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Une envie de livres ?

07/02/2013

Les bonnes résolutions... (bonne année 2013, au fait!)

Durant les dernières vacances, j'avais écrit une série de billets, du prêt à publier au niveau du prêt à manger qui me nourrit depuis des mois. Même pas eu le temps. Improbable, n'est-ce pas, pourtant...

Une journée ordinaire...

***

Lever 6h15. Premier cours 8h. Ranger les élèves, qui devraient l'être depuis plusieurs minutes, mais rebelles, ils refusent. Monter, premiers cris, obtenir un rang à peu près calme dans le couloir, les minutes passent.

Entrer, allumer l'ordinateur, lancer les logiciels pour afficher les cours - ne pas leur tourner le dos, le moins possible - et pour faire l'appel, sans tarder.

La "vie scolaire" attend les premiers signalements d'absence pour appeler les parents, tirer les élèves du lit, en dépit des parents.

Répéter pour la millième fois depuis septembre "Sortez-vos affaires!" "Vous êtes dans une classe, on se calme et on se tait!" Ils attendent debout, d'autres déjà assis attendent aussi, se retournent et bavardent en m'ignorant complètement.

Les consignes les plus élémentaires ne sont pas enregistrées, il faut répéter. "Qu'est-ce que je viens de dire? "Ahmed! Ooooh! Ahmed! Oui! On se tait!" "Océane! Quelles sont les règles?! On sort le cahier, le livre, la trousse!"

Lutter, à chaque minute, les mettre au travail le plus vite possible. Le dossier rouge, celui des interrogations quotidiennes, il est 8h10, vite, cinq minutes pour vérifier que la leçon n'a pas été apprise.


Quelle était la leçon d'hier avec cette classe? Je regarderais bien sur le cahier de texte électronique, mais le temps de lancer Windows, ouvrir la session, ouvrir Firefox, ouvrir ma session internet, les minutes passent. Je regarde sur un cahier. Afficher la question au tableau en surveillant les éventuels fraudeurs. Laisser cinq minutes...

Pendant ce temps ouvrir le diaporama pour le cours, Internet fonctionne, ça y est je peux faire l'appel. Cinq mois après la rentrée, les élèves n'ont pas intégré une consigne simple, répondre "présent" car du fond de la salle, les voix ne portent guère, surtout sur fond de brouhaha.

Ramasser les interrogations. Faire revenir cahiers et manuels sur les tables. Un oeil sur le cahier de texte électronique. Ouvrir les manuels.

Dire la page, répéter la page, l'afficher au tableau, répéter encore, une fois, deux fois, trois fois. Réclamer que les derniers livres pas ouverts ou pas sortis le soient. Répéter encore la page.

"Antony!"
"Sarah!"

"ON SE TAIT!"

Là, le scénario varie. Selon l'heure, les incidents qui ont eu lieu pendant la récréation, l'interclasse si la journée est avancée, la séance peut être infernale ou studieuse (c'est rare). Lutter toujours, les faire lire, décrire des documents, le graal est atteint quand en lisant un texte comme celui-ci

Durant les 50 dernières années, Addis Abeba, la capitale éthiopienne, a vu sa population passer de 100.000 à 3,5 millions d’habitants. Seulement 5% des déchets qui y sont collectés sont recyclés. Le reste est souvent entraîné vers les rivières et pollue ainsi l’eau. Ce qui provoque bien souvent des intoxications alimentaires, car 60% de l’agriculture urbaine utilise ces eaux usées.

...ils réussissent à répondre à la question "Quelle a été l'évolution de la population d'Addis Abeba depuis les 50 dernières années?" et "quelles sont les conséquences?" 

Tous parlent sans lever la main, sauf les deux ou trois gentils qui ont intégré la consigne et attendent en silence, main levée.

Les autres parlent tous comme s'ils étaient seuls, indifférents aux consignes.

Une gentille, autorisée à répondre...

Mais c'est soudain l'explosion de colère de Jason qui vient de se faire insulter, crie en se levant, Arkan lui répond que Jason a commencé "il m'a dit "Ta soeur, c'est une pute!", et crie à son tour encore plus fort, crier pour les séparer, rétablir le calme très relatif.

Mais les piailleries et les bavardages remontent.
"Attila, retourne-toi!"
- Mais Madame! Il m'a appelé!"
- Et alors?!"

Je le foudroie du regard, Attila tourne la tête comme une girouette, il ne sait plus, il ne sait pas ce qu'il doit faire, il ne sait plus ce qu'il faisait et pourquoi il se fait engueuler. Continuer à parler, rater une blague, se faire engueuler, qu'est-ce qu'on était en train de faire? Il décide de faire semblant, pour éviter les ennuis

"Madame, quelle page?" "Madame, moi! Moi!... Mais c'était quoi la question?"

Attila, perdu, cherche la page. Agacée, je lui redonne la page en même temps que quatre voisins et me détourne "Zoé, reprenez votre réponse!".

Avancer péniblement. Corriger la formulation,
"Non, Zoé, pourquoi dire 'la déforestation, elle a évolué' ? On dit 'La déforestation a évolué'.
"La déforestation a évolué de 100 000 à 3,5 millions"
"Bon, Zoé, 'La déforestation a évolué' ce n'est pas très heureux, pas très clair, quel mot pourrait-on utiliser?"
Pour l'aider au tableau, je dessine des flèches qui montent et qui descendent. Le cours se poursuit.

L'exercice se termine, pas le temps de mettre la correction par écrit. Tant pis. Passer à la rédaction du cours à apprendre, qu'ils leur reste quelque chose de la séance. La "trace écrite" absconse et si pédagogiquement correcte, très IUFMesque. J'ai des parents non-francophones pour beaucoup, "trace écrite", je me marre. "Leçon", apprendre la leçon, je sais qu'ils comprennent tous, élèves comme parents. Pendant qu'ils copient, écrire les leçons à faire pour la prochaine fois.

Ça sonne. Obliger Bilal à copier les devoirs "mais il y a Pronote!" "Non, Pronote n'est pas là pour remplacer votre agenda, vous prenez les devoirs à faire", il bâcle.

Vite fait, je note le contenu de la séance et les devoirs à faire dans le cahier de texte, je range le bureau, et je sors vite calmer la nouvelle classe qui crie dehors. Les ranger, répéter les consignes "On se calme!"... c'est reparti.

Une heure, deux heures, récréation pas le temps de descendre prendre une pause, un élève à chapitrer, remplir le cahier de texte électronique, prendre connaissance d'un mail urgent d'un collègue, de la direction, de la vie scolaire, vérifier les photocopies pour la classe suivante, vérifier l'état de la salle, prendre un papier à descendre pour un collègue, ça resonne, nouvelle classe, les ranger, calmer les cris en montant...

***

Il est 19 heures.  Je me suis effondrée sur le canapé, le regard vide devant la télévision.

Six heures de cours, aujourd'hui, je suis vidée. Une pause d'un peu plus d'une heure à midi. Quand il n'y a pas une réunion à 12h30, un parent à voir, l'agent de prévention violence pour faire le point (et alors c'est un repas au lance pierre en 10 minutes), c'est un miracle.

Une heure pendant laquelle nous vidons notre sac, notre fatigue, les nouvelles sur l'état des classes le matin, les heures difficiles à anticiper. Parler, se parler, évacuer notre colère, notre fatigue, notre impuissance contre la violence, la misère et la bêtise.

Ça sonne. C'est reparti.

Il est 19 heures. Je n'en peux plus. Mon cartable reste dans l'entrée. Depuis une semaine, un petit livre me suit dans mon sac, je n'ai pas dépassé la première page. Je n'attends qu'une chose, une heure décente pour me coucher. Sinon, tous les soirs, je poserais mon cartable et m'effondrerais sur mon lit en rentrant.

Mais il faut manger, un peu. Même plus l'énergie pour cuisiner, j'ouvre le frigo, prends ce qui est prêt. Cuire des pâtes, pppfff, trop compliqué.

21h30, se coucher, sinon demain je serai crevée, traînant mes valises. Moins réactive, je me laisserai déborder. Se coucher, oublier. En attendant demain.


6h15. Nouvelle journée. Sisyphe, pour quel crime as-tu été condamné?


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