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Une envie de livres ?

08/11/2009

La vie fabuleuse (ou pas) du thésard en sciences humaines (1)

En ce moment, je suis fatiguée. Pas seulement fatiguée physiquement, merci j'ai à peu près bien dormi. Il s'agit plutôt d'une fatigue liée à l'absence de divertissement au sens pascalien du terme. Le travail six jour sur sept y est probablement pour beaucoup. La tâche répétitive qui m'occupe en ce moment aussi.

Je rêve d'un samedi à faire le ménage, bricoler, cuisiner, bouquiner, ne rien faire. J'ai entendu l'annonce de la mort de Lévi-Strauss. J'ai réussi à caser l'écoute partielle - inachevée, trop fatiguée ce soir-là, je ne comprenais plus rien - d'un grand historien, Jean Delumeau, qui parlait il y a près de quinze jours, des peurs collectives en Occident, dans l'émission de J.-N. Jeanneney. J'ai raté des tas de ça peut pas faire de mal, et j'en pleurerais. Mon emploi est tellement serré que j'ai même beaucoup de mal à trouver dans une pauvre semaine juste une demie-heure pour passer en coup de vent à la bibliothèque municipale afin d'y emprunter un ou deux bons romans, histoire d'occuper mes trajets, enfin ceux où je m'accorde le droit de ne pas travailler.

Fatiguée, bougon, pessimiste. Une année à ce rythme-là, je ne vais pas tenir. Ou alors, je ne vois pas comment. Et là dans le métro qui m'emportait vers la BNF, je maudissais ces traditions bien institutionnalisées qui veulent qu'une thèse se fasse en trois ans. Après zou, demande de dérogation à chaque réinscription. À l'extrême rigueur, en quatre ou cinq quand on a la chance d'avoir un CDD dans
une fac. Une thèse de sciences humaines, c'est volumineux, c'est long aussi.

Trois ans à temps plein, hummm, plutôt quatre ou cinq. Alors, quand on ne peut pas travailler à temps plein dessus, ça devient quatre, cinq années ou plus de cadences infernales. Parce que, détail fâcheux, il faut bien manger. Et payer ses impôts, ses assurances, s'habiller (un peu), payer un loyer et des tickets
de transports etc. Or, soit on reste dans le secondaire, soit on dégote un contrat dans une université.

En collège ou en lycée, il ne faut pas compter avancer vite. Les cours dévorent tout le temps la première année au moins. Voire encore un peu les années suivantes. Si on demande un congé pour formation, on ne l'obtient qu'après plusieurs années d'exercice et moults demandes annuelles. Alors on demande un temps partiel. Et l'on se serre la ceinture. Parce que si vos archives vous obligent à vivre en région parisienne (dans laquelle vous avez été muté comme tant de jeunes enseignants, sans que l'on tienne compte de vos voeux, « vous comprenez, vous êtes si nombreux et là, personne ne veut y aller » « moi non plus, ma brave dame, moi non plus, je ne voulais pas y aller dans votre collège ZEP ambition réussite ») il faut payer votre cage à lapin les yeux de la tête; pire encore, vous êtes au fin fond de la Picardie, ou dans la région de Dreux, là où non plus très peu d'enseignants pourvu de points souhaitent rester, il faut en plus débourser les aller-retour jusqu'à vos archives chéries, squatter le temps des vacances de la Toussaint/Noël/Printemps/ le canapé du copain de la fille dont le père est un des meilleurs amis de vos parents, ou le lit du copain du cousin parisien que vous ne voyez jamais sauf dans les réunions de famille décennales.

À ce jeu-là, une thèse se fait en dix ans environ. Autant dire que votre bibliographie, au bout des dix ans, vous pouvez vous la retaper, en rajoutant les actes de tous les colloques que vous avez manqués, parce que l'on ne peut pas être devant une classe de 6e et en même temps assis dans un amphithéâtre obscur et minuscule, aux places comptées, où d'éminents spécialistes, quelquefois mortellement ennuyeux, viennent vous expliquer en allemand, polonais, espagnol et italien, tout ce que vous ignorez de l'historiographie allemande, polonaise, espagnole ou italienne.

Comment, vos cours d'allemand, polonais, espagnol, italien sont loins ? Et les formations de langues de votre école doctorale, à quoi servent-elles ? Comment ? À rien ?! Non, à rien. Parce que soit vous êtes devant vos élèves et quand vous avez le temps, devant vos archives et vos bouquins, soit vous retravaillez votre allemand et votre espagnol. Enfin, quand le cours fait à la demande de l'école doctorale vous permet effectivement d'améliorer votre niveau dans la langue de votre choix. Il m'est arrivé de devoir subir un semestre de cours d'analyse linguistique anglaise rechangé à l'arrache en cours d'anglais tout court, parce que l'école doctorale avait négligé de prévenir l'enseignante qu'elle aurait affaire à des non-spécialistes, qui seraient là d'abord pour améliorer leur vocabulaire, reprendre quelques bases, comprendre les intervenants d'un colloque, savoir parler à un colloque sans faire pouffer de rire les auditeurs, comprendre les questions qu'une éminente spécialiste américaine ou suédoise fait à la suite de votre communication, et lire un bouquin de huit cent pages sans se décourager. Et si au lieu de ça, on nous avait délivré des cartes d'accès pour des laboratoires de langue, aux horaires élargis, ça n'aurait pas été aussi bien ? Et ne me dites pas qu'au lieu de râler j'aurais dû participer aux conseils universitaires comme représentant(e) des doctorants, je l'ai fait. Bouger le mamouth universitaire, non, mais vous voulez rire... Je me souviens m'être cassé le nez sur la simple constitution d'une liste des addresses électroniques des doctorants, pour faciliter les communications entre lesdits doctorants.
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