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Une envie de livres ?

29/08/2010

Devenir historien (5)

L'histoire, une passion. C'est aussi ce qu'expliquait Lucien Febvre dans le même article que je citais ces derniers jours.

« J'aime l'histoire. Si je ne l'aimais pas, je ne serais pas historien. De sa vie faire deux parts; donner l'une au métier, expédié sans amour; réserver l'autre à la satisfaction de ses besoins profonds : voilà qui est abominable, quand le métier qu'on a choisi est un métier d'intelligence. J'aime l'histoire – et c'est pour cela que je suis heureux de venir vous parler, aujourd'hui, de ce que j'aime. (...)

Article à retrouver en ligne sur persee.fr, article "Lucien Febvre et l'histoire"
Fernand Braudel, publié dans la revue Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1957, volume 12, numéro 2, pp. 177-182.

Il est inutile de le nier. Si l'historien ne se borne pas à l'anecdote, il aime l'anecdote, mais ne se contente pas de cela. Pas folle, j'aime comme tout le monde les lettres de la Palatine et les méchancetés de Saint-Simon. Je ris de voir la Grande Mademoiselle raconter comment, un jour, près de la frontière et des champs de bataille, elle se retrouva embourbée, tenant la traîne de la reine Marie-Thérèse ou plutôt la tirant en arrière en manquant de tomber. On imagine les dentelles et les soieries dans la boue, ces belles dames enfoncées jusqu'aux genoux et on rit. Mais pas seulement.

Quand une émission estivale, celle de S. Bern, s'attarde longuement sur les goûts sexuels de l'impératrice de Russie, Catherine II, on soupire. Non pas parce que c'est inintéressant. D'une certaine façon c'est passionnant. En entendant ce genre de choses, il faut avoir aussitôt le réflexe de se demander:
"N'est-ce pas nouveau qu'une femme de pouvoir assume en plein époque moderne (XVIe-XVIIIe s.) la recherche du plaisir plutôt que la chasteté et la procréation?"

Car le plaisir sexuel ne semble pas l'attribut des souveraines. L'anecdote du bac de Neuilly est révélatrice: en 1606 Henri IV, Marie de Médicis et la Cour prennent le bac de Neuilly pour traverser la Seine, comme d'habitude. Mais cette fois-là, le bac bascule, tout ce joli monde tombe à l'eau. La reine manque de se noyer. Elle se raccroche à son chevalier d'honneur, enfin... comment dire...à sa braguette, proéminente, rigide, bref bien pratique pour s'y accrocher dans de telles circonstances. La maîtresse du roi, Henriette d'Entragues, à la langue toujours bien pendue, est absente. Quand on lui raconte ce qui s'est passé, elle s'esclaffe et déclare "Si j'avais été là, j'aurais dit "La reine boit!"". La pauvre Marie de Médicis gagne sa réputation de "balourde" - étiquette gracieuse qu'elle doit également à la maîtresse de son époux - parce qu'il fallut lui expliquer plusieurs fois pourquoi Henriette avait déclaré cela. Comme il n'est pas certain que ce soit de l'eau que la reine était censée avoir bu, d'après la perfide Henriette, on peut en tirer la conclusion suivante: la reine ignorait manifestement certaines pratiques sexuelles, pratiquées en revanche par la maîtresse. Cela fait supposer que la reine est faite pour procréer - les pratiques qui procurent plaisir en ne permettant pas la procréation sont absentes - tandis que la maîtresse est là pour le plaisir du roi. Les maîtresses ne sont donc pas les preuves d'égarement moral des souverains pécheurs, mais un moyen trouvé par quelques-uns afin de compenser leurs obligations conjugales élémentaires: assurer l'avenir dynastique. À confirmer. Ce n'est qu'une hypothèse.

Autre question qui surgit en écoutant ces anecdotes relatives à Catherine II: est-il vraiment anodin que l'on raconte ces histoires au XVIIIe siècle? Il semble que l'impératrice ne cachait pas soigneusement ces détails intimes. Peut-être ces pratiques entraient-elles dans l'élaboration d'un discours de liberté, de pouvoir souverain supérieur aux règles morales? Que sais-je? Hypothèse peut-être fausse, peut-être vérifiable. Mais l'anecdote en soit est inutile si elle ne donne pas lieu à l'analyse qui permet d'aller plus loin que le bout de son nez.

Finalement, on ne range pas ses habitudes d'historiens quand on quitte son bureau. J'ai entendu des historiens dire "Oh non, je ne regarde pas d'émissions historiques le soir, quand je ne travaille plus, je ne veux pas entendre parler d'histoire". Même si la qualité des émissions historiques laisse beaucoup à désirer sur le service public et justifie que l'on n'en regarde pas, un historien qui laisse son métier au bureau semble regrettable. Évidemment, cela peut être un peu lourd à porter pour l'entourage non-historien. Tout dépend comment et combien de fois on commente ce que l'on voit. Au pire on se prend un "Alain Decaux, sors de ce corps". Groumph.
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