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Une envie de livres ?

03/10/2010

Mon patron, mon hypothétique carrière et moi (Devenir historien, 6)

Tandis qu'en ce moment j'attends de pouvoir retrouver le temps de me replonger dans la thèse, avec le même désir que l'assoiffé dans le désert à la recherche de son oasis, l'esprit continue à trotter sur les stratégies pour réussir la fin de thèse. Parmi les objectifs, il y a boucler la thèse à temps (et là, ça s'annonce complexe mais je n'en peux plus, je veux m'en débarrasser de cette thèse! Même si j'aime toujours autant mon sujet, ce n'est pas le problème). Les meilleurs choses ont simplement une fin, pour pouvoir avancer. 

Je ne peux pas non plus m'empêcher de songer à la manière d'éviter de cramer mes chances de nouer de bonnes relations avec les collègues là où je suis en poste. Cette pensée hautement philosophique m'est venue l'autre jour en jouant au push box le temps d'un trajet. Par exemple, le push box est un jeu qui devrait être conseillé aux étudiants. Celui qui ne se présente pas à une convocation pour expliquer une absence devrait y jouer. Il comprendrait vite que se créer des impasses n'est pas vraiment le meilleur moyen de sortir avec un diplôme en poche. Et qu'un professeur pas content peut représenter le même genre d'obstacle qu'un cube placé bêtement juste au mauvais endroit.

Nouer de bonnes relations, oui, mais peut-être pas en écrivant une communication de complaisance, raccordé Zeus sait comment, au thème du colloque auquel on m'a suggéré de participer. Ni au prix d'organiser un colloque avec un labo dont je ne fais pas partie. Quoique débaucher des thésards soit manifestement un sport courant. "Z'avez pas de co-tutelle pour votre thèse? Ah... Pourtant... ça pourrait être bien pour vous". Là, on pense in petto "c'est bon, c'est bon, t'affole pas, pépère, si tu crois que je ne vois pas où tu veux en venir. Cause toujours. On ne m'achète pas (encore) moi, monsieur". Quant à aller de vous-même, à la moindre contrariété, démarcher un autre professeur, comment dire... ça relève du suicide. Du genre, vouloir traverser le Sahara seul, avec ses petits mollets. Il y en a qui ont essayé, notez...

Si jamais on voit à ce moment-là son directeur de recherche, il y a des chances pour que celui-ci lève un sourcil "Souhaitez-vous continuer votre thèse sous la direction de M. Machin (le rival qui vous a démarché)?" Ooooh la question piège. Ton neutre, question apparemment innocente. Mais il vaut mieux faire attention à sa réponse. L'université est un lieu où les liens de fidélité ne font pas seulement objets de cours pour expliquer les relations entre le roi et la noblesse à l'époque moderne, si vous voyez ce que je veux dire... Abandonner son "patron" (directeur de recherche) est très mal vu. Même si le patron en question laisse à désirer. D'où l'importance de bien se renseigner sur l'intégrité et les qualités professionnelles du personnage avant de s'engager avec lui (une fréquentation assidue de l'asso des étudiants d'histoire du département peut être très très utile, à cet effet). L'abandonner est un excellent moyen pour se fermer définitivement bien des portes. Cela fait partie des règles de loyauté implicites dans le métier. Aller voir ailleurs, cela revient à tout juste faire de votre thèse un escabeau commode pour attraper les pots de confiture, en haut des étagères dans la cuisine. Le jour où le mien de patron m'a posé la question, j'ai failli mal le prendre. En même temps, je lui dois un peu trop pour en avoir envie. Non, mais l'abandonner et puis quoi encore?! Kkkksss...

L'idéal, c'est choisir un patron qui vous a vu progresser depuis le début de vos études, il vous connaît, avec vos forces, vos faiblesses, et peut adapter sa pédagogie en fonction. Mais il faut qu'il soit loyal, et qu'il soit prêt à vous soutenir moralement, notamment pendant les concours. Prof et psy sont des métiers parfois proches... Aller chercher la "star"dans une autre université est loin d'être toujours une bonne idée. Parce qu'il y a d'excellents professeurs partout et parce que l'on sait ce que l'on laisse, moins ce que l'on trouve. Et je ne connais aucun professeur qui n'a pas ses réseaux, suffisamment développés pour lancer des doctorants dans le "milieu". La "star" qui a quarante thésards et pas un quart d'heure pour vous, ce n'est pas qu'une légende. Choisir à l'inverse un professeur "juste parce que ses cours magistraux en licence, c'était trop d'la balle" ce n'est pas forcément non plus une excellente idée. J'en ai vu tomber sur  des professeurs excellents mais à la déontologie aussi variable que le thermomètre en Bretagne. Et se retrouver entre thésards à des soirées "défoulement psy anti-patron" où les victimes du pillage du vénéré patron se racontaient leurs malheurs en les tentant de les noyer dans le pinard et la tartine de rillettes.

L'aventure avec un directeur de recherches se rapproche quelquefois du mariage: c'est pour le meilleur... et parfois aussi pour le pire. Dans tous les cas, on ne se lie pas à un directeur à l'aveugle.

Dans l'immédiat, le meilleur moyen de boucler ma thèse, c'est quand même d'arrêter de me poser des questions dans tous les sens, pour terminer mes cours et m'y remettre (à la thèse)... Vous ne m'en voudrez pas si j'y retourne?
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27/09/2010

"Je n'ai pas eu le temps"

Tranquille, l'étudiant ne s'étend pas en explication. Il ne rougit même pas, ne se tortille pas sur sa chaise, au dernier rang. Non. Il n'a pas eu le temps. Donc il n'a pas fait le travail demandé. 

Je suis chargée, comme beaucoup d'enseignants du supérieur, au moins en histoire,  de travaux dirigés. Durant ces séances, on demande aux étudiants de passer au tableau pour présenter soit une dissertation soit un commentaire de document à l'oral. Le travail préparatoire a été fait à la maison, le sujet donné en début de semestre, soit au moins une semaine avant.

En quelques années d'enseignement, j'ai eu à peu près tout comme argument pour justifier un travail mal fait ou après coup, une absence le jour J : "j'étais malade", "ma grand-mère est décédée", "je n'ai fait qu'une introduction et un plan parce que je ne savais pas comment trop faire", "je n'ai pas réussi à faire grand chose, madame, parce que je n'ai pas trouvé de livre" (là-dedans, du vrai, du faux, il faut trier, sonder les reins et les coeurs, essayer de discerner le menteur et le sincère) ou bien l'absence pure et simple. Parce que les étudiants n'ont pas envie de passer à l'oral, souvent, simplement.

Le coup de l'absence juste parce que l'étudiant n'a pas envie de passer à l'oral, c'est simple, ça m'énerve. Parce que je déteste les lâches. Personne, à moins d'avoir un grain, n'aime passer devant les autres pour être observé, scruté, critiqué. Ce n'est pas agréable mais c'est nécessaire. Ça permet d'avoir l'air moins idiot quand au cours de sa vie, arrive le moment de prendre la parole devant les autres. Et tout bêtement, ça sert aussi à subir un oral, toujours utile de savoir quoi dire, comment se tenir lors d'un recrutement. Bref, cela revient à savoir assumer des obligations d'adulte responsable. 

Mais l'argument simple, froid, presque détaché "Je n'ai pas eu le temps" et c'est tout, je ne me souviens pas l'avoir déjà eu. J'en suis restée abasourdie. Pas longtemps, parce que mon mauvais caractère m'a fait voir rouge très vite. Pas la peine d'élever la voix pour autant.

Je me demande si ce n'est pas un fait nouveau. J'ai peut-être un esprit parfois négatif, mais jamais je n'aurais osé dire tranquillement "Je n'ai pas eu le temps". Je serais venu éventuellement le dire à l'enseignant, au début de la séance, rouge de confusion, si une catastrophe m'avait empêché pendant toute la semaine précédente de faire mon travail. J'aurais travaillé la nuit, s'il l'avait fallu, pour être prête à l'heure dite. Je n'ai pas non plus souvenir qu'aucun camarade ait un jour déclaré cela, et je ne suis pas si vieille. 

À se demander si certains jeunes d'environ 18 ans ont aujourd'hui intégré ce que signifiaient les mots "obligation", "devoir", "rendez-vous", "convocation". Je les avais quand ils étaient au collège au début de ma carrière, eux ou ceux de leur génération. Ils ne me sont pas inconnus. Mais quelque chose m'a échappé dans leur évolution. 

Qu'est-ce que j'adorerais me planter devant les étudiants et leur déclarer "Au fait, je n'ai pas eu le temps de préparer  mes cours, j'avais d'autres impératifs cette semaine. Hein, vous avez un examen à la fin du semestre, et alors?"


Dire qu'en ce moment, la thèse est rangée, je passe mon temps à préparer les cours, les donner, les préparer. Là, j'ai pris le temps d'un billet, j'ai royalement une semaine d'avance. J'ai dit un jour que j'aimais enseigner, moi ? Ah oui. À cet instant-là de ce TD-là, un petit peu moins. Ce ne sont que quelques étudiants. Espérons qu'ils resteront marginaux.
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20/09/2010

Trafic de reliques

Petit message programmé pour vous faire partager ceci (qui m'a bien fait rire, j'en rêvais, un collègue l'a fait): une blague d'historien drôle sur le culte des reliques... (sur le blog http://krommlech.cowblog.fr/)



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18/09/2010

C'est l'histoire d'une souris qui boit la tasse



- STOP - Souris qui patauge dans le grand bain - STOP - trop de cours à préparer - STOP - risque de noyade élevé - STOP - trop de trucs sérieux à faire - STOP - Vous oublie pas - STOP - Revient dès que possible - STOP -



Souriez, c'est la rentrée! Enfin, c'était mais bref, un emploi du temps connu à la dernière minute, de tas de cours pointus à faire, bref, plus le temps de rien, même pas de rédiger (la thèse). 

En en plus, c'est la période que choisit la BnF pour sa fermeture annuelle, c'est la misère. 

Si vous voyez dans les couloirs une souris en train de déménager des piles de bouquins, il y a des chances que ce soit moi. Surtout si la souris en question est trempée comme une soupe, comme si elle sortait à peine du grand bain.

En attendant, je vous propose de réécouter une émission que j'ai énormément appréciée, sur là-bas.org, le site de l'émission de Daniel Mermet (diffusée sur France Inter) : il s'agit de l'émission "Et si on fermait la bourse" avec comme invité Frédéric Lordon, économiste, directeur de recherches au CNRS. 

Cela fait du bien d'entendre des économistes faire la différence entre les entreprises non cotées en bourse - et qui, par conséquent, ne sont pas obligées de viser toujours plus de rentabilité au mépris des hommes - et les entreprises cotées, pressurées comme des citrons avant d'être jetées à la poubelle, avec leurs salariés. Cela fait du bien d'entendre qu'il n'y a pas d'un côté les méchants - banquiers et patrons - et de l'autre les victimes - pauvres gagne-petits employés et épargnants en même temps. 

Bonne écoute! Ne m'en voulez pas, mais j'ai encore trois ou quatre cours  et TD à terminer...
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09/09/2010

On n'arrête pas le progrès

J'aurais pu intituler aussi ce billet "Nous vivons une époque fabuleuse". J'explique. Pendant des années quand je m'inscrivais à l'université, c'était en allant chercher à la dite université un dossier en carton épais, qu'il fallait remplir soigneusement, prendre rendez-vous pour l'inscription informatique de notre dossier et payer les frais.

L'année dernière, changement et grand b**rdel: passage à l'inscription totalement informatique. Avec un site internet paramétré par des informaticiens même pas fichus d'utiliser des ports d'accès standard. Ça commençait bien. Ensuite, le joyeux b**rdel susdit: fallait être doué pour s'y retrouver entre toutes les pièces à fournir, dont la liste était éclatée en plusieurs pages. Et s'il manquait une page, PAS UN ordinateur avec connexion internet pour pouvoir sur place, à l'université, à l'arrache, compléter en ligne la page manquante.

Cette année, conséquence sans doute des mésaventures de l'année dernière: retour au dossier imprimé à remplir. Oui mais. Cette année, non seulement c'est aux étudiants de compléter leur dossier en ligne mais cette fois, de l'imprimer, coller un photographie pour l'envoyer par la poste.

Si ça, ce n'est pas pour économiser à l'université les frais des dossiers imprimés qui autrefois, étaient fournis par l'administration... Tout ça, pour ça.




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08/09/2010

Petit guide bibliographique de survie en sociologie

Voici quelque chose de très précieux: une bibliographie de survie à l'usage des curieux de sociologie. Vous le savez sans doute, au XXe siècle, les historiens se sont ouverts aux sciences, à toutes les sciences, nouant des liens privilégiés avec la sociologie. Sur les bancs des facultés d'histoire, étudiants, nous avons souvent fait de la sociologie comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. Je ne connais pas encore de faculté d'histoire qui propose des cours d'initiation à la sociologie, pourtant. Voilà qui est réparé avec ce petit guide bibliographique que l'on doit à une jeune bibliothécaire, Marianne, de formation sociologue et à retrouver sur son blog, le Pandémonium littéraire. Bonne lecture!
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07/09/2010

La Brève histoire du Monde de Gombrich.


Si l'on a fait de près ou de loin un peu d'histoire de l'art, on connaît l'ouvrage de E. Gombricht, que dis-je, cette énorme référence synthétique, son Histoire de l'art. Mais il est aussi l'auteur d'un petit ouvrage (300 pages, 15 euros) parfait pour offrir à Noël à des adolescents un peu curieux, une Brève histoire du monde. On pourrait lui reprocher ce qui fait à mon avis sa principale qualité: ce récit de l'histoire du monde de la préhistoire à la seconde guerre mondiale, qui donne un souffle fabuleux à ce petit livre, qui le fait dévorer pour peu que l'on aime un peu l'histoire. Cela pourrait être le récit d'un grand frère, ou d'un grand-père. Pas de très longues explications, d'hypothèses, de longues séries chiffrées à l'appui, ni de sources ou de notes en bas de page, à la manière d'un ouvrage d'historien. Ce n'est pas le but. Il s'agit de faire découvrir et faire aimer la trame de l'histoire mondiale à des enfants et non de tout expliquer. Et le pari est tenu, si j'en crois les enfants qui l'ont reçu en cadeau dans mon entourage

Extrait de la quatrième de couverture

L'histoire de l'humanité racontée en quelque trois cents pages ? Aussi audacieux que cela puisse paraître, c'est le pari que s'est lancé Ernst Gombrich, et qu'il a relevé avec brio. Il choisit de tutoyer ses lecteurs, tel un grand-frère qui s'adresserait à ses cadets et, considérant que ceux-ci savent réfléchir par eux-mêmes, il ne les encombre pas d'explications simplistes. Il leur présente les personnages historiques emblématiques de leur temps et raconte les faits dans leur continuité, comme s'il ne s'arrêtait pas de parler, insufflant au récit un sens du rapprochement et de la contemporanéité des événements. Un ouvrage formidable pour apprendre l'Histoire sans en avoir l'air.


Vous trouverez ici un autre avis sur cet ouvrage (blogspot Oisivetés, billet du 4 mars 2007).


Voici quelques mots extraits du premier chapitre:

"Toutes les histoires commencent par "Il était une fois". Notre Histoire ne parle donc que de ce qui a été. Te souviens-tu? Il était une fois où tu étais petit (...) Avant d'avoir été ce petit enfant, tu étais un nourrisson. De cela tu ne peux te souvenir et pourtant tu le sais (...) on pourrait continuer ainsi à remonter toujours plus dans le temps (...) Mais le temps de lire ce message n'a duré qu'un bref instant. Car notre lumière descend de plus en plus vite. 1000 ans, 2000 ans, 5000 ans, 10 000 ans... En ce temps-là il y avait déjà des enfants qui aimaient les bonnes choses, mais ces enfants ne savaient pas écrire 20 000, 50 000 ans (...) Avant l'existence des montagnes, il y avait des animaux très différents de ceux d'aujourd'hui. Ils étaient gigantesques et ressemblaient à des dragons. Comment le savons-nous? On trouve parfois leurs os, profondément enfouis dans le sol. Par exemple au Musée d'histoire naturelle de Vienne (en Autriche), tu peux voir un diplodocus. Un nom bien étrange que celui de diplodocus. Mais l'animal est bien plus étranger encore! Il n'aurait pu tenir dans une pièce de ta maison, ni même dans deux."


Un autre extrait, tiré des chapitres consacrés au Moyen-Âge:

23. Des chevaliers chevaleresques.

"Tu as sûrement déjà entendu parler des chevaliers au temps de la chevalerie. Peut-être as-tu aussi lu des livres dans lesquels il est beaucoup question d'armures et d'écuyers, de panaches et de nobles coursiers, d'armoiries chamarrées et de châteaux forts, de duels et de jeux chevaleresques au cours desquels les femmes attribuaient les récompenses, de voyages aventureux et de châtelaines délaissées, de chanteurs ambulants (ménestrels et troubadours) et de départs vers la Terre sainte. Le plus beau est que tout cela a réellement existé. Cette évocation empreinte d'un certain romantisme n'est pas pure invention. Il fut une fois un monde où tout n'était que couleur et aventure, où les hommes prenaient plaisir à participer à un jeu étranger et néanmoins grandiose de la chevalerie, un jeu qui souvent était très sérieux.

Mais quand y eut-il des chevaliers et que s'est-il passé?

chevalier signifie en fait cavalier, et c'est ainsi que commença la chevalerie. Celui qui pouvait s'offrir un beau cheval de combat pour partir à la guerre était chevalier..."
Cet ouvrage peut également être lu à des enfants entre 7 et 11 ans, pour partager le plaisir du récit de l'histoire.

Bonne lecture!
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02/09/2010

C'est la rentrée! Des profs et des syndicats...

Je crois que je vais m'énerver.

Si, si.


Oui, non, en fait, je suis déjà énervée. Vous le savez, je suis France-Inter addict. Enfin, sauf Mezrahi, faut pas exagérer non plus. Mais le tambourinage fait autour de la rentrée des jeunes enseignants sans-formation-IUFM-les-pôv'-tits-chats a tendance à me vriller les nerfs.
Soyons clairs, je ne suis pas du tout un ardent défenseur de la dernière réforme de l'éducation nationale, relative au recrutement et à la formation des enseignants.

Depuis hier, les journalistes nous répètent que ces jeunes enseignants sont lâchés devant les classes sans formation préalable sur la façon de tenir une classe ou la manière de préparer un cours. Tout en proposant des témoignage de jeunes lauréats des concours, qui disent avoir eu une journée ou deux de formation avant la rentrée. Premier problème.

Ce n'est franchement pas pour défendre Luc Châtel que je rappellerai ceci: en ce qui me concerne - pourvu que mon cas ne soit pas une généralité, toutefois j'attends des exemples contraires datant des années 2000-2010 - je n'ai eu AUCUNE séance avant le grand saut de la première heure du premier jour d'enseignement. Tout au plus une longue journée de pré-rentrée déjà mortellement ennuyeuse à visiter le bahut. Ma conseillère pédagogique m'a accordé en tout et pour tout une demi-heure en fin d'après-midi avant de filer chercher ses enfants à l'école d'à côté. Il en avait été question avec nos fabuleux formateurs IUFM - prenez le fabuleux pour ce qu'il est, peu flatteur - mais voyez-vous, leur réponse avait été: "Oui, mais non, ce n'est pas possible, il faudrait nous payer nos interventions devant vous en août, et là, comptablement blablabla... ça ne passera pas". Ben voyons.

Ces jeunes enseignants ont donc de la chance de ce point de vue-là.

Après, deuxième problème : le nombre d'heures. Désormais il s'élève à un temps plein (18h) au lieu du tiers temps que ceux de ma génération ont dû faire. Remarquez, ce tiers temps a eu un avantage: me permettre de faire mon DEA en même temps. Je vais me répéter, mais je n'ai jamais fait autant de progrès qu'à partir du moment où j'ai commencé mon premier plein temps. Parce que là, plus moyen de bidouiller, de passer trop de temps sur la préparation. Plus moyen de dépasser le temps imparti à une séance avec une classe d'un niveau quand vous devez répéter ce cours deux ou trois fois. Si vous vous arrêtez à des endroits différents, ça va être raide la semaine d'après de reprendre le cours à trois endroits différents. Donc on utilise des sous-chapitres accordéons que l'on ajuste en fonction du temps. Le problème n'est pas de demander à un jeune enseignant de préparer deux cours pour, par exemple trois classes de 6e et trois classes de 5e. Ça, c'est faisable. Le problème est de mettre dans les pattes d'un jeune enseignant cinq niveaux différents: 6e, 5e, 4e, seconde, terminale. Je ne conçois pas que les collègues n'aient pas pu lui laisser plusieurs classes de seulement deux niveaux. Cela veut dire que les collègues établis dans le bahut ont exigé tel emploi du temps et que le petit nouveau a pris les miettes. Et là, ça pose problème. Mais il est facile de coller la faute sur le dos du ministre. Il est fait pour ça dans l'éducation nationale, et il a le profil idéal, déjà quelques gaffes en stock, c'est parfait pour servir de cible.

Le détail que je ne comprends pas: pourquoi y a-t-il pénurie manifeste de tuteurs? Question naïve. Bah oui, il y avait bien des tuteurs, des conseillers pédagogiques, des enseignants de l'IUFM en nombre égal l'année dernière. Ils sont tous partis à la retraite? Ou bien leur nouveau statut est moins intéressant? Enfin il y a un truc.
Quant à regretter qu'il n'y ait plus de conseiller pédagogique, mouarf, la bonne blague. La mienne s'est employée à me dire que je ne savais pas faire cours, que je n'avais pas de présence en classe, que je n'étais pas faite pour ci et ça. Pour finir, tel le torero quand il s'est bien amusé avec sa victime, par me planter le couteau entre les épaules devant l'épreuve finale où était présent le tuteur envoyé par l'IUFM. J'ai traîné cette première année comme un boulet, je ne vois pas ce qu'elle m'a apporté. À part la perte du peu de confiance en moi que j'avais.

Troisième problème, désormais, ô scandale, les jeunes enseignants devront se former en sus des heures de cours. Que cela plaise ou pas, ça me semble une question de bon sens. Il est anormal de voir des classes sans professeurs parce que les titulaires sont en formation. Ou sans professeur parce que le titulaire est membre du jury du concours de manchin-bidule, histoire d'arrondir ses fins de mois et de changer le train-train quotidien en faisant avancer sa carrière. Au point que les derniers mois, quand j'étais stagiaire, j'ai vu les 6e de ma conseillère pédago compter leurs heures d'histoire-géo sur les doigts d'une seule main. Et les cours restants de cette chère conseillère, se transformer, ô ironie, en cours magistraux. Sans rire. Le problème une fois de plus est que l'on passe d'un extrême à l'autre: une formation lourde et inutile à trop peu de formation, un tiers temps insuffisant à un plein temps souvent mal fait pour une première année.


Mais bien sûr, mon cas est isolé et je n'ai vraiment pas eu de chance (je laisse la liberté aux lecteurs de se bercer de cette illusion), non, non, mon histoire n'est pas du tout représentative. Même que je suis une vendue du ministère (mouarf. Là je me roule par terre de rire).

J'aimerai que les journalistes de France Inter manifestent globalement le même esprit critique à propos des messages de propagande gouvernementale relatifs aux aides de l'État aux entreprises. Par exemple qu'ils refusent systématiquement de les diffuser. Et même que les chroniqueurs économiques comme Ph. Lefebure comprennent enfin que la situation supposée florissante des plus grandes entreprises du CAC-40 ne reflète en rien la situation du réseau de PME. Que m'importe de savoir que les grands groupes sont florissants? OK, merci de l'information, et alors? Vu que c'est une poignée de de PME qui assure l'écrasante majorité des créations d'emplois et non les grands groupes. C'est d'autant plus grave que la majorité des employés ne fait pas la différence, un patron est un patron, point. Il y a des mots malheureux à éviter comme "Parce que les entreprises regorgent d'argent, donc." (émission du 31/12/2010). Attiser les haines, voilà un bel objectif.

M'enfin, au train où vont les choses, je vous parie mon petit morceau de gruyère quotidien (et ce n'est malheureusement pas une blague) qu'avec le crash d'une foule de PME dans les mois à venir, ça ne durera pas. Paraît que l'on est économiquement en haut de la troisième barre du W qui caractérise les crises économiques. Convaincre les syndicats les plus hystériques, s'il en était besoin, que les patrons sont pétés de thunes, c'est sûr, c'est la seule chose à faire alors que l'on attend de grosses manifestations contre la réforme des retraites.



S'énerver, c'est comme boire, ça permet d'oublier l'angoisse pendant quelques minutes. Et c'est moins toxique que l'alcool.

Quoique.
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29/08/2010

Devenir historien (5)

L'histoire, une passion. C'est aussi ce qu'expliquait Lucien Febvre dans le même article que je citais ces derniers jours.

« J'aime l'histoire. Si je ne l'aimais pas, je ne serais pas historien. De sa vie faire deux parts; donner l'une au métier, expédié sans amour; réserver l'autre à la satisfaction de ses besoins profonds : voilà qui est abominable, quand le métier qu'on a choisi est un métier d'intelligence. J'aime l'histoire – et c'est pour cela que je suis heureux de venir vous parler, aujourd'hui, de ce que j'aime. (...)

Article à retrouver en ligne sur persee.fr, article "Lucien Febvre et l'histoire"
Fernand Braudel, publié dans la revue Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1957, volume 12, numéro 2, pp. 177-182.

Il est inutile de le nier. Si l'historien ne se borne pas à l'anecdote, il aime l'anecdote, mais ne se contente pas de cela. Pas folle, j'aime comme tout le monde les lettres de la Palatine et les méchancetés de Saint-Simon. Je ris de voir la Grande Mademoiselle raconter comment, un jour, près de la frontière et des champs de bataille, elle se retrouva embourbée, tenant la traîne de la reine Marie-Thérèse ou plutôt la tirant en arrière en manquant de tomber. On imagine les dentelles et les soieries dans la boue, ces belles dames enfoncées jusqu'aux genoux et on rit. Mais pas seulement.

Quand une émission estivale, celle de S. Bern, s'attarde longuement sur les goûts sexuels de l'impératrice de Russie, Catherine II, on soupire. Non pas parce que c'est inintéressant. D'une certaine façon c'est passionnant. En entendant ce genre de choses, il faut avoir aussitôt le réflexe de se demander:
"N'est-ce pas nouveau qu'une femme de pouvoir assume en plein époque moderne (XVIe-XVIIIe s.) la recherche du plaisir plutôt que la chasteté et la procréation?"

Car le plaisir sexuel ne semble pas l'attribut des souveraines. L'anecdote du bac de Neuilly est révélatrice: en 1606 Henri IV, Marie de Médicis et la Cour prennent le bac de Neuilly pour traverser la Seine, comme d'habitude. Mais cette fois-là, le bac bascule, tout ce joli monde tombe à l'eau. La reine manque de se noyer. Elle se raccroche à son chevalier d'honneur, enfin... comment dire...à sa braguette, proéminente, rigide, bref bien pratique pour s'y accrocher dans de telles circonstances. La maîtresse du roi, Henriette d'Entragues, à la langue toujours bien pendue, est absente. Quand on lui raconte ce qui s'est passé, elle s'esclaffe et déclare "Si j'avais été là, j'aurais dit "La reine boit!"". La pauvre Marie de Médicis gagne sa réputation de "balourde" - étiquette gracieuse qu'elle doit également à la maîtresse de son époux - parce qu'il fallut lui expliquer plusieurs fois pourquoi Henriette avait déclaré cela. Comme il n'est pas certain que ce soit de l'eau que la reine était censée avoir bu, d'après la perfide Henriette, on peut en tirer la conclusion suivante: la reine ignorait manifestement certaines pratiques sexuelles, pratiquées en revanche par la maîtresse. Cela fait supposer que la reine est faite pour procréer - les pratiques qui procurent plaisir en ne permettant pas la procréation sont absentes - tandis que la maîtresse est là pour le plaisir du roi. Les maîtresses ne sont donc pas les preuves d'égarement moral des souverains pécheurs, mais un moyen trouvé par quelques-uns afin de compenser leurs obligations conjugales élémentaires: assurer l'avenir dynastique. À confirmer. Ce n'est qu'une hypothèse.

Autre question qui surgit en écoutant ces anecdotes relatives à Catherine II: est-il vraiment anodin que l'on raconte ces histoires au XVIIIe siècle? Il semble que l'impératrice ne cachait pas soigneusement ces détails intimes. Peut-être ces pratiques entraient-elles dans l'élaboration d'un discours de liberté, de pouvoir souverain supérieur aux règles morales? Que sais-je? Hypothèse peut-être fausse, peut-être vérifiable. Mais l'anecdote en soit est inutile si elle ne donne pas lieu à l'analyse qui permet d'aller plus loin que le bout de son nez.

Finalement, on ne range pas ses habitudes d'historiens quand on quitte son bureau. J'ai entendu des historiens dire "Oh non, je ne regarde pas d'émissions historiques le soir, quand je ne travaille plus, je ne veux pas entendre parler d'histoire". Même si la qualité des émissions historiques laisse beaucoup à désirer sur le service public et justifie que l'on n'en regarde pas, un historien qui laisse son métier au bureau semble regrettable. Évidemment, cela peut être un peu lourd à porter pour l'entourage non-historien. Tout dépend comment et combien de fois on commente ce que l'on voit. Au pire on se prend un "Alain Decaux, sors de ce corps". Groumph.
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25/08/2010

Devenir historien (4)

Je vous disais qu'un historien ne s'amuse pas à des reconstitutions. C'est vrai et c'est faux. Personnellement, je suis très intéressée par des reconstitutions comme La robe d'une reine Anne de Clèves. Ce n'est pas de la reconstitution pour le jeu - je vais me faire massacrer par les fanatiques de reconstitution, je le sens - mais pour tester des hypothèses en recherchant les mêmes matériaux, les mêmes techniques au plus précis, non pas pour porter le vêtement mais retrouver des méthodes de fabrication. Et là, c'est fabuleux pour les historiens. Voyez notamment les essais dans ce blog pour fabriquer le jupon.

La reconstitution "historique" en dehors des éléments techniques et matériels - un château, une robe - pose trop de problèmes, plus qu'elle ne peut en résoudre. Il faut pouvoir réunir les conditions, et cela risque de biaiser outre mesure l'expérience. C'est une des raisons pour lesquelles, si la méthode des historiens est scientifique, l'histoire n'est pas une science. C'est ce qu'expliquait Lucien Febvre dans une conférence donnée aux jeunes normaliens (élèves de l'ENS) en 1941:

si je n'ai point parlé de « science » de l'histoire, j'ai parlé « d'étude scientifiquement conduite ». Ces deux mots n'étaient point là pour faire riche. «Scientifiquement conduite », la formule implique deux opérations, celles-là mêmes qui se trouvent à la base de tout travail scientifique moderne : poser des problèmes et formuler des hypothèses. Deux opérations qu'aux hommes de mon âge on dénonçait déjà comme périlleuses entre toutes. Car poser des problèmes, ou formuler des hypothèses, c'était tout simplement trahir. Faire pénétrer dans la cité de l'objectivité le cheval de Troie de la subjectivité"
(Article à retrouver en ligne sur persee.fr, article "Lucien Febvre et l'histoire"
Fernand Braudel, publié dans la revue Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1957, volume 12, numéro 2, pp. 177-182.)


L'historien tâtonne, admet pouvoir se tromper. Il le tire pas le fil de l'histoire comme Ariane, mais observe, essaie de comprendre, en mettant en relation faits constatés et connaissance. Un historien observe le passé avec les lunettes fournies par son époque. L'objectivité parfaite est impossible, autant en être conscient. Mais l'objectivité doit rester l'objectif. Non, comme l'a déclaré lors d'une conférence - pendant laquelle j'ai failli m'étrangler une douzaine de fois- un cardinal français - célèbre pour ses gaffes ou sa tendance à la misogynie, je lui laisse le bénéfice du doute - l'historien ne s'occupe pas à chercher perpétuellement LE document inconnu qui révolutionnera la connaissance, qui établira de nouvelles vérités. Ce n'est pas non plus une course perpétuelle vers une vérité toujours relative. La vérité est, notre connaissance en est relative, nuance. Des acquis sont indéniables, mais la masse à découvrir est assez immense pour permettre toujours la précision de nos connaissances, l'ouverture de nouvelles voies, selon les intérêts de l'époque dans laquelle vit l'historien.

Lui-même proie de passions, l'historien n'est pas neutre et c'est avec ses passions qu'il tente de faire progresser la connaissance historique.
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