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Une envie de livres ?

24/10/2008

Comment les historiens écrivent-ils l'histoire?



On se pose rarement la question des sources sur lesquels l'historien s'appuie; parce qu'entendre une histoire semble a priori plus intéressant que de savoir comment elle a été écrite. Et pourtant... C'est souvent un des moyens d'identifier un auteur qui raconte n'importe quoi et celui qui s'appuie vraiment sur des sources (il faut ensuite qu'il sache les traiter avec culture et esprit critique, mais c'est une autre affaire).

Recette du jour :

Prenez un historien. Munissez-vous d'un pressoir de préférence ancien (vous en trouverez pour rien en Bretagne et en Normandie) qui pourra par la suite faire le décor kitch de votre jardin, et d'une reproduction du Jugement dernier.

Installez l'historien dans le pressoir, à la place des fruits. Actionnez le mécanisme de presse. Si l'historien, soumis à la pression, crache des liasses de vieux parchemins, divers objets archéologique et des centaines de livres, gardez-le, c'est un bon historien, il vous rendra quelques services. Sinon, épinglez-le au plus vite en bas à gauche de la reproduction du Jugement dernier, c'est l'emplacement réservé pour l'enfer des historiens.

(je crois que je devrais cesser d'abuser du café)

Hum ! Je disais... Les historiens apprennent à connaître le passé grâce aux informations révélées par les "sources": mais ! Le statut de source peut être donné à la limite à n'importe quel objet, à condition qu'un historien arrive à le faire parler. J'ai pris conscience assez tardivement (je vous rassure, c'était du temps de mes études), que l'histoire politique occidentale de ces derniers siècles était en grande partie écrite grâce aux actes émanant du pouvoir (actes royaux, impériaux,...) mais aussi grâce aux archives diplomatiques: comptes rendus des ambassadeurs, résidents et autres espions officiels.

Selon un grand historien du début du XXe siècle, Henri-Irénée Marrou, "Le passé se présente (à l'historien) comme un vague fantôme (...) pour le saisir il faut l'enserrer dans un réseau de questions" (H.I. Marrou, De la connaissance historique, Paris, Le Seuil, 1954, rééd. Points Histoire 1975, p. 56)


Plusieurs classifications sont possibles.
Par nature:

- les sources écrites
- les sources iconographiques
- les sources audio-visuelles
- les sources archéologiques non écrites (objets divers, monuments...)

Une deuxième est encore possible, en fonction de la destination:
- les sources privées
- les publiques

Dans les sources écrites, on distingue encore plusieurs catégories:
- les sources normatives (les textes de lois, les règlements émanant de toutes sortes d'institutions, etc)
- les sources narratives (littéraires ou non: correspondances, mémoires, récits divers...)
- les sources administratives
et la liste n'est pas close.

Or, l'éventail des sources étudiées par les historiens ont varié au fil du temps, comme le regard sur des sources identiques a changé en fonction de l'évolution de l'historiographie ou histoire de la façon d'écrire l'histoire.

Le renouveau historique est dû:

- quelquefois à des découvertes d'archives inconnues ou à des fouilles archéologiques;
- mais le plus souvent, le "nouveau" en histoire est dû à de nouvelles questions, une nouvelle approche des documents déjà connus. Or on peut aborder un même document de mille manières (bon, mille, c'est pour la formule, disons cinq, six, c'est déjà bien)

L'historiographie introduit d'une manière concrète et à partir d'exemples, à l'évolution des démarches, des interrogations, et des interprétations.

Écoutons Henri-Irénée Marrou -un des grands maîtres historiens du XXe s. (1904-1977) - expliquer comment à partir d'un même phénomène, on peut tirer plusieurs manières d'envisager un fait:

"Prenons un phénomène historique bien déterminé : le monachisme chrétien à ses origines dans l'Égypte du IVe siècle.
On peut l'étudier du point de vue de l'histoire du christianisme en tant qu'il est un épisode de celle-là, un aspect du développement de celui-ci.
On peut l'étudier du point de vue comparatif de l'histoire des religions, comme une des manifestations de l'idéal de solitude, d'ascèse et de contemplation qui s'est incarné de tant d'autres manières dans l'humanité (brahmanisme, jaïnisme, bouddhisme, taoïsme, et jusque paraît-il dans les civilisations précolombiennes).
On peut y voir l'aspect social, la fuite au désert, l'"anachorèse" (littéralement la "montée au maquis") étant un phénomène général dans l'Égypte gréco-romaine (criminels, débiteurs et surtout contribuables insolvables, a-sociaux de toute espèce, et non pas seulement religieux).
On peut encore en étudier la fonction économique: les cénobites de saint Pachôme qui par milliers sortaient de leurs couvents pour venir faire la moisson dans la vallée du Nil et gagner ainsi en quelques jours leur maigre subsistance de l'année, apparaissent comme une réserve de main d'oeuvre, un Lumpenproletariat, équivalent de ces travailleurs saisonniers de Californie, décrits par Steinbeck dans Les raisins de la colère... (H.-I. Marrou, De la connaissance historique, p. 51-67


Tout est affaire de point de vue... sur les sources !
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