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Une envie de livres ?

20/03/2011

Le plan licence ou l'art de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages

Par moments, j'ai envie de partir sur une île déserte. C'est un peu lâche, c'est vrai. Mais face à un rouleau compresseur, je ne vois plus quoi faire. 

À l'époque où j'ai passé mon bac, il est certain que nous étions déjà les cobayes parfaitement involontaires de toutes sortes de mesurettes et réformettes aussi vite pondues qu'oubliées et disparues. Quoique. Je me souviens d'innovations déroutantes, surtout en primaire, d'institutrices qui ne juraient que par l'apprentissage du script, seule écriture admise. Le résultat se voyait dès le collège: des générations d'enfants incapables ou en tout cas absolument pas habitués à écrire autrement. Il y en a eu bien d'autres, comme les fameuses méthodes globales, aux effets bien plus graves encore, décriées et abandonnées depuis.

Celeborn s'est lancé dans un inventaire croquignolesque de toutes les réformes qui se sont succédées depuis... seulement 2005 dans le secondaire Il a bien été tenté de remonter bien en amont, mais comment dire? Cela devenait un sujet de livre.

Mais l'expérience n'apprend rien aux ministres (ce qui peut se comprendre, vu le nombre réduit d'années qu'ils passent sous les ors de la République, ordinairement) ni aux cabinets des ministres ou autre population fréquentant ordinairement les bureaux des rues de Grenelle et Descartes. C'est déjà beaucoup plus fâcheux.

Or donc, je parlais de rouleau compresseur. Et des réformes que j'ai subies. En arrivant à l'université, j'ai eu le sentiment de trouver un monde fabuleux. Terriblement exigeant, pour moi qui arrivait tout droit d'un quelconque lycée de province dans cette université de province, également. Le choc a été rude. Durant ces années j'ai vraiment eu le sentiment d'être préservée de la réformite. Il y a bien eu la semestrialisation soit le fait de couper les années en semestre, chacun comprenant non plus des partiels mais des examens terminaux. Avec la semestrialisation, il y avait la compensation des notes, assez désastreux pour les bons étudiants, qui ne pouvaient plus repasser un UE (unité de valeurs) décrochée avec un 08 et compensée avec le 12 d'une autre matière. Une jolie manière de plomber les moyennes, non, pardon, d'aider les étudiants en difficulté en nivelant par le bas. Dès cet instant, j'ai commencé à haïr avec férocité les réformistes à la petite semaine.

Puis il y a eu le contrôle continu. Réclamé par les syndicats étudiants. Qui ne sert à rien sinon multiplier par trois le nombre de copies à corriger. Parce qu'un étudiant débarquant de son lycée ne SAIT PAS faire de dissertation ni de commentaire, selon les règles. Il n'y a pas à tortiller. Plus de six ans passés à encadrer des premières années, je commence à avoir l'habitude. Dans le meilleur des cas, il faut quelques séances pour obtenir un semblant de devoir où il y a encore beaucoup à revoir. Même avec la majorité des étudiants réellement motivée par ses études, il faut encore secouer la pulpe pendant des semaines et des semaines pour que ça commence à faire des choses. Donc il faut se débrouiller pour que les premières notes ne soient pas catastrophiques. On sonne l'alarme, en quelque sorte, à base de "Bon, les gars, vous voyez, là, faudrait commencer à se retrousser les manches, parce qu'on est loin du compte!"

Avec la LMD, Licence Master Doctorat, beaucoup de poudre aux yeux et une grande réforme de la formation des enseignants sur le mode "Vous n'êtes pas bien formés? Maintenant vous ne serez pas formés du tout!"...

Las, nous ne sommes pas à bout de nos peines. Je crois que s'est maintenue à peu près partout, malgré ces réformes à tout crin, une formation pas trop mauvaise. Au moins dans ma discipline. On peut toujours faire mieux, certes. Mais dans l'ensemble, malgré toutes ces mesures qui n'ont rien apporté, je crois pouvoir avancer que la qualité de l'enseignement n'a pas baissé.

Alors alors alors... comme les enseignants ne sont pas compétents pour aider les étudiants, Madame le ministre s'en charge. Rien que ça. Vous trouverez ici l'intégralité de son discours pour le lancement du pompeux "Plan Licence".
Voici quelques morceaux choisis.

Je veux en faire un diplôme de référence pour les étudiants comme pour les employeurs (...) renforcer sa dimension professionnalisante sans rien céder de l’exigence académique (...) ni remettre en cause, naturellement, le contact avec la recherche, qui fait la force et la spécificité du modèle universitaire.
Il va falloir choisir: soit on ouvre les formations aux exigences du marché soit on garde le même niveau disciplinaire. À moins de couper les étudiants en deux je ne vois pas comment faire... "Garder le contact avec la recherche" aaaah la vaste blague. Quand plus aucun étudiant ne va faire l'équivalent d'une maîtrise à moins d'avoir des parents riches (ce qui n'est pas le cas de la majorité des étudiants) parce que le master enseignement repousse déjà d'un an le début de la carrière ! C'est déjà la quadrature du cercle pour initier les très bons étudiants à la recherche tout en leur laissant une chance d'obtenir le CAPES (l'agrég on verra si on peut obtenir des reports de stage) et que leur doctorat, ils devront le faire en ayant déjà un plein temps dans le secondaire, au mépris de leur vie privée !

Je pense en particulier à la réflexion sur les référentiels de compétences et sur l’évaluation des étudiants
C'est dit! Nous sommes sauvés les compétences arrivent à la fac ! Sauf que les compétences, ça fait longtemps que je les pratique, et si c'était une recette magique, ça se saurait ! "Savoir définir les termes du sujet" "Rédiger chaque paragraphe en alternant une idée/un exemple" "savoir placer sur une carte les principaux états de l'Europe au XIXe siècle"... ce sont pas des compétences, ça, hum ? Nooon. J'adore quand une ministre qui n'a jamais enseigné vient me dire comment faire cours. 

Le plan « Réussite en licence » a par ailleurs marqué une étape décisive dans la mobilisation contre l’échec endémique dans le 1er cycle universitaire. La dynamique engagée depuis trois ans n’a pas seulement permis d’améliorer l’accueil, l’encadrement et le suivi des étudiants, elle a aussi replacé la pédagogie au cœur des préoccupations de l’université
Ben c'est sûr. Ça a bouleversifié la vie des facultés. Dingue. Replacé la pédagogie au coeur de l'université... Et pan! prends ça dans la gueule ! C'est certain, hein, la pédagogie on s'en fout à l'université, on n'est rien que des pervers qui n'en avons rien à faire des étudiants. On fait même des quotas en secret pour avoir le plaisir de voir les étudiants recalés pleurer.

la réforme du 1er cycle, ce n’est pas seulement une organisation plus efficace, un allongement de l’année universitaire ou encore de meilleures conditions de travail, c’est aussi une nouvelle architecture des formations qui permette à l’étudiant de découvrir un plus large éventail de disciplines et de construire progressivement un parcours d’études adapté à l’évolution de son projet.
Oui on appelle ça une dilution. Jusqu'à preuve du contraire ça n'aide pas à mieux connaître sa discipline.  Un semestre d'économie, un de philosophie, un troisième d'histoire, un quatrième de droit. On fait de tout pour sortir avec rien. I-dé-al.
Quant à l'allongement, oui oui oui, passer de treize semaines (ou quatorze) à douze, c'est allonger!

Mon ambition, c’est qu’un diplômé de licence générale, quand il ne fait pas le choix de la poursuite d’études, s’insère demain aussi facilement et aux mêmes conditions qu’un diplômé de DUT ou de licence professionnelle.
Mon ambition à moi, c'est que, quitte à voir nos étudiants se réorienter, ils sortent en sachant lire un dossier pour le synthétiser, écrire sans faute, argumenter, parler avec aisance à l'oral, avoir une culture générale correcte, avoir de l'esprit critique, histoire de pouvoir enquiller sur des métiers où leur formation initiale leur sera précieuse. Du genre journaliste, conservateur. Bref, des compétences auxquelles on les forme déjà. Fou, n'est-il pas ? Bientôt en histoire, on nous demandera de former des ingénieurs BTP ou des informaticiens. Parce que l'histoire ça ne sert à rien sur le marché. On ne va tout de même pas financer des formations qui ne servent à rien qu'à la culture et à la réflexion.

La seconde tient à notre ambition commune de faire réussir tous les étudiants, quels que soient leur origine et leur potentiel. L’université est ouverte à tous, c’est à la fois sa fierté et le principal défi auquel elle doit répondre aujourd’hui. Les étudiants ont changé : plus nombreux, moins armés parfois pour les études supérieures, ils ont la même envie d’apprendre, la même volonté de réussir que leurs aînés, sans en avoir toujours les moyens. Combien d’entre eux, aujourd’hui, renoncent ? Combien de talents gâchés, d’illusions perdues

Les étudiants sont moins bien armés! Oh le vilain aveu ! C'est crocro difficile ?! Ben c'est pas grave, hein, on baisse le niveau, comme ça tout le monde aura un diplôme qui ne vaudra... rien. Égalité dans la nullité.
Ce nouvel arrêté sera à la fois plus ouvert et plus contraignant. Plus ouvert, parce que l’égalité des chances doit aujourd’hui reposer sur la diversité des parcours : le développement rapide de formations d’excellence – cycles préparatoires, doubles licences, parcours renforcés – en est le meilleur exemple. Il doit bénéficier, via l’établissement de passerelles, à l’ensemble des étudiants accueillis à l’université. Il ne s’agit pas de choisir entre l’excellence pour tous ou l’excellence pour quelques-uns, mais de conduire tous les étudiants à la réussite et à l’insertion professionnelle. C’est ainsi que nous substituerons à la logique de sélection par l’échec une logique d’orientation progressive et réversible

Plus ouvert et plus contraignant. Elle aime bien les positions compliquées, notre ministre. Ce qu'elle nous dessine surtout c'est une fac à deux vitesses. Mais, ça, cette inégalité-là, ça ne la perturbe pas. 

l’égalité des chances, c’est en même temps la garantie que tous les étudiants bénéficieront des mêmes conditions d’accueil, d’enseignement, d’évaluation et de réussite. C’est à vous qu’il appartient désormais de fixer ces nouvelles règles. Je me contenterai d’évoquer quelques pistes : la simplification des intitulés, la définition d’un volume horaire minimum, l’harmonisation des modalités d’évaluation, qui inclut à la fois la généralisation du contrôle continu, la question de la compensation et celle des notes éliminatoires, la prise en compte des progrès de l’étudiant sur l’ensemble de l’année et de la diversité des rythmes d’apprentissage – pourquoi ne pas lever le tabou des trois ans ? –
Pour la simplification des intitulés j'ai une proposition: des cours de "B-A ba", d'orthographe et de grammaire. Remarquez, c'est ce que l'on fait déjà (soupir). Autonomie des universités et contrôle croissant du ministère, cherchez l'erreur. Je ne vois pas en quoi la généralisation du contrôle continu va aider à l'harmonisation. Ah mais si. Ça va éviter aux sadiques que nous sommes de nous laisser aller à nos pulsions. C'est vrai. Plus de note éliminatoire. Bientôt aux copies blanches il faudra mettre la moyenne. La prise en compte des progrès... Nan on ne prend pas en compte les progrès, on se réjouit de ceux qui échouent, on se tue à vous le répéter. Aaah le tabou des trois ans. C'est sûr. Un étudiant qui met dix ans à avoir sa licence, ce n'est pas un étudiant qui a subi une erreur d'aiguillage. Nooon. Il est juste tombé sur de vilains enseignants. Il va juste ramer ensuite pour trouver du travail avec un CV qui fera fuir. Mais pas de problème! Mais j'aime bien la formule "diversité des apprentissages". Je vais la ressortir à mon prochain cru de premières années, quand je serai obligée de leur secouer les puces pour que le deuxième devoir de contrôle continu ne soit pas désastreux. "Vous savez quoi? Vous manifestez une diversité des apprentissages vraiment riche. C'est sûr que croire que Charlequin était empereur au XVIIe siècle, c'est d'une grande inventivité. Un point inventivité. Mais pour l'inventivité vous voudrez bien vous inscrire dans les ateliers "J'écris mon premier roman". Pour la validation de votre première année, vous allez voir ailleurs, merci. "

Cette réforme, nous le savons tous, est aujourd’hui nécessaire : aucun d’entre nous ne peut se résoudre à la sélection par l’échec.
La sélection par l'échec! J'aimerais que notre bonne ministre nous définisse sa conception de la sélection. Je vais sans doute apprendre des tas de choses. Quand j'étais petite et qu'il fallait trier les pommes de terre, il y avait les petites, les moyennes et les grosses. Et de fait les petites échouaient à se faire passer pour des grosses. Mais dans le monde merveilleux de l'enseignement, on veut nous faire passer des têtes vides pour des têtes pleines et personne n'y voit que du feu. 

Dites, il n'y a pas un journaliste dans la salle, là, pour nous révéler que notre ministre a fricoté avec Khadafi ou Ben Ali, histoire qu'on puisse lui demander d'aller exercer ses talents ailleurs? S'il vous plaît...
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4 commentaires:

NAIF a dit…

Je ne serais pas aussi critique que vous sur une partie des réformes. Semestrialisation et LMD sont des choix pertinents qui remettent les cycles universitaires français en cohérence avec le reste de l'Europe. Même le mélange des genres n'est pas forcément condamnable.
Le problème c'est le refus des mots exigence, excellence et sélection.
Sans compter la contradiction que vous soulignez fort bien entre autonomie des universités et contrôle renforcé. Un paradoxe si français de crier à la liberté et de refuser de l'autoriser ou d'en faire usage.

la Souris des archives a dit…

Malheureusement, je ne vois guère d'effets réellement positifs à ce système. La cohérence avec l'Europe serait surtout précieuse s'il y avait cohérence entre le niveau réel des étudiants. Les Suédois ou les Italiens sont largués dans les facs de sciences humaines, et pas seulement pour des questions de langue. Les Britanniques, inexistants (je n'en ai jamais vu en tout cas). Et les Erasmus repartent avec de faux diplômes en toc, qui ne valent rien "C'est un Erasmus!" est devenu de synonyme avec "Indulgence poussée jusqu'à la complaisance". Au lieu de saisir la chance d'offrir un vrai parcours avec en première étape une maîtrise sérieuse de la langue locale et en seconde étape le diplôme à niveau égal avec les étudiants locaux.

Un article intéressant sur ce qu'est devenu le LMD de l'institut Boivigny

http://www.boivigny.com/La-reforme-LMD-en-Europe-la-creativite-des-systemes-nationaux-demeure_a121.html

En outre, on ne peut pas se contempler le nombril. Si l'on regarde l'ensemble du supérieur, le LMD a posé d'importants problèmes aux prépas et aux écoles d'Ingénieur. Réduire à deux ans la durée des cycles en école d'Ingénieur c'est baisser mécaniquement le niveau de formation spécialisée desdits élèves, car il ne faut pas se faire d'illusion: la plongée de la culture générale des étudiants a touché aussi les étudiants de prépa. Or un bon scientifique a besoin d'une bonne culture générale (et l'inverse est aussi exact). Cette troisième année de prépa est insuffisante pour combler les lacunes de leur culture générale et c'est autant de temps en moins passé sur la spécialisation. Cela ne peut pas être bon.

Mais c'est surtout ce contrôle renforcé des universités qui m'inquiète, non pas l'idée de contrôle en soi, mais l'idée sous-jacente de critiques "Vous les universitaires vous êtes trop exigeants".

Stéphane Cosson a dit…

Euh...Charlequin ou Charles Quint ?

Sinon, je crois que les passerelles pour aller d'une discipline à une autre me semblent intéressantes. On a le droit de se tromper, de profiter d'autres opportunités, de voir si l'herbe de la discipliine à côté est plus verte...
C'est comme cela que je suis passé de la gestion des entreprises à l'archivistique, de l'archivistique à l'histoire, de l'histoire à l'ethnologie de la parenté et de l' ethnologie de la parenté à la sociologie appliquée au développement local... Avant de me mettre à mon compte car CV faisant fuir les employeurs (trop diplômé, trop de bac+5!).
Mais bon pas grave. Cela ne m'empêche pas de m'éclater dans ma vie professionnelle. C'est l'essentiel.

la Souris des archives a dit…

Il s'agit bien de Charles Quint mais orthographiée de manière... fantaisiste, dirons-nous. Trouvé dans une copie cette année, j'ai cru rêver (on ne s'y fait pas).

Pour ce qui concerne les passerelles, je dirais qu'il vaut mieux de manière générale veiller à garder une certaine cohérence. Après, que les hasards de la vie vous amènent à avoir un CV étonnant, trop long, etc, cela arrive fréquemment (j'en sais quelque chose dans mon entourage).

Le problème est d'entretenir les étudiants dans l'illusion que l'université est professionalisante dans toutes ses filières et c'est loin d'être vrai (mais ça ne pose pas problème si la fac est intégrée dans un cursus logique et pensé). Je ne supporte pas qu'un étudiant vienne pleurer parce qu'il a une maîtrise ou un doctorat et ne sait pas quoi faire avec, qu'il sort "oui mais on nous a dit que le Bac+ tant, c'était une garantie contre le chômage".

Deuxième illusion, c'est de faire croire qu'avec un parcours allant de la physique à l'histoire en passant par la gestion on aura autant de chances de réussir un concours d'enseignement par exemple qu'un étudiant qui a fait histoire + géographie... On aura picoré de tout mais pas forcément de manière utile.

Plus cela va et plus je me méfie des bons sentiments et des effets pervers des réformes généreuses sur le papier.