Une envie de livres ?
16/04/2010
Le minutier central ou une souris perdue dans des écritures de chats...
étape 1 : Prenez une souris. Non pas par la queue, un peu de respect, s'il vous plaît! Gentiment, doucement. C'est très doux le poil d'une souris, j'ai vérifié récemment avec celles rapportées par mon chat.
- étape 2 : Lâchez-la dans... voyons... un tas d'archives, à peine rangées en cartons. Quand je dis un tas, c'est un gros tas. Qui va chercher dans les 100 à 200 000 cartons. Pas de fromage à grignoter, mais largement mieux, des tas de vieux papiers. Laissez-la quelques années, le temps d'une thèse.
- étape 3 : au bout de tout ce temps, récupérez-la et en la regardant bien droit dans les yeux, demandez-lui des nouvelles de sa santé.
J'ai fait l'expérience, et ce n'est pas beau à voir. Ce n'est pas qu'elle est morte de faim, la souris, c'est qu'elle n'a plus su où donner de la dent. Trop de cartons. Plus moyen de se rappeler où elle avait grignoté. Ça se brouillait un peu dans son cerveau.
Comme dans le mien (de cerveau). Étant donné le temps passé dans les archives des notaires parisiens, j'ai l'impression, non de me transformer en souris, ça c'est déjà fait, mais de ne plus savoir où donner de la dent. Ce fonds des archives nationales porte le nom de "Minutier central". Pour en savoir un peu plus, c'est ici que ça se passe (cliquez). Vous allez voir, c'est très simple (groumph ya arnaque, accrochez-vous).
Imaginons que l'on travaille sur... les boulangers au XVIIe siècle. Le commerce du pain enrichit-il ? Comment s'approvisionnent-ils, à qui et comment vendent-ils ? Quels pains vendent-ils ?
- D'abord on peut commencer par repérer le secteur géographique qui nous intéresse dans Paris, avec la carte des études notariales (salle des références des Archives nationales, premier étage).
- Ensuite, on cherche les notaires dont l'étude se trouvait dans le coin. Avec un peu de chance, les boulangers sont allés à l'étude du coin de la rue.
- Là, on grimpe au troisième étage, salle des microfilms, chercher des détails sur les différentes études, dans les classeurs marrons, on relève la liste des notaires en exercice pour la période étudiée, leurs années d'activité, leur nombre de registres versés aux archives.
- En fin de classeur on va voir si ces gentils notaires ont laissé des répertoires, sortes de tables des matières des actes passés, noms des clients, type d'acte, année, mois, folio...
Les aléas du temps et peut-être la négligence desdits notaires font que l'on n'a pas toujours de répertoire. Alors, c'est la misère. Il faut se faire les cartons dans leur intégralité. Et ça n'est pas très très drôle. Ça peut l'être quand on a son temps, ce qui n'est pas le cas pour une thèse par exemple. Ça ne l'est pas quand les archives notariales ne sont qu'un petit bout de votre documentation.
- Si répertoire il y a, direction les tiroirs à microfilms. Avant il fallait les commander, maintenant, plus besoin d'intermédiaires, on ne s'en plaidra pas. Puis direction le lecteur de microfilm. Là, on fait défiler la bobine. On note les actes relatifs à nos boulangers. Là, c'est fait ! (nota, ne pas s'appesantir sur le bitoniau du lecteur, le défilement rapide a vite fait de s'enclancher, et là c'est encore la misère pour retrouver à quel page vous en étiez... Si vous entendez un brusque emballement de bobine, suivi de jurons de charretier lancés par un lecteur, c'est ce qui vient de se passer)
- Avant de quitter la salle, on repasse auprès des classeurs noter à quel numéro de carton correspond quelle année.
- Puis on passe commande des registres et cartons repérés. Ouf!
- Là, vous avez droit à une pause (au rez-de-chaussée). En même temps, vous n'aurez pas votre commande avant une heure et demie. Et ça ferme à 16h30, alors, autant se lever de bonne heure. Adieu les bains moussants du matin, théière à la main...
- Au bout de l'heure et demie, vous avez votre premier registre, au premier étage... C'est là qu'il faut prier tous les saints du paradis, saint Honoré en tête, pour la circonstance, parce que ça va être un quart d'heure drôlatique, de s'habituer à l'écriture du notaire, qui pouvait être dans une phase "écriture de chat"...
-Répetez l'opération autant de fois que nécessaire pour épuiser votre sujet, et quand vous aurez tellement de feuilles de relevé que ça volera de partout, vous me comprendrez...
À tel point que de tableaux en fiches, et de fiches en tableaux, de feuilles imprimées en notes manuscrites au crayon s'il vous plaît (qui tendent donc à s'effacer à force d'être manipulées) notes nerveuses et exitées, notes serrées ou exaltées, on ne sait plus toujours ce que l'on a dépouillé. Être ordonnée ou ne pas être (historienne), telle est la question.
Quelquefois une cote parasite vient semer la pagaille. Du genre, la référence d'un carton 281 pour l'étude LXI qui est censé traiter d'après vos notes, l'année 1634. Voui mais non. Ça ne colle pas, le carton 281 traite de l'année 1701. Il y a maldonne, vous en conviendrez avec moi.
Mais le Dieu des souris ayant créé l'archiviste, qui a créé la base de données au service du minutier, un rayon de lumière jaillira dans un coin de votre cerveau, et après quelques recherches dans la base joliment baptisée "étamin" (comme étamine) en croisant l'année de votre acte recherché (1634) et le numéro du carton, vous apprendrez tout penaud, que l'étude qui vous intéresse, ce n'est pas la LXI, triple buse que vous êtes, mais la LXII. Et voilà le travail.
Il y a des jours où je bénis les achivistes. Pas tous les jours ni tous les archivistes, mais quelquefois et quelques-uns.
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