Dans l'avant avant dernier billet, j'évoquais la nécessité d'établir et de conserver de bonnes relations avec son "patron", son directeur de thèse. Certains esprits chagrins en ont peut-être tiré la conclusion habituelle "de tout'façon, à l'université, c'est rien qu'du piston".
Une affaire pourrait apporter des preuves en ce sens. Il y a quelques années, la démission fracassante d'un jeune maître de conférence en sociologie, Xavier Dunezat, fraîchement nommé avait fait du bruit dans Landernau. Dans sa lettre de démission (à lire ici), qui a fait le tour du net, méthodiquement, en cinq chapitres, l'enseignant dressait un tableau accablant des pratiques de recrutement en vigueur. Il dénonçait le "règne du piston", le "désert relationnel" de l'université et le "mépris des étudiants qui transparaît dans l'organisation globale des enseignements... et dans les pratiques professionnelles des enseignants". Il se trouve que ce jeune maître de conférence a été élu parce que devant lui, dans le classement, se trouvaient les deux "poulains" de deux professeurs. Schéma classique, aucun des deux ne voulant céder, c'est le troisième homme qui a été choisi. (Poulain, ainsi nomme t-on celui qui est le candidat favori, pour ses talents en principe, d'un professeur, celui a le plus de chance de gagner au concours. Remarquez, quelques années après avoir été une bête à concours, le mot n'a plus rien de choquant... Hahum...)
(article du Monde, du 16 octobre 2007) La première raison de ma démission est que je n'assume pas la manière dont j'ai été recruté", écrit M. Denuzat. Les procédures de recrutement menées par des "commissions de spécialistes" privilégient "copinage et candidats locaux, issus de l'université qui recrute", explique-t-il. Autre désillusion, les relations entre enseignants. "Couloirs et salles de professeurs vides, (...) bureaux fermés", l'université est selon lui un monstre froid où les "quelques relations socioprofessionnelles qui existent sont profondément structurées par une conflictualité désarmante". Violente est aussi la charge contre les enseignants-chercheurs : ils sont accusés de s'adonner à la "chasse aux cours qui sont en adéquation avec (leurs) thèmes personnels de recherche", de se livrer à une vive "concurrence pour attraper au vol les niveaux intéressants" "faible sérieux en matière de notation ou de suivi d'examen".
Rarissimes sont les universitaires qui quittent un milieu dans lequel ils n'ont pu entrer qu'après de longues années d'études. Plus rares encore sont ceux qui critiquent publiquement ses règles. Récemment, seule la fiction a dépeint ces travers, avec la publication en 2006 de deux romans, Petits crimes contre les humanités (Métailié) de l'universitaire et scénariste de bande dessinée Pierre Christin, et Félicitations du jury de Clarisse Buono (Privé).
A partir de son expérience d'un an, M. Denuzat reconnaît livrer un témoignage "très subjectif, parfois grossier".
L'université, pourrie par le piston? Les choses sont un peu plus variées, pour ne pas dire plus compliquées. Il faut distinguer deux choses: le piston et l'appui mérité et rapporté aux capacités d'un candidat. Le piston se donne indépendamment des qualités et il pose problème. En revanche, sélectionner les meilleurs étudiants, leur donner la possibilité de financer la poursuite de leurs études, de faire leurs publications, bref les aider à traverser la jungle, n'est en rien condamnable ni pernicieux.
Démissionner est absurde. Qu'il y ait du piston, sans doute, mais y en a-t-il plus qu'ailleurs? J'ai des doutes.
Il est certain qu'il ne faut pas s'imaginer que ce sont toujours les meilleurs qui sont choisis. Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas ses chances. C'est là qu'intervient le rôle d'un directeur de recherches, sans parler de son rôle scientifique de pure direction de thèse.
Démissionner est absurde. Qu'il y ait du piston, sans doute, mais y en a-t-il plus qu'ailleurs? J'ai des doutes.
Il est certain qu'il ne faut pas s'imaginer que ce sont toujours les meilleurs qui sont choisis. Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas ses chances. C'est là qu'intervient le rôle d'un directeur de recherches, sans parler de son rôle scientifique de pure direction de thèse.
Avant d'en arriver au piston, dont on peut très bien se passer, il faut simplement faire connaître son travail. Des thèses, il y en a des centaines par an, et même sans ce nombre, il n'est pas évident d'obtenir l'information qu'un tel travaille sur tel sujet. Alors il faut publier. Assez mais pas trop. Donc se tenir aux aguets des annonces de colloques. Calenda est mon ami, mais aussi celui de tas de chercheurs. Sauf qu'au début d'une thèse, on ignore souvent l'existence de Calenda, on ignore autant l'existence de listes de diffusion ("Une liste de diff quoi? C'est quoi ce truc?") thématiques, d'associations d'historiens regroupés par spécialisations, de séminaires bidules ou truc où il peut être bon de pointer son nez. Oser répondre à un appel à contribution, oser participer à un premier colloque (surtout quand on n'y a encore jamais assisté, parce que l'on était encore étudiant dans sa petite fac), savoir par quelles bourses ou quels contrats de travail dans le supérieur financer sa thèse, bref, apprendre le métier, cela ne se fait pas sans maître. Enfin, oser publier l'ouvrage tiré de la thèse, être mis en relation avec telle maison d'édition.
Et puis savoir répondre à l'arrogant qui vous interpelle en plein colloque pour vous poser une question sans intérêt, juste pour se faire mousser et tenter de vous ridiculiser ("Quoi ce p'tit jeune, il ne sait même pas répondre alors que c'est son sujet de recherche?"). Savoir se méfier de tel sinistre personnage, connu pour pillages répétés. Savoir peu à peu les règles sociales, qui ne sont pas évidentes pour tous, surtout si l'on est issu d'un milieu modeste, qui ne vous avait pas préparé à cette carrière.
Faire des vacations, obtenir un contrat dans le supérieur d'un an ou plus, permet de prendre conscience que dans ce genre de métier comme dans tous les autres, tout n'est pas rose. La belle découverte!
Que ce genre de dénonciation soit mérité pour les coupables, mais les autres? Je connais beaucoup de collègues qui ne méritent aucunement de tels portraits. N'empêche que le mal est fait, sur eux comme sur les autres pèsera le soupçon.
À chacun de refuser les voies d'accès douteuses, au moment où elles se présentent et ne pas en profiter pour, après, crier haro sur le système. Et si l'on tient à ce sens moral, rien ne l'empêche de l'appliquer. Si votre collègue du bureau d'à côté est indigne de son poste, selon vous, rien ne vous empêche de soigner malgré tout vos cours année après années, en les retouchant, en travaillant dur pour en créer de nouveaux, en changeant les programmes, en se tenant au courant des nouveautés, en ne lâchant pas la recherche, en encadrant des étudiants de la licence au doctorant en les respectant, en assumant des tâches administratives et scientifiques pour la renommée de l'université.
Il faut quelquefois savoir répondre à des coups bas, s'affirmer, apprendre les règles... Comme partout il y a des moments tendus, des choix à faire entre moralité et immoralité. En se retirant du jeu, on perd le droit de le critiquer et de changer les règles du jeu en étant une exception de plus qui fera de l'université ce qu'elle doit être. Les universitaires ne sont pas des saints, la chose est entendue. Inutile d'en faire des démons.
2 commentaires:
Le plus dur, c'est de se dire que compétition gâche tout. On pense rencontrer à ce niveau des intelligences pures et ô désespoir ! elles sont aussi grises que dans la compétition économique ! Remarquez, il faut bien perdre sa naïveté d'une manière ou d'une autre...
Hélas, l'homme reste homme, et plus se réduisent ses possibilités de médiocrité, plus il est mesquin (j'en sais quelque chose, surtout en ce moment)... Mais il ne faut pas baisser les bras, il ne faut pas laisser la place aux mesquins, Montjoie! Saint Denis! Sus à l'ennemi! ;-)
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