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Une envie de livres ?

19/08/2010

Devenir historien (1)

Première précision: que signifie "être historien"? Je vous mets à l'aise tout de suite, non, Lorant Deutsch n'est pas historien, pas plus qu'É. Badinter. Oui, je sais, je vais me faire des ennemis. Je n'ai rien contre Lorant Deutsch. Simplement, il ne suffit pas d'écrire des ouvrages d'histoire pour être historien.

Il n'y a nul orgueil dans ces lignes, rien ne me garantit quand j'écris un article, quand je rédige ma thèse, quand je publierai la grande oeuvre de ma vie (mouarf) de faire oeuvre d'historienne, parce ce que tout dépend du respect des règles du métier d'historien.

Donc il y a des règles.
D'abord il faut des connaissances précises (comme disaient les vieux professeurs, "on ne parle que de ce que l'on sait", raison pour laquelle je n'irai pas écrire un livre sur Fouquet, puis un autre sur Louis XIII, Louis XVI, De Gaulle et Giscard, à raison de livre par an). Un bon livre d'histoire, c'est comme un bon pain, ça demande beaucoup de savoir faire, de temps de travail et de repos. Ne pas savoir reconnaître les bornes de son savoir, publier sur tout, cela a un nom: "polygrapĥe"! Et ça claque comme un coup de fouet sec et nerveux. On peut tout au plus conclure par un "Amen!" C'est une des pires réflexions qui puissent tomber de la bouche des historiens (qui tombait de temps à autre de la bouche mes vieux professeurs... notamment) que je connais et estime. Mais il ne suffit pas d'accumuler des connaissances sur un sujet.

Il faut appliquer d'autres règles, et d'abord respecter un certain savoir-faire (quand je vous parlais de pain...). Pas de méthode absolue, qui garantirait une histoire écrite une fois pour toutes.

Faire de l'histoire ce n'est pas seulement recopier les textes trouvés dans les archives, décrire les objets retrouvés lors de fouilles archéologiques. Il s'agit de redonner aux mots, aux objets leur place dans leur époque.

C'est là qu'interviennent les connaissances. Et l'on pose cette fameuse question: pourquoi? Pourquoi ce témoignage a-t-il été produit à ce moment-là et pas à un autre? Est-il étonnant par rapport aux autres traces de cette époque-là?

Un bon historien doit faire preuve d'esprit critique, il doit prendre du recul, ne pas juger par rapport aux valeurs de l'époque dans laquelle il vit. Il doit toujours chercher à comprendre pourquoi un tel ou tel a agi comme il l'a fait. En sachant qu'aucun document, aucune méthode ne sont des garanties d'atteindre la vérité. Je ne dirai donc pas "il n'y a aucune vérité (y compris celle-là)".
Hahum.

Ensuite pour faire oeuvre d'historien, il faut faire un effort permanent de neutralité, c'est-à-dire se garder de jugement de valeur, de jugement moral (bien, pas bien).

Enfin, un historien peut écrire des ouvrages de "valorisation de la recherche" (d'autres diraient "vulgarisation") pour mettre le savoir à la portée de tous. Mais un historien doit faire ce genre de travail en plus de son activité essentielle: faire avancer la connaissance historique, en se frottant aux fouilles, aux archives, aux copies de textes antiques, bref aux sources. On ne peut pas décemment se dire historien et écrire une biographie de telle souverain, de tel grand personnage en compilant les extraits de récits des mémorialistes, sans apports personnel, sans croiser les sources, sans s'interroger sur sa documentation, sans les confronter à ce que l'on sait déjà. Toute référence implicite à des ouvrages existants serait parfaitement fortuite, n'est-ce pas.

Ces règles ne s'improvisent pas. On les apprend au cours d'études faites ici à l'université, là en classe prépa (et surtout après en grande école), ailleurs dans les différentes institutions ouvertes aux étudiants quelque soient leur nom. Que l'on devienne historien en allant uniquement aux archives, en apprenant sur le tas, j'avoue ne pas y croire. Déjà que passer des années à user ses fonds de culotte sur les bancs d'une fac n'est en aucune façon une garantie, alors...

C'est comme si j'avais la prétention de devenir clown en me collant un nez rouge... ça ne ressemblerait à rien.
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9 commentaires:

Marianne Desroziers a dit…

C'est bien parfois de clarifier certaines choses et quand c'est des gens passionnés qui parlent de leur métier c'est toujours enrichissant. Il se trouve que mon frère est étudiant en histoire, prépare l'agrégation en attendant de pouvoir faire sa thèse. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la difficulté à obtenir une aide financière pour faire sa thèse mais c'est un autre sujet. Pour revenir au métier d'historien, il y aura tous les jours de la semaine prochaine sur France Culture (de 9h à 12h30) une série d'émissions intitulée "Fernand Braudel, l'historien monde".

la Souris des archives a dit…

Je souhaite bon courage pour votre frère! L'agrégation (bbrrr) est une véritable épreuve pour les braves...

Pour la difficulté à obtenir un financement, j'avais fait un billet (enfin trois) http://le-gout-des-archives.blogspot.com/2009/11/la-vie-fabuleuse-ou-pas-du-thesard-en.html (attention c'est un peu noir)

Il y aurait beaucoup à faire pour rendre ces années un peu plus vivables...

Merci pour l'émission de France culture, je l'aurais ratée...

d'aïeux et d'ailleurs a dit…

et encore, ça dépend des universités... souvent jusqu'à la licence c'est plutôt de l'ingurgitation, de grands concepts balayés depuis la poliorcétique grecque jusqu'à la question nucléaire pendant la guerre froide. Après... ça devient vachement plus intéressant.

Blog très intéressant, soit dit en passant (pour mon premier commentaire), que je suis attentivement !

la Souris des archives a dit…

Merci! :-)
L'ingurgitation à la manière d'un canard (gavé) ne m'a jamais empêchée, en ce qui me concerne, de savourer. Je ne crois pas avoir eu trop de grands concepts à subir - ou alors j'ai mis du temps à les voir. Mais le souvenir qui reste de professeurs fabuleux...

Cela dit, rien de vaut une année passée entièrement, exclusivement, absolument sur les archives, c'est vrai... :-)

Marianne Desroziers a dit…

En sociolgie également, si on a un peu une "âme de chercheur" c'est à partir du moment où on doit faire son enquête de terrain pour le mémoire que cela devient beaucoup plus intéressant même si j'ai aimé beaucoup de mes cours d'amphi (pas tous, soyons honnête). Les articles que j'ai lu ici sur le quotidien des thésards ne me font pas regretter de ne pas avoir poursuivi ma thèse. Heureusement que la passion et l'humour sauvent tout mais quand même je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a quelque chose qui cloche dans l'enseignement supérieur aujourd'hui.

la Souris des archives a dit…

Marianne: vous aviez commencé une thèse?
Objectivement, j'ai une chance énorme: d'enseigner depuis plusieurs années - même comme contractuelle - dans le supérieur, de faire ce que j'aime avec la recherche, d'avoir eu le temps de découvrir le plaisir d'enseigner.

Simplement comme tout métier il y a des moments moins drôles. Le problème majeur que je vois est la situation de l'éducation nationale dans le secondaire, l'absence de connexion entre secondaire et supérieur. Pour le secondaire, mes années dans le supérieur compteront pour zéro. Mon doctorat pour zéro. Et les dernières réformes aggravent les inégalités entre étudiants (j'en parlerai dans un prochain billet).

Mais j'ai la chance d'avoir un emploi sûr (ou à peu près, si l'on ne connaît pas dans les mois à venir la situation de la Grèce). Quand je vois les petits patrons de PME réduits à la misère en ce moment comme mon mari, les salariés qui sont jetés des très grosses boîtes, je ne suis pas dans une situation si épouvantable. Ce n'est pas un lit de rose, voilà tout (soupir).

Marianne Desroziers a dit…

On est d'accord : faire une thèse ce n'est pas la mine... Me concernant, pas de regret : mon sujet ne m'intéressait pas assez, je n'avais pas d'allocations et puis la sociolgie ce n'était pas mon destin voilà tout : je serais plus à ma place à la tête d'une bibliothèque municipale (c'est la fonction que je serais amenée à occupée si je réussis mon concours). C'est pour mon frère que je m'inquiète : il a tout pour être un excellent chercheur mais ayant raté l'admissibilité de l'agrég' pour un demi point sur 40 et ayant été classé quatrième alors qu'il n'y avait que trois contrat doctoral, il est sur le point de se décourager et de chercher sa voie en dehors de l'université : triste ! c

la Souris des archives a dit…

Si c'est la première fois qu'il passe l'agrég, il faut qu'il persévère (je l'ai passé plus d'une fois, jusqu'à la nausée) au moins encore une fois, même si c'est nerveusement difficile, même si on en a assez du bachotage. Enfin à condition d'avoir moyen de manger. Le Capes peut suffire pour être enseignant chercheur. Et pour le contrat, perséverer et sinon faire comme bien d'autres: la thèse en bossant dans le secondaire. Pas facile, mais faisable, je connais plusieurs thésards dans ce cas. Courage à lui dans tous les cas, le jeu en vaut la chandelle!

Marianne Desroziers a dit…

Merci pour ses encouragements. Il devrait la retenter encore une fois (c'était la première cette année).Je reste persuadée que c'est la carrière qu'il lui faut.