Blogger Template by Blogcrowds.

Une envie de livres ?

23/10/2011

Pour vous

Voici un document écrit cette semaine par une enseignante de lettres. À lire. 

Le 19/10/2011
Aux journalistes, politiques, syndicalistes qui voudront bien se faire l’écho de la détresse, de la colère et non du “malaise” de notre profession.
Par avance merci.

“Je le fais pour vous…”
… a dit notre collègue, Lise B. professeur de Béziers, qui, en proie à un désespoir absolu, s’est immolée dans la cour de son lycée.

Qui, “vous” ?

Vous, chers élèves, dont je ne cherche pas à me faire aimer avant toute chose, car je veux rester sourde à la cote d’amour censée mesurer ma valeur au sein de la “communauté éducative”. Vous ne serez jamais, pour moi, “les gamins” dont il est question dans les salles des “profs”, car je ne serai jamais ni votre mère, ni votre copine. Mais savez-vous encore la différence entre un professeur, une mère et une copine ? Ce n’est pas un père trop souvent absent, irresponsable ou immature lui-même, très souvent votre meilleur copain, qui vous l’apprendra!

Oui, je continuerai à réclamer le silence en début de cours et à vous laisser debout tant qu’il ne sera pas de qualité. Ce n’est pas là volonté militariste de vous humilier, mais condition nécessaire à mon enseignement: délimitation d’un espace, la classe, où l’on doit entendre la parole d’autrui, celle des grands auteurs dont les textes que nous lisons font entendre la voix, respect de la mienne, simple passeuse de savoir, chargée de structurer votre… parole, afin que vous puissiez, à votre tour, vous faire entendre et être pris au sérieux, respect de la voix de vos camarades qui s’exercent à formuler leur pensée.
 Mais veut-on encore vous apprendre à penser ?

Oui, je continuerai à faire la chasse aux portables et aux I-Pods en cours pour les mêmes raisons.

Oui, je sanctionnerai, autant que mes forces me le permettront – mais il ne faut préjuger de rien, l’usure gagne – vos retards systématiques, votre désinvolture, vos comportements égocentriques, insolents, agressifs et insultants, car je suis un être humain, nanti d’un système nerveux qui n’est pas à toute épreuve, mais conserve le sens de la dignité, de la mienne comme de la vôtre.

Non, je ne ferai pas de stage pour apprendre à “gérer les conflits” et mon propre stress, comme si des ficelles psycho-techniques pouvaient se substituer à la loi qui doit être appliquée, à l’ordre que l’institution doit avant tout garantir, afin de nous protéger vous et moi contre tout acte de violence verbale ou physique, condition sine qua non pour commencer à pouvoir travailler. 

Non, le “prof” n’est pas un outil qu’on doit rendre plus performant pour vous mater, vous manipuler ou vous séduire.

Non, je ne négocierai pas mes notes, malgré les pressions : celles de l’administration qui sait si bien faire porter la responsabilité d’une moyenne de classe trop basse au professeur, toujours trop exigeant et trop sévère ; celle de nos inspecteurs qui nous “invitent à l’indulgence” dans les commissions d’harmonisation du Brevet et du Bac et nous enjoignent de revenir sur les copies aux notes trop basses ; celles de vos parents qui, dans leur grande majorité, s’alarment à la première de vos faiblesses et me font savoir que “l’année dernière, ça marchait pourtant si bien avec M. Machin” (lequel n’hésitait pas, pour avoir la paix, à surnoter de la manière la plus démagogique qui soit) ; et celles que vous-mêmes savez si bien exercer sur les “adultes” d’aujourd’hui, plus prompts à laisser faire, à négocier des contrats, qu’à faire respecter des règles, sans faiblir – sachant qu’ils n’en tireront jamais aucune gratification immédiate – et qui semblent devenus incapables de supporter cette frustration inhérente à leur fonction d’enseignant et maintenant d’éducateur.

Non, je ne me transformerai pas en animatrice de MJC, pour ne pas “vous prendre la tête”, ou parce que apprendre et travailler vous “gave”.

Vous ?

Vous, chers collègues, broyés un peu plus chaque jour par une institution qui ne vous protège plus, en dépit de l’article 11 du code de la Fonction Publique qui est encore censé protéger le fonctionnaire contre les outrages ou délits exercés à son encontre dans l’exercice de ses fonctions.

Vous qui jonglez désespérément avec les impératifs de vos programmes qu’il vous faut boucler impérativement dans l’année, mais que l’on vous enjoint d’adapter à chacun de vos élèves dont les niveaux sont, d’une année sur l’autre, plus disparates au sein d’une même classe (puisque les plus perdus passent dans la classe supérieure “au bénéfice de l’âge” ou malgré l’avis des professeurs).

Vous qui vous efforcez de maintenir encore les apparences, alors que tout le système est fissuré ; vous qui direz au conseil de classe : “ Tout va très bien Madame la Marquise” ou “ Avec moi ça se passe bien”, alors que vous pouvez, sans guère vous tromper, annoncer en début d’année, qui sera reçu ou non au Brevet, car les jeux sont faits en septembre et que, pour l’essentiel, vos cours sont devenus très souvent une garderie culturelle où vous tentez de maintenir laborieusement une relative paix sociale, en limitant vos exigences, en surnotant, en renonçant un peu plus chaque jour à transmettre ce que vous avez reçu, car “l’enfant, au centre du système, doit construire lui-même son savoir”, choisir ses matières, ses options, pour un projet devenu essentiellement professionnel. Les valeurs humanistes qui vous ont structurés sont chaque jour un peu plus bafouées au sommet de l’Etat. Il s’agit maintenant d’évaluer des compétences à travers des grilles d’évaluation fabriquées par et pour l’entreprise, au niveau européen, compétences dites souvent transversales qui n’ont plus rien à voir avec l’acquisition de savoirs exigeants dans des disciplines bien précises. Le livret de compétences doit garantir “l’employabilité future” de ceux qui sortiront du système sans diplôme national reconnu et sans qualifications.

Vous, les professeurs d’Humanités (latin et grec) dont il est de bon ton de ridiculiser vos enseignements, que l’on s’est employé à reléguer très tôt ou très tard dans la journée du collégien ou du lycéen, de manière à faire chuter inexorablement les effectifs ; vous qui transmettez les fondements de notre culture et qu’on met en concurrence en 3ème avec l’option DP3, découverte de l’entreprise…

Vous qui enseignez une option que nos élèves-consommateurs peuvent essayer au gré de leur fantaisie et abandonner sur une simple lettre de parents qui obtiendra l’arrêt souhaité, pour peu que les notes de latin du chérubin ne lui fassent baisser sa moyenne.

Vous qui vous sentez responsables, voire coupables, du désintérêt que ces matières suscitent, vous à qui vos inspecteurs-formateurs suggèrent de rendre vos cours plus attractifs (sorties, jeux, Olympiades…) tout en vous sommant de vous conformer aux Instructions Officielles qui ne transigent pas avec les connaissances grammaticales à acquérir. 

Vous dont les classes ne doivent jamais s’ennuyer ! 

Vous qui êtes, même aux yeux de vos collègues, le prof ringard qui persiste à enseigner des savoirs désuets et inutiles et qui ne devrait pas se plaindre…vu ses effectifs réduits.

Vous qui vieillissez, vous qui vous fatiguez plus vite, vous qui êtes maintenant une loque en fin de journée, lasse du bruit et des tensions incessantes, à qui le système demande désormais de rendre compte chaque jour, sur un cahier de textes numérique, de ce que vous avez fait en classe, heure par heure ; vous que Big Brother place ainsi sous le contrôle permanent de vos supérieurs et des parents d’élèves ; vous qui pourrez dorénavant recevoir chaque soir, chez vous, des mails d’élèves, ou de leurs parents, jugeant normal de vous interpeller par écrit et attendant bien sûr de vous la réponse rapide qui leur est due. 

Vous qu’on flique honteusement comme on ne le fait pour aucune profession. Vous à qui la société entière peut ainsi demander des comptes à tout moment; vous qu’on livre à toutes les pressions aisément imaginables et qu’on place dans la situation de devoir vous justifier, de vous défendre sans cesse, car vous êtes devenu le fonctionnaire, bouc-émissaire par excellence, livré régulièrement en pâture à l’opinion publique.

Vous qui ne comprenez pas l’engouement aveugle, incompréhensible de vos jeunes collègues pour l’informatique, le numérique, censés séduire “nos nouveaux publics” et stimuler leur envie d’apprendre, alors qu’ils se lassent du gadget pédagogique comme ils se lassent si vite de tout dans un monde consumériste où le seul principe qui vaille est le “tout, tout de suite”, dans un tourbillon de désirs sans cesse renouvelés et toujours insatisfaits.

Vous qui en perdez le sommeil ; vous qui ne pouvez travailler avec ce couteau sous la gorge, vous qui tentez de reconstruire chaque soir une image acceptable de vous-même au travail avant de vous en remettre au somnifère ou à l’anxiolytique qui vous permettra, enfin, de dormir, car vous ne pouvez imaginer tenir vos classes demain sans ces heures de sommeil.

Vous qui travaillez en apnée entre ces périodes de vacances que tous vous envient et vous reprochent, ultimes bouées qui vous permettent de vous reconstituer avant de découvrir, à chaque rentrée, que la situation se détériore irrémédiablement et que vous êtes, vous, professeur, jeune ou vieux, en première ligne chaque jour, de moins en moins sûr de tenir, si une volonté politique ne rappelle pas, très vite à chacun (parent, élève, professeur) la place qui devrait être la sienne dans une institution laïque et républicaine, si elle ne vous rend pas de toute urgence votre dignité, votre autorité, et des conditions de travail et de salaire décentes.

Vous, parents, élèves, professeurs, qui espérez qu’on tirera une leçon du sacrifice de notre collègue…
Quelle leçon ? Telle est la question !


M.C. Perrin-Faivre, professeur de Lettres à Nancy.
Rendez-vous sur Hellocoton !

Une semaine après. Que reste-t-il de l'école?

Cette semaine ont eu lieu plusieurs hommages à Lise Bonnafous. Le Midi libre y a consacré plusieurs articles ici (clic) et là encore (clic). Audrey Pulvar en a fait l'objet d'une chronique, jeudi 20 octobre (clic). Plusieurs autres journaux, plusieurs émissions ont traité de la souffrance des enseignants: ici le Point (clic). On a rappelé les cas passés de professeurs qui ont démissionné, comme Claire-Hélène dans une brève de Sauvons l'université (clic).


Cette semaine, il y a eu les mots importants du père de notre collègue:
Ma fille était devenue fragile, sans doute, mais elle restait un excellent professeur de mathématiques et aurait dû pouvoir continuer d’exercer. Son message désespéré était celui-ci : il faut refonder, à tout prix, une nouvelle et authentique école de la république, celle où primaient les valeurs du civisme et du travail. Celle où le professeur était au centre de tout. Celle où l’enfant du peuple pouvait devenir fils de roi.
J'ai beaucoup aimé le billet de Charlotte Charpot (autre professeur qui a démissionné) à propos de Lise Bonnafous, à retrouver ici (clic):
Le journaliste débute d'une voix d'outre tombe sur une musique tragique. Le cadre est posé. L'interview se lance avec un enseignant collègue de Lise, et nous tâtonnons une bonne heure à la recherche de quelque chose. Quoi? Qui était cette enseignante? La question se pose depuis jeudi dernier, cela fera bientôt une semaine. La réponse à oscillé de "une femme rigide - vieille école" à "seule" "dépressive" à "brisée par des drames personnels" en passant par... - le plus souvent -  lorsque la réponse n'est pas politisée : "Quelqu'un de parfaitement NORMAL."
"Oui, on a discuté avec elle, elle a dit ça, répondu ceci, elle avait des amis, elle sortait, il paraît qu'elle jouait de la musique aussi... je l'ai croisée hier à la cantine."
Le journaliste insiste "Oui mais à part ça, comment était-elle????" Hé bien nous n'en saurons jamais plus. Lise était une quadragénaire standard, similaire à vous et moi. La réponse semble inacceptable. Comment ça? Rien? du tout? Aller quoi une particularité! Non. Nada. On s'interroge ensuite sur le cadre de travail  : "Mais heu.. l'établissement était plutôt standard, non? Extérieurement rien n'indiquait qu'on y trouve une violence particulière?" Non, rien.

Et c'est sans doute malgré tous les efforts des médias cette terrible normalité qui dérange. Se pourrait-il qu'une personne équilibrée n'ayant pas connu plus de drames sur une durée de vie de 44 ans que n'importe qui, ne travaillant pas dans des conditions plus pénibles que la moyenne en vienne à poser un acte aussi extrême?
La réponse est oui. Quelle image de notre société donne cet événement? A moi c'est simple, si je suis honnête. Je me regarde dans un miroir et me dit, ok. Ca aurait pu être moi, toi. Chercher à fuir en mettant des termes pathologiques, la disséquer, trouver du réconfort dans des mots bien analytiques, décomposer son corps et sa psyché comme fait si bien la médecine moderne qui a réponse à tout et classifie l'humain dans des petits tiroirs pour rassurer en évitant d'approcher le problème global, c'est impossible. Il s'agissait de Lise, enseignante normale. 
Hé oui, notre bon ministre, qui ne croit pas aux chiffres sur la souffrance des enseignants, notre bon ministre a mis sur le dos d'une prétendue dépression le suicide de Lise Bonnafous. Sans revenir sur ce point. Mépris.

Certains stagiaires vivent bien leur année de stage - il n'y a aucune obligation à souffrir, bien heureusement. Comme de nombreux collègues peuvent aller au travail avec plaisir. Et heureusement encore.  Mais tous les établissements ne se ressemblent pas. Une amie a particulièrement "dérouillé" durant son année de stage où elle a cumulé éloignement de son fiancé, établissement difficile, tuteur... "spécial" (avec une volée de guillemets). Le mieux est encore de la laisser décrire cette année en quelques mots et ce qu'elle sait de la capacité de l'institution à faire souffrir:
Je ne sais pas comment était la vie de Lise Bonnafous, je ne sais pas si elle avait du soutien dans le lycée, à l'extérieur du lycée, je ne sais pas si elle était dépressive, ou fragile, ou qu'importe.
Je sais juste que pour moi, mon année de stage, m'a réellement mise en danger. L'éloignement - oui, je sais, tout le monde l'a vécu, tout le monde a son anecdote a raconter là dessus, et comment il l'a surmonté - , la surcharge de travail, les élèves difficiles, l'absence de soutien de la hiérarchie, frileuse peut être, l'absence de soutien des collègues, dans la négation "non chez moi tout va bien, chez moi les élèves sont adorables, je ne comprends pas que tu aies des difficultés ...
Tout ça, je l'ai vécu.
Et je me souviens d'un jour, au début de mon année de stage, où un élève, de quasiment mon âge, s'est levé, m'a menacé. Ma tutrice m'a dit que je l'avais provoqué. Les collègues m'ont dit que ce n'était pas un méchant bougre. L'administration m'a déconseillé de déposer une main courante. Les formateurs IUFM, parce que j'y ai encore eu droit, m'ont dit que de telles choses n'arrivent jamais.
Je suis rentrée chez moi, dans cet appartement que je détestais, et j'ai pleuré et pleuré et pleuré parce que je me sentais seule, coupable, nulle et incapable. Et personne ne devrait avoir à vivre ça. Parce que si, à ce moment là, j'avais eu une boite d'anxiolytiques, de somnifères, ou que sais-je, à portée de main, j'aurais bien été capable de l'avaler, parce que je voulais juste que ça s'arrête.
Remise en cause personnelle - incessante et au-delà de ce qui est bon et supportable -, solitude et délations. Savez-vous par exemple qu'une loi de 1994 interdit aux enseignants du primaire de donner des devoirs écrits aux élèves? C'est même plus sournois que cela, plus ancien dans les faits. Un premier texte de 1956 sur les devoirs porte bien sur les devoirs notés, qu'il interdit, pour des raisons qui ne sont pas mauvaises. Il a d'ailleurs été suivi d'une note explicative précisant bien qu'il ne s'agissait en aucun cas de mettre fin aux nécessaires exercices d'entraînement (B.O. n° 42 du 29-11-56, p. 3005 ; 100-Pr-& II a, p. 9). Mais des générations d'IEN ont joué sur le flou du terme "devoir" pour imposer progressivement leur vision des choses. Laquelle est entrée dans les moeurs et n'a été entérinée, contrairement aux idées reçues, que récemment, avec la circulaire n° 94-226 du 6 septembre 1994, qui interdit bel et bien, elle (et seulement elle) le travail écrit à la maison. Voir ici pour consulter les textes : http://dcalin.fr/textoff/devoirs_1956.html

Le résultat, c'est que selon les établissements d'origine des petits sixièmes, l'on accueille des enfants qui ouvrent régulièrement de grands yeux quand on leur parle de devoirs, d'exercices, de leçons à apprendre à la maison. Et l'on sort les pagaies. Heureusement, beaucoup de professeurs des écoles continuent à donner des consignes de travail à la maison, réviser seulement les exercices faits en classe, apprendre deux ou trois phrases de leçon. Mais gare à qui se fait dénoncer ! Car le quotidien de professeurs des écoles, c'est cela aussi (parole de collègue de primaire):


Dans l'école de zone "violence" où j'enseignais ces dernières années, j'ai eu le droit à une lettre de dénonciation anonyme à l'IEN [à l'inspection de l'éducation nationale] parce que je donnais un peu plus de devoirs que mes collègues. ...
J'avais un CM1-CM2. Cela consistait à deux opérations posées, et en moyenne deux leçons par jour à apprendre, une d'étude de la langue et une de maths (ou plutôt à revoir car en élémentaire nous décortiquons tellement les leçons en amont qu'un élève attentif et de niveau moyen la connaît en sortant de la classe). Parfois se rajoutait une strophe de poésie (une poésie de 3 strophes à apprendre en 3 fois donc...). J'ai fini par découvrir qui c'était car un parent avait laissé des indices dans sa lettre qui permettaient de remonter à lui.
En fait, lui-même n'avait jamais réussi à apprendre à faire les divisions à l'école...
À force d'entraînement au CE2 (maintenant c'est au programme), la très grande majorité de mes élèves que j'avais suivis au CM1 savaient les faire et j'en donnais une chaque soir dès la rentrée pour qu'ils ne "perdent" pas cet acquis le temps que nous en soyons à aborder et approfondir cette notion au CM1 (en début d'année de CM1, nous en étions à consolider addition et soustraction de grands nombres). Son enfant faisait partie des 5 CM1 ayant fait un CE2 dans la classe de mon collègue et ayant abordé la division en juin.
J'avais bien précisé que c'était totalement facultatif pour ceux-là et que nous reviendrions sur la technique en cours d'année. Il n'a pas supporté de se sentir incapable d'aider son enfant, a d'abord demandé à un autre parent de "suppléer" puis, voyant que cela reproduisait chaque soir, a fini par faire photocopie du cahier de textes assortie d'une lettre pour le moins excessive ("Mon enfant subit une pression insupportable dans cette classe, je ne signe pas car cette maîtresse me fait peur et elle est capable de se venger sur mon enfant...).
Flicage, plaintes, dénonciations de professeurs... Un climat normal, quoi. Attention, je ne dis pas qu'il ne faut pas encadrer les pratiques des enseignants. Nous avons sans doute tous connu des enseignants qui usaient et abusaient de violences physiques et psychologiques. Des enseignants dont les cours étaient des cauchemars pour nous ou pour le petit camarade: maux de ventre, troubles nerveux divers, j'en passe. Des fessées pratiquées sur l'estrade alors qu'elles étaient interdites depuis longtemps. Que ces pratiques-là aient cessé n'est vraiment pas un mal, ces maîtres et professeurs étaient durs et l'on n'apprenait pas mieux qu'avec des enseignants souriants, voire au contraire. Mon propos n'est en aucune manière un développement sur le thème du "c'était mieux avant". Mais il n'est pas non plus fondé sur "la nouveauté est forcément bonne".


Quoiqu'il en soit, ce flicage et ces abus de la part de parents et de la part d'inspecteurs (il ne s'agit pas non plus de désigner à la vindicte un corps) rend le quotidien des professeurs en collège particulièrement compliqué, pour user d'un euphémisme, "enrageant" comme l'explique une collègue de lettres:

J'enrage quand je vois tous ces petits normalement fainéants et tout aussi normalement intelligents qu'on enferme peu à peu dans l'indigence à force de ne jamais rien exiger d'eux.
Pas de devoirs en primaire - poussé dans certaines ZEP (la mienne notamment) jusqu'à aucun exercice de mémoire, aucune leçon. Bref, aucune habitude de travail jusqu'en Sixième. Or, chacun sait que la préadolescence, c'est l'âge idéal pour découvrir l'effort...
Des élèves de collège qui considèrent qu'apprendre un sonnet en deux semaines, c'est exorbitant, n'apprennent aucune leçon, ne font pas les punitions.
Une administration qui renâcle de plus en plus à des sanctions un peu plus significatives - ou alors, nous sommes priés d'assurer la surveillance de nos heures de colle nous-mêmes.
Des textes qui nous mettent des bâtons dans les roues, insistant toujours sur les devoirs des enseignants, jamais sur ceux des élèves.
Des "pédagogues" prompts à nous culpabiliser et à faire des élèves les victimes toujours irresponsables d'un système abject (mais pourquoi diable le conserve-t-on, alors ?).
Une avocate à la con qui vient procéduriser tout ça.
Des parents de plus en plus contestataires, exigeant le retrait de ce zéro (aucune conjugaison sue le jour du contrôle pourtant annoncé de longue date), contestant telle punition et jurant leurs grands dieux que Chéri ne la fera pas.
Je suis lasse de régler ces questions dans le bureau du CDE. Maintenant, il m'arrive de répondre : "Si vous voulez faire de votre enfant un imbécile, après tout, c'est votre problème, pas le mien."

Le bottage de cul*** pourrait sauver sans doute aucun une bonne moitié de nos cancres qui n'a contre soi qu'une tendance bien naturelle à la paresse. En nous l'interdisant, on condamne ces enfants.
 Sous le clavier de cette collègue, je précise, à toutes fins utiles, que ce bottage de cul n'est nullement physique, il s'agit d'apprendre aux enfants à faire des efforts en leur donnant les notes que leur travail mérite, en ne les faisant pas passer en classe supérieure s'ils ne maîtrisent pas la lecture donc en intervenant tant qu'il est encore temps pour reconstruire un élève déjà bien démoli par des années d'échecs accumulés. Le pire étant l'argument de la toise "ah non, il faut le faire passer en 5e, vous comprenez, il sera trop grand au milieu des 6e si on le faisait redoubler". Cette collègue a proposé au prochain conseil de ne pas regarder les bulletins de note et d'apporter la toise de ses enfants.

La faiblesse n'est bonne ni pour les parents ni pour le monde de l'enseignement. Combien de parents consultent aujourd'hui à cause de l'hyper-activité de leur enfant. La collègue de lettres dont j'ai cité les propos plus haut racontait ce qu'une de ses amis, psychologue, lui avait dit à propos de cette multiplication des cas : "Dans 99% des cas, je suis obligée d'expliquer aux parents que Toto n'est pas hyper-actif, il est juste pas éduqué". 

Restent dans les classes, les autres, ces deux tiers de classe jamais très méchants - tant qu'il n'y a pas d'agitateurs impossible à gérer en classe - jamais très travailleurs, pas forcément très mal élevés... qui trinquent et trinqueront encore des années. Sauf si l'on réagit. Les programmes actuels des candidats à la présidentielle font dire que l'on va encore attendre longtemps une réaction. 

Pour finir en beauté, je viens de lire ce billet (clic) sur le blog l'instit'humeurs. Là, comment dire... ce n'est pas rassurant.


P.S.: et que personne ne croit me faire plaisir en me renvoyant vers la vidéo de SOS éducation qui circule sur le net depuis quelques semaines, parce que ceux-là je leur prépare une réponse à la hauteur de la bouse qu'ils diffusent. 


Rendez-vous sur Hellocoton !