En visitant le blog d'une amie, j'y ai vu en passant un tout petit bout de tableau, une nature morte au citron. On ne voyait d'ailleurs que le citron. Thème cher aux peintres de natures mortes, or je suis fanatique absolue (comment, c'est redondont ? Pas assez pour dire ma folie) une fanatique donc des natures mortes, au moins tant qu'elles ont porté un message caché, donc en gros jusqu'au XVIIe siècle... Juste après, ce sont les scènes de genre qui me font soupirer.
Pour en revenir à notre citron, ce fruit est en principe toujours peint avec un rouleau de peau que l'on serait en train d'éplucher. Ce n'est pas un hasard : le citron dont la peau se déroule signifie l'amertume de la vie terrestre, qui se déroule jusqu'à la mort.
En cherchant de quoi me rafraîchir la mémoire sur le langage symbolique des natures mortes, j'ai trouvé ceci (site du CNDP, signé Valérie Bougault):
De tous les genres de la peinture, la nature morte est le seul dont l’image peut offrir autant d’interprétations. Parce qu’elle est composée d’objets, porteurs de sens symboliques ou non, elle est le vecteur idéal du message. |
"Des codes sont à l’œuvre dans la plupart des natures mortes. Les vanités ont porté ce principe à son paroxysme puisque aucun objet ne s’y produit « gratuitement ». Le plus souvent parfaitement compréhensible aux spectateurs de l’époque, familiers des symboles religieux ou moraux en usage, ce langage a cessé de nous être accessible. La nature morte est donc aujourd’hui deux fois morte : par son objet, inanimé, et par son sens, introuvable ou dont nous sommes tout à fait inconscients.
Au cœur des natures mortes des XVe et XVIe siècles, les objets sont autorisés à figurer parce qu’ils sont porteurs d’un autre sens que celui de leur matérialité quotidienne. La symbolique religieuse parcourt tout un éventail, du séculier au mystique. Le décor qui figure en arrière-plan d’un saint – Saint Éloi orfèvre, de Petrus Christus, 1449 – n’est pas purement décoratif : les bijoux, coraux précieux, aiguières ciselées sont les attributs qui révèlent le patron des orfèvres.
Ailleurs :
- la serviette figure la pureté
- la fontaine, la virginité,
- le livre ouvert, la piété.
Dans les pures scènes de piété, les fleurs, fruits et autres objets sont autant de références à la Bible, à la liturgie, à la prière :
- la pomme renvoie à Adam et au péché originel,
- les cerises au Paradis,
- le raisin à l’incarnation du Sauveur et au mystère de l’Eucharistie,
- le calice de vin au sang versé par le Christ ;
- la noix est la chair tendre de Jésus sur le bois de la Croix,
- le citron, l’amertume de la Chute.
Les fleurs aussi ont leur traduction :
- le lys signifie la pureté,
- l’ancolie, la présence du Saint-Esprit,
- l’iris, la douleur,
- l’œillet, par homonymie (carnatio), l’incarnation du Christ.
La symbolique morale triomphe dans les vanités dont la composition forme un message.
Une catégorie originale
On donne le nom de vanité à une catégorie particulière de la nature morte qui associe des symboles du temps, de la brièveté de la vie, de la mort, aux objets de l’activité humaine. Ce genre de représentation a des origines anciennes puisqu’on retrouve à Pompéi une mosaïque montrant un crâne entouré des attributs du mendiant et du roi, souligné d’une sentence : « La mort égalise tout. » Elle connaît son apogée en 1620-1630, notamment à Leyde, en Hollande, dans le milieu très calviniste de l’université, pour s’étendre ensuite à toute l’Europe de la Contre-Réforme. Elle est l’expression picturale de l’esprit baroque qui a marqué le XVIIe siècle. On retrouve ce Memento mori – « Souviens-toi que tu vas mourir » – dans l’iconographie de saint Jérôme, méditant dans sa cellule entouré de livres, d’un sablier, d’une bougie et d’un crâne.
On distingue diverses catégories d’objets symbolisant tour à tour :
- la corruption de toute matière : la mouche, qui précède le ver de la pourriture, et les petits insectes d’une manière générale ; les pétales fanés ; les fruits abîmés ; les pierres lézardées ou les rebords de coupelles ébréchés ; les cordes rompues ;
- la fuite du temps : le chronomètre ou la montre, la bougie consumée, le sablier, le crâne ou le squelette, la lampe à huile ;
- la fragilité de la vie : crânes, bougies éteintes, fleurs fanées, miroirs, instruments de musique, fumée, bulle de savon, chenille, papillon (qui est aussi symbole de l’âme), verre brisé ou renversé ; objets en déséquilibre ;
- la vanité des biens de ce monde : étoffes précieuses, coquillages, bijoux, pièces de monnaie, armes, couronnes et sceptres (richesse et pouvoir), livres, instruments scientifiques, bustes antiques ou tout objet d’art (connaissance), verres et vin, pipes, instruments de musique, cartes à jouer, dés (plaisirs) ;
- la vérité de la résurrection et de la vie éternelle : épis de blé, couronnes de laurier, citations des Écritures ou des stoïciens qui soulignent l’inutilité des biens de ce monde sous forme de sentences : Vanitas vanitatum et omnia vanitas (« Vanité des vanités, tout est vanité »), « Toutes choses ont leur temps », « Sorti nu du ventre de sa mère, il s’en retournera de même, et n’emportera rien avec lui du fruit de son labeur ».
Sur ce site marchand d'art, artcult.fr vous trouverez une très jolie étude sur des natures mortes au homard (surprenant, non ? L'idée de symbolique du homard...) et ici sur le site du Louvre, un joli parcours sur les natures mortes de l'École du Nord.
Pour finir, on trouve nombre de livres d'art sur les natures mortes, des petits, des moyens, des gros, mais pour moi il me faut un gros, très gros (hélas très cher), celui-ci entre tous:
Sybille Ebert-Schifferer, Natures mortes, Paris, Citadelles & Mazenod, 1999.
Tout cela me rappelle les extases (si, si, je vous jure) de notre ancien prof d'histoire de l'art, directeur du musée de ma ville universitaire, qui, partant dans de grandes envolées lyriques, évoquait la "volupté de cette manche!" (celle de l'Arioste peint par le Titien) sur le tableau du ou de la "plénitude de cette pomme" de telle nature morte XIXe siècle... En vrais gredins que nous étions, qu'est-ce que cela nous faisait rire! Et après on s'étonne que les études d'histoire de l'art ne m'ait jamais tentée!
Rien à voir, mais aujourd'hui pour la première fois depuis que je lis des archives, soit un, deux, trois, non, six ans à peu près, j'ai dû sortir une loupe pour déchiffrer un mot ! Pour peu je me croirais dans la cour des grands, enfin, des médiévistes... C'est vrai, il n'y a que les médiévistes pour utiliser une loupe, en salle d'archive... Nous, les modernites, c'est rare, et pourtant on a les plus sales écritures! Et eux, les plus belles enluminures (non en fait, c'est faux, les plus belles sont - à mon goût - au XVe et XVIe s.). Il faudra que je vous cause des joies de la paléographie, un de ces jours...
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