Voici une pépite fine, amusante et pertinente sur le bon usage des colloques, écrit par un littéraire, Robert Mélançon, mais parfaitement applicable au monde des historiens. Trouvée cet après-midi, totalement par hasard (en cherchant autre chose, comme toujours), hasard d'une séance de travail où je suis bloquée à domicile par la grève (et la crainte de transports interminables coincée dans la foule)...
Le texte intégral (à retrouver ici) a été publié sur erudit.orgÀ la fin du Moyen Âge la route de Cantorbéry était jalonnée d'auberges qui attestaient de l'utilité économique des pèlerinages. Aujourd'hui, autour de toute université qui compte, gravitent des agences de voyages créatrices d'emploi. Entre deux offices, il fallait bien se restaurer ; après les communications, il y a toujours quelque banquet, des monuments, des musées, des bars à visiter, des boutiques à écumer, des conversations qui se prolongent sans fin autour d'un verre dans ce loisir infini qu'on ne trouve qu'ailleurs. Mais la paillardise est bien surfaite et relève de la légende, du fantasme ou du recyclage d'un topos éculé sur les moines girovagues: le secret le mieux gardé des colloques, c'est qu'on y cède infiniment moins à la luxure qu'aux autres péchés capitaux.
Et puis, il arrive qu'on y travaille. C'est même la règle comme on le constate à lire les volumes d'actes que le courrier apporte presque au même rythme que les calls for papers. On n'y fait pas de recherche, mais on y livre le résultat de ses travaux et surtout on y écoute attentivement, mais oui, ses collègues présenter le résultat des leurs. On s'y lave de la routine des cours, de la corvée des examens, de l'ennui sans nom des comités et des assemblées: on y retrouve sa dignité de travailleur intellectuel. Je me souviens, lors d'un des premiers colloques auxquels j'aie participé, de la joie d'un spécialiste de littérature néo-latine qui enseignait Dieu sait quoi dans une petite université et qui, m'avait-il confié, pouvait une fois l'an rencontrer ses interlocuteurs pendant quelques jours. Il en revenait ragaillardi, prêt à retrouver pour des mois la solitude du coureur de fond et à poursuivre ses travaux sur Guillaume Budé entre deux cours où il devrait s'en tenir aux rudiments. Il n'aurait pas tenu sans son colloque annuel qui lui permettait de se ressourcer.
Sur ma table se sont accumulés depuis trop longtemps des volumes d'actes dont je devrais rendre compte. Lus à la suite, ils suggèrent une typologie du genre colloque dont on trouvera ici l'esquisse. Ils rassemblent quatre cent vingt-neuf communications en vingt-six recueils, auxquelles s'ajoutent six avant-propos, six préfaces, cinq introductions, un liminaire, une ouverture, un texte de préliminaires, un texte de présentation, cinq conclusions, deux synthèses, une postface, cinq index, trois bibliographies, une biographie, une chronologie, un document préparatoire, un lexique, une table ronde, une traduction anglaise de L'Ode à Michel de L'Hospital de Ronsard ; en outre, quatre volumes reproduisent les discussions. À moins de leur ajouter un tome de commentaires, il n'est pas question d'en proposer ici le compte rendu détaillé.
On ne leur en fera pas grief.
La fonction rituelle des colloques se constate aussi au retour des mêmes noms : quelques champions de la communication se retrouvent presque partout; la plupart sont moins répandus mais réapparaissent régulièrement aux tables des matières. Une série de volumes d'actes offrirait donc ample matière à une sociologie de l'université. On y reconstitue sans mal des réseaux, des systèmes d'échange, des circuits privilégiés. Faut-il parler de «renvois d'ascenseur»? Ce serait facile et, surtout, faux. Le milieu de la recherche universitaire est depuis longtemps international ; actuellement, c'est l'université elle-même qui devient internationale dans toutes ses fonctions -- y compris dans l'enseignement comme en témoigne la circulation de plus en plus fréquente des étudiants d'une université à l'autre en cours d'études.
Les réseaux des colloques fraient la voie à cette université sans frontières de l'avenir dont chaque institution particulière, chaque campus, ne constituera qu'une épiphanie.
Parallèlement, dans chaque société, l'université voit son rôle réduit au nom de prétendus impératifs fonctionnels: rentabiliser des investissements énormes, former la main-d'oeuvre spécialisée que la société technologique réclame. Gouvernements, milieux des affaires, médias se retrouvent pour une fois d'accord: les universitaires n'ont pas le sens des réalités; leur poursuite désintéressée de la connaissance et leurs idéaux d'éducation libérale ou humaniste appartiennent à un stade dépassé de l'histoire. Les colloques permettent aux universitaires girovaques de respirer un air moins confiné.
Semblables en cela aux moines médiévaux qui allaient d'un scriptorium à l'autre à la recherche de textes, les « colloquants » -- risquons ce néologisme comme un clin d'oeil -- maintiennent aujourd'hui, l'idéal d'une république des lettres qui, sans eux, ne serait plus qu'un vague souvenir. Cela vaut bien quelques rituels.
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