Je reviens d'une longue hibernation, pour cause d'agacement.
Vous me voyez bien désolée de mon absence, hélas, comme le chantait Brel, la vie ne fait pas de cadeaux (la chanson continue sur "... que c'est triste Orly le dimanche! Avec ou sans Bécaud !" bref, passons!) et en ce moment, je suis un peu comme au creux de la vague. 2010 commence bien, il n'y a pas à dire...
Ordoncques, je suis agacée. Parce que re-voilà l'interminable polémique sur les silences de Pie XII, ressortie à loisir par quelques journaux. C'est le genre de sujet qui est parfait pour vendre du papier. Surtout quand on y entretient l'ambiguïté, ce qui permettra de revendre du papier sur le même sujet dans quelques années. Ne tuons pas la poule aux oeufs d'or, surtout. C'est une méthode favorite du journalisme à la petite semaine. Pas du vrai journalisme, non, des minables seulement (vu que je me suis fait offrir à Noël un ouvrage écrit à quatre mains par deux grands journalistes, je ne vais pas trainer dans la boue cette profession. Enfin pas tous les membres). Mais ce sont les plus minables qui gueulent le plus fort, sans doute pour cacher leur insuffisance.
Alors la difficulté de la réponse que l'on peut y apporter, c'est que là encore, les historiens (les vrais) ne vont pas vous apporter une réponse, façon pack déjà emballé, prête à être ressortie en deux mots "Mais non il est innocent j'vous dis !" "'Mais non c'est un criminel, j'vous dis!".
Dans ce problème se surajoutent les facteurs favorables aux polémiques. Et ce sont plutôt ces facteurs en soi qui m'intéressent, parce que c'est souvent la même complexité, la même multiplicité des causes qui font les mêmes genres de recettes pour aboutir aux mêmes polémiques.
Dans cette "affaire" se mêlent :
- la difficulté d'expliquer (ou comprendre) plutôt que juger,
- le caractère propre, le passé, l'expérience, mieux, de Pie XII, diplomate avant d'être pape
- l'écho d'une pièce qui a fondé la légende noire du silence de Pie XII (Le Vicaire, dont le scénario a inspiré le film de Costa-Gavras, 2002),
- le regard et la position des Israélites sur la Shoah,
- les tensions entre défenseurs acharnés, souvent catholiques, et accusateurs tout aussi acharnés,
- les déclarations des uns et des autres selon les circonstances politiques (citations de Golda Meir ou d'Elio Toaff, grand-rabbin de Rome de 1951 à 2000, ou d'autres encore) ou les amitiés, pas toujours vérifiées
- l'ouverture lente de la totalité des archives (Les archives correspondant à l'ensemble du pontificat de Pie XI, c'est-à-dire, jusqu'en 1939, ont été rendues accessibles en 2006. Celles correspondant au pontificat de Pie XII, représentant environ 16 millions de feuillets, ne pourraient l'être que vers 2014-2015)
- des travaux d'historiens, méconnus du public
- le besoin d'entretenir le flou, pour vendre du papier encore et toujours, ou faire des entrées au cinéma ou au théâtre
Pour le reste, toute la difficulté du sujet et la démarche de l'historien sont parfaitement expliqués par Giovanni Miccoli, titulaire d’une chaire d’Histoire de l’Église à la faculté des lettres de l’Université de Trieste, spécialiste du débat autour du rôle de Pie XII et de l’Église catholique durant la Seconde Guerre mondiale :
"Le débat sur l’attitude de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale face à la persécution et à l’extermination des Juifs connaît de temps à autre des retours de flamme. Depuis des décennies, défenseurs et accusateurs du pape se mesurent dans un combat acharné dont les termes, d’un côté comme de l’autre, restent cependant généralement les mêmes. On assiste ainsi, en quelque sorte, à des procès parallèles récurrents, qui aboutissent chaque fois à deux sentences opposées : à l’« absolution » des uns correspond immanquablement la « condamnation » des autres.
Le livre, dont nous présentons ici la traduction française, n’a jamais eu l’intention de s’inscrire dans cette polémique en ajoutant un énième maillon à une chaîne déjà longue. Son ambition est autre ; il ne souhaite ni jouer les médiateurs entre les différents adversaires, ni - que cela soit clair - proposer une voie intermédiaire entre les diverses argumentations et conclusions, ni non plus se poser en juge ou en observateur pondéré et dépassionné face aux thèses en présence. Question d’histoire, c’est en historien qu’il faut avant tout examiner le rapport de Pie XII au nazisme et à ses crimes. Le problème n’est donc pas d’établir ce que le pape aurait dû faire et n’a pas fait, ou de soutenir qu’il a fait ce qu’il devait parce qu’il ne pouvait faire autrement, mais de déterminer en premier lieu ce qu’il a fait et pourquoi, à la lumière du contexte dans lequel lui même et ses collaborateurs ont dû agir, selon les idées, les attentes et les jugements qui les ont tour à tour orientés et motivés. En effet, c’est uniquement sur cette base que l’on pourra ensuite formuler un jugement historique, c’est à dire chercher à évaluer les conséquences des attitudes adoptées sur le cours des événements."
(Préface en français de l'ouvrage de G. Miccoli, à lire ici sur le site de l'Institut d'histoire du temps présent)
La lecture de l'ouvrage de G. Miccoli, est donc (faut-il le préciser? Moui, disons-le tout net) vivement recommandée.
Sur ce, je retourne hiberner, ah non, ce sont les cours à préparer, car la rentrée approche... Et puis quand j'aurai le temps, je penserai à ma thèse, n'est-ce pas.
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