiétude. Enfin, en temps ordinaire, car en ce moment, nous profitons de travaux dans cet endroit-là...) Le magasinier me fait "Est-ce que votre futon va être assez grand?". Pertubée par sa réflexion, je ne comprends pas. D'abord parce que mon futon - ce coussin de velours rouge, pour essayer de vous le décrire, sur lequel on pose délicatement les registres- me semble immense par rapport au tout petit volume que je suis en train de lire. Le nouveau registre que je viens de commander, dépasse de la caisse du chariot, mais ne me semble pas bien large. Erreur. En effet il n'est pas d'une largeur exceptionnelle. Mais j'aurais dû constater plus vite qu'il était bien curieux que le registre qui venait d'arriver dépassait autant du chariot. Bizarre, bizarre. Je rassure donc le magasinier, refermant mon petit volume, pour laisser la place au nouvel arrivant. Et c'est là que je vois la chose: un registre recouvert comme tous les autres de papier gris, du papier gris qui m'évoque la couverture des vieux livres d'école de mes parents et qu'ils conservent encore précieusement. Jusque là, rien d'anormal. Sauf... la taille. Trente-cinq centimètres de large, rien d'étonnant, mais hum... comment dire ? Un bon mètre de haut. Ce qui en fait un objet assez surprenant. Un livre qui aurait poussé comme une asperge. Et pour cause. Le livre en question est un recueil, par collage sur papier, de rôles anciens. Un rôle, à l'origine, c'est un "roolle", un rouleau de parchemin. De là viennent les termes "contrôler", confronter, vérifier des rôles, rouleaux de parchemin ou "enrôler", inscrire sur le rôle des soldats par exemple. On a donc fabriqué le livre pour qu'il recueille des rôles très longs et assez étroits. J'avoue, la consultation est malaisée. Mais l'avantage est que les parchemins ne sont pas pliés en quatre à l'intérieur.

Car un parchemin rustique, c'est épais, c'est bien plié depuis des décennies, voire des siècles dans son registre, aussi cela n'a nulle envie d'être déplié, chatouillé, observé, scruté. Ça craque. Pour protester. Ça se replie, dès que le doigt ne maintient plus la pression, et ça se renferme sur son trésor.

Ça n'aime peut-être pas la lumière, les parchemins. C'est peut-être de la famille des paresseux: aimer dormir, soupirer dans ses cartons, ses registres, le long des étagères, dans l'ombre et la fraîcheur des rayons interdits au public. Ça soupire, surtout quand la main d'un magasinier vient l'attrapper vigoureusement "Français 82017346! C'est celui-là! Hé hop!", ça bascule une demi-seconde dans le vide, jusqu'à retomber dans la paume du magasinier, c'est brinqueballé dans le chariot dans le couloir, l'ascenseur, à nouveau le couloir, et ça atterrit sur une table où un inconu, qui ne s'est même pas présenté, va le dépouiller. Comme si ça avait des poux. Ce n'est pas une vie d'être archive!
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