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Une envie de livres ?

28/11/2009

Enseignant(e) et chercheur(se)


J'avais préparé la semaine dernière un début de billet sur l'enseignement. Parce qu'il me prend un peu, même disons-le franchement, beaucoup de temps en ce moment. Aaaahhh! Je VEUX des vacances (pour bosser. Sur ma thèse). À ce sujet, j'en profite pour donner quelques précisions, juste pour faire comprendre que le fonctionnement n'est pas le même que dans le secondaire. À l'université, il y a nettement moins de petites vacances qu'au collège ou au lycée. Quinze jours à Noël, quinze jours à Pâques et c'est tout, entre septembre et mai. Janvier, c'est le mois des examens du premier semestre, mai le mois des examens du second semestre, juin, ce sont les rattrapages de premier et second semestres. Raison pour laquelle, à part les copies, en janvier on passe un peu plus de temps sur la recherche, et entre mai et septembre aussi. Pas de vacances de la Toussaint, ou de ceci ou de cela. Deux fois douze semaines de cours dans l'année, pendant lesquelles on jongle avec les recherches personnelles, les cours à préparer et à donner.

Or, sur le fameux blog de Princesse Soso, il était question dans la discussion de vocation. Mouais. L'ennui c'est qu'après un certain nombre d'années d'enseignement, je ne vois toujours pas ce que des collègues appellent la vocation. Sais pas. Vide, néant total à l'évocation de ce mot. Aimer enseigner, là, oui, je vois. Mais alors vocation, RIEN. Ce qui suit est un mélange d'expérience personnelle et de propos qui me semblent généralisables.

Je me suis donc dit qu'un billet sur l'enseignement dans le supérieur ne serait pas inutile. Notamment parce que j'ai gardé une dent comme certain de mes anciens collègues du secondaire - non pas tous ! Rassurez-vous... - mon conseiller pédagogique entre autres qui m'avait dit pour résumer à propos de mon mémoire de fin de stage "La partie recherche de ton mémoire est bien, mais la partie pédagogie est nettement moins bonne, oh de toute façon, toi, tu es faites pour enseigner en lycée, ou à l'université". Bam. Hé ouais. Tu n'as pas de charisme, tu n'es pas vraiment faite pour enseigner, donc direction le lycée ou mieux encore l'université, où la pédagogie compte moins, enfin c'est ce que l'on peut s'imaginer. Pourtant, je n'ai rencontré qu'une seule fois dans le secondaire un enseignant - de philo - qui avait un talent monstrueux, capable de me scotcher à son cours. En revanche, c'était le cas de beaucoup de mes professeurs du supérieur. Pédagogie et amour de sa discipline, il me semble que c'est tout un. L'un sans l'autre me semble inconcevable.

Alors j'aimerais bien proposer une autre vision des choses, et faire comprendre que même dans le supérieur, il y en a tout autant qui aiment enseigner que dans le secondaire. Et non, enseigner dans le supérieur n'est pas un choix par défaut. Du type "il faut bien manger, et vu que je n'ai pas épousé un rentier, hein..." Dans mon précédent billet, je disais que le monitorat m'avait effectivement permis de manger, raison pour laquelle j'ai sauté sur l'occasion d'en faire un, sachant bien que l'avancement de ma thèse en pâtirait. Cela ne veut pas dire que je ne l'ai fait que pour cela. Cesser d'enseigner pendant trois ans n'aurait pas été le bon choix, et je le savais. Parce qu'il faut du temps pour aimer l'enseignement, souvent, surtout quand le premier public a été difficile. Il faut du temps pour sortir de sa timidité, pour acquérir une expérience technique, scientifique. Pour ne plus avoir trop d'états d'âme, en tout cas ne pas avoir quand on a fait tout ce que l'on pouvait faire pour des étudiants. J'ai le sentiment de m'être lancée dans l'enseignement sans vraiment comprendre ce que signifiait ce métier, vu côté professeur et non côté élève (et surtout côté élève consciencieux, à défaut d'être excellent). Et d'avoir fait avec ce décalage entre le métier rêvé et le métier réel. Avec le temps, admettre le public que l'on a en face de soi, aucunement idéal, si divers. Si vocation il y a, c'est un mélange de passion pour sa discipline, de volonté de la partager (mais c'est la conséquence logique de la passion) et de capacité à diriger un groupe, en trouvant à force de tâtonnements l'équilibre entre autorité et humanité.

Longtemps, j'ai cru que je n'aimais pas l'enseignement, que je n'était pas faite pour ça. Pour être honnête, je ne sais toujours pas si je suis faite pour ça, pas plus que je ne sais si je suis faite pour la recherche. Enfin, pour la recherche, il paraît que si. C'est ce que l'on m'a dit. Méfiante à mon propre égard, j'ai du mal à y croire.

Une connaissance, médecin, disait récemment à propos d'un de ses collègues, qui avait des doutes sur ses compétences "mais ça doit être horrible de vivre avec des doutes perpétuels sur soi-même! Moi, je ne pourrais jamais vivre comme cela!"

Je n'ai rien dit. Que dire à quelqu'un qui ne comprend pas que l'on soit hanté par le doute, la peur perpétuelle ne pas être à la hauteur? À la fois je sais de quoi je suis capable, techniquement, et en même temps, je considère utiles les avis extérieurs, que j'aimerais avoir sans que ce soit le cas, hélas, pour jauger mon travail, et j'aimerais avec des yeux d'étudiante, observer mes cours, pour savoir si je donne autant que j'ai reçu. Je ne sais pas. Je vis avec ce doute. Il y a bien pire.

Avec le temps, l'expérience, qui apaisent les doutes, je suis moins nerveuse. Je sais que mes cours d'aujourd'hui sont meilleurs que ceux d'il y a quatre ou cinq ans. Et je pense qu'ils sont d'un niveau largement suffisant, compte-tenu de mon public. Aussi, quand on me déclare "Moi, j'adore enseigner!", je ne réponds rien non plus. Pour moi, la réponse est complexe.

J'aime enseigner quand je vois mes étudiants progresser, acquérir des connaissances, travailler consciencieusement, comme un boeuf son champ de labour, quand écoutant les recommandations, ils se réinventent une vie de travail, au moins le temps de leurs études, de longues heures penchés sur les livres à déchiffrer, assimiler, penser. Quand ce sont les meilleurs que je retrouvent les plus assidus à la bibliothèque, quelque soit l'heure à laquelle j'y passe.

J'aime enseigner quand je vois mes étudiants comprendre les règles du métier d'historien: esprit critique, interrogation, curiosité incessante, rigueur de la preuve apportée, éprouvée, goût pour la comparaison, la mise en relation des événements ou des faits.

Je déteste l'enseignement quand, malgré tout mes efforts, les étudiants n'écoutent pas les conseils, les avis, les "lisez-ceci" "travaillez-cela", et échouent lamentablement, et me maudissent en secret, sans comprendre que, non, je ne me réjouis pas de les torturer (si travailler est torture, malgré l'origine latine) et encore moins de les voir échouer.

J'aime enseigner quand je vois qu'en appliquant conseils et méthodes, ils apprennent l'art de la dissertation et du commentaire, qui ne sont pas des arts stériles, mais contribuent à former l'esprit à la rigueur et à la réflexion.

Je déteste enseigner quand des étudiants, dont la paume s'orne un palmier, viennent sûrs et arrogants réclamer un point, contester une note, et cherchent dans les manquements de leurs enseignants l'explication de leur échec, plutôt que dans leur suffisance et leur fainéantise.

Je déteste l'enseignement quand je vois un étudiant, plein de bonne volonté pourtant, aimant probablement l'histoire, pleurer tout un cours entier, parce qu'il vient d'échouer à des examens, et que je suis la coupable.

J'aime l'enseignement quand les étudiants me croisent avec le sourire, ou me sourient en me voyant arriver en salle. J'aime l'enseignement quand il y a un rire qui fait frissonner une classe, quand, parce que j'ai levé un sourcil mécontent pour faire taire des bavards, rappelés à l'ordre par leurs camarades eux-mêmes inquiétés de ce sourcil levé, et que l'on échange en remerciement de leur aide au "bon ordre" un regard malicieux.

Je déteste l'enseignement quand je n'ai pas pu préparer impeccablement une séance, quand je sens le poids de ma propre faiblesse (ce qui m'arrive de plus en plus rarement, heureusement).

Je déteste l'enseignement quand je dois préparer dans l'urgence. Je n'ai jamais aimé le travail de dernière minute, même s'il est probablement celui qui m'oblige à fournir le meilleur en très peu de temps.

Je déteste l'enseignement, oh, brièvement, quand il me détourne de mon sujet de recherche, interrompt mes pensées, mon labeur de boeuf attelé à la charrue.

J'aime l'enseignement quand il m'amène sur des sentiers que je n'aurais jamais pensé à explorer moi-même et qui enrichissent et bouleversent ma réflexion, mon travail de recherche.

J'aime l'enseignement, selon les moments... C'est une de mes deux faces, d'un côté enseignante et de l'autre chercheuse, mais l'une n'est pas moins importante que l'autre...
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