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Une envie de livres ?

27/03/2009

Brève introduction à l'histoire politique (3)


Parler de l'influence du marxisme sur l'histoire politique revient en fait à quasiment ne pas parler d'histoire politique, puisque "l'historien marxiste accorde une attention privilégiée aux phénomènes sociaux, à leur aspect conflictuel, au sort des plus défavorisés surtout" (Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981, p.104).

Mais il faut bien dire qu'entre Boris Porchnev et les historiens français des Annales des années 1930 aux années 1970, il y a un fossé... Porchnev était un historien soviétique, qui a particulièrement travaillé sur les révoltes populaires dans la France d'Ancien Régime, et fut opposé à Roland Mousnier, à propos de la nature des révoltes paysannes du XVIIe siècle: révoltes révélatrices d'une lutte des classes ou non? Pour la présentation des thèses de Porchnev, voir l'article d'Yves-Marie Bercé, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1964, vol. 122, p. 354-358, Porchnev, Les soulèvements populaires en France...



Cependant, on peut difficilement expliquer l'orientation d'un Lucien Febvre sans prendre en compte sa "lecture attentive de Marx" pour reprendre la formule de Fernand Braudel, dans cet article du vol 12, num. 2 de la revue des Annales, 1957, p. 177-182, "Lucien Febvre et l'histoire". L'accent est mis sur le social. Sur les bancs de l'université, on apprend le rejet de l'histoire politique par les historiens qui ont fondé la revue "Les annales", on apprend le courant historique du même nom, caractérisé par le rejet de l'histoire-bataille, d'une histoire politique focalisée sur les grands hommes. Ce rejet est lié au développement d'une histoire plus sociale, plus économique : voyez le Louis XIV et 20 millions de Français de Pierre Goubert. Au lieu de faire une biographie classique de Louis XIV, P. Goubert démontre les forces économiques de ces vingt millions de Français, sans lesquels Louis XIV n'aurait pu être le roi-soleil... Une thèse projetée sur la politique méditerranéenne de Philippe II, thèse de Fernand Braudel (et selon la légende au moins au sens de "ce qui est rapporté à propos de", en partie rédigée de mémoire en camp de concentration pendant la Guerre de 39-45) est devenue une thèse sur la Méditerranée, temps longs, structures, étant mis en valeur...

Comme Marc Bloch avec les rois thaumaturges, Lucien Febvre choisit ce que l'on appelle alors "histoire des mentalités" et aujourd'hui "histoire des représentations", pour écrire son merveilleux "Problème de l'incroyance au XVIe siècle, la religion de Rabelais"; Bloch, Febvre ont ouvert la porte à de grands maîtres de l'historiographie du XXe siècle: Robert Mandrou, Jean Delumeau, Robert Muchembled...
Mais avant ces célébrités, marquées par l'apport de la pensée marxiste, ont oeuvré et compté Paul Mantoux (La révolution industrielle au XVIIIe siècle, 1906) ou Henri Hauser (Les débuts du capitalisme, 1927). La révolution industrielle, concept qui nous est si familier, enseigné au collège, n'est pas une formule qui a existé de toute éternité en histoire, mais a été créée au début du XXe siècle. P. Mantoux a été le premier à développer à partir des analyses de Marx, le concept de révolution appliquée à l'industrie, à l'histoire économique.

À propos de l'histoire politique écrite jusqu'alors, Lucien Febvre a eu des mots sévères (dont on se délecte en cachette, avouons-le...) : critique du tout-politique, critique de l'histoire positiviste, c'est-à-dire, factuelle et certaine d'établir la vérité une fois pour toutes. On a parlé d'une certaine volonté de "tuer le père" de la part des premiers historiens des Annales. Étaient visés en particulier Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, auteurs d'un manuel sur la méthode historique (ne retenir qu'un élément d'un discours permet de le déformer... on le sait bien aujourd'hui encore):

" L’Histoire se fait avec des documents. Le documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de document, pas d’histoire. " (Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, rééd., Paris, Kymé, 1992, Liv.I, chap I, cité dans Charles-Olivier Carbonnell et Jean Walch, Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p.171).
La réponse de Lucien Febvre quelques années plus tard a été cinglante, comme il savait faire:

" L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste-t-elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce qu’elles ne disent pas d’elles-mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites – et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à l’absence du document écrit. " (Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p.428 cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, Folio Histoire, 1996, p82).
Et en marge des Annales, l'histoire politique, un peu occultée, a continué à vivre, à se renouveler grâce notamment à Pierre Renouvin, et notamment l'Introduction générale à l'histoire des relations internationales, de 1953. Néanmoins en 1974, Jacques Julliard écrivait "L'histoire politique a mauvaise presse chez les historiens français. Condamnée il y a une quarantaine d'années par les meilleurs d'entre eux, un Marc Bloch, un Lucien Febvre, victime de sa solidarité de fait avec les formes les plus traditionnelles de l'historiographie du début du siècle, elle conserve aujourd'hui encore un parfum Langlois-Seignobos qui détourne d'elle les plus doués, les plus novateurs des jeunes historiens français. Ce qui n'est pas naturellement pour arranger son cas".

Pour être plus précis, et en revenir au problème de la biographie, ce genre n'a pas entièrement disparu à cause de la désaffection des historiens, en raison de la demande du public. Reste que le genre biographique reste probablement un des plus difficiles, et même traités par de grands noms. Il donne aussi lieu ou a donné lieu à des publications trop souvent très médiocres.

Pour aller plus loin :

- Charles-Olivier Carbonell, L'historiographie, Que-sais-je?, 1981
- M.-P. Caire-Jabinet, L'histoire en France du Moyen-Âge à nos jours, introduction à l'historiographie, Paris, Flammarion, 2002.
- J. Le Goff, P. Nora, Faire de l'histoire, Paris, 1973 (apperçu dans Google Books)
- F. Bédarida et alii, L'histoire et le métier d'historien en France, 1995 (apperçu Google Books)

Vous trouverez également sur le site des classiques en sciences sociales (classiques.uqac.ca/) de nombreux livres de Lucien Febvre, dont Combats pour l'histoire.
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir
Pouvez -vous me donner les références qui permettent de distinguer l'histoire politique des autres champs de l'histoire. Merci
Nabali

la Souris des archives a dit…

Bonjour,
Je ne suis pas sûre de comprendre votre question : vous souhaitez quelques exemples d'ouvrages d'histoire qui ne relèvent pas de l'histoire politique, c'est cela ?

Vous en trouverez des exemples dans cet ouvrage de synthèse sur l'évolution de l'histoire :
>>> Ruano-Borbalan, Jean-Claude, L’histoire aujourd’hui, nouveaux objets de recherche, courants et débats, le métier d’historien, Auxerre, éd. Des Sciences humaines, 1999, 473 p.

Sinon quelques classiques en histoire culturelle :
>>> Ariès, Philippe, Duby, Georges (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Le Seuil, 1985-87 (d'autres rééditions depuis)
>>> Duby, Georges, Perrot, Michelle, Histoire des femmes en Occident, Paris, Le Seuil
>>> Vigarello, Georges, Corbin, Alain, Histoire du corps, Paris, Le Seuil, 2005.
>>> Delumeau, Jean, Lequin, Yves, Les malheurs des temps, histoire des fléaux et calamités en France, 1987.
>>> Le Roy Ladurie, Emmanuel, Histoire du climat depuis l'an mil. Tome 1 Flammarion, 2009 (nouvelle edition), 287 pages
>>> Corbin, André, L'avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, 1995.
>>> Alain Croix et Jean Quiéniart, Histoire culturelle de la France, Paris, Le Seuil, 1997, 4 ou 5 volumes (dans ces ouvrages, vous trouverez une bibliographie assez riche qui vous permettra d'aller plus loin).

La liste est extrêmement longue, je ne peux vous donner ici que quelques exemples, assez arbitrairement choisis.

J'espère avoir répondu à votre question.