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Une envie de livres ?

12/11/2010

Moi, madame, la religion, ça m'emm***

Lorsque l'on accueille les étudiants en première année, dans l'ensemble, passés les premiers mois, ils comprennent assez bien que faire de l'histoire, c'est refuser d'adopter un parti pris, ou plutôt cela implique de se glisser tantôt dans la peau de l'un, tantôt dans la peau de l'autre, regarder avec les lunettes de chacun, multiplier les points de vue, en cherchant à oublier ses propres opinions, parce que l'historien est en quelque sorte l'avocat de tout le monde.

Mais lorsqu'il est question de religion, souvent un étudiant au moins sur trente, déclare: "Ah moi, non, l'histoire religieuse, ça m'emm***, parce que  je suis athée". Pire "Ah moi, je refuse d'entrer dans une église!". Encore, on a de la chance quand ne vient pas l'argument suprême, "de toute façon, la religion c'est à cause de ça que les hommes se f*** sur la g***". Bon, bon, bon, reprenons tout ça. 

Au bout de quelques années, les étudiants comprennent en règle générale que l'argument religieux sert souvent de masque à d'autres arguments encore moins glorieux. Quand le roi d'Espagne se pose au 16e siècle comme le roi catholique, la religion n'est alors qu'un masque idéologique à la volonté de puissance, pour reprendre l'excellente formule de Joseph Perez, historien de l'Espagne moderne. En gros, c'est parce que Charles (Quint), il veut en mettre plein sur la g*** de François (Ier) qu'il crie à qui veut l'entendre que lui, il défend la foi. Cela fait déjà quelque temps que l'on sait que les guerres dites de religion sont d'abord des guerres politiques entre grands clans nobiliaires. Et même lorsque l'on se bat pour sa foi, quand la religion sort de tels conflits religieux, on ne la reconnaît plus, au mieux, qu'à ses godasses, comme dirait quelqu'un de ma connaissance.

Refuser de s'intéresser à une période historique parce qu'elle a été marquée par le religieux alors que l'on est soi-même athée, c'est borner sa curiosité au monde que l'on connaît déjà. Ou bien, refuser de s'intéresser au protestantisme parce que l'on est catholique (toutes les configurations sont possibles) c'est tout autant regrettable. Alors que précisément, c'est ce qui est étranger qui doit logiquement intriguer, attirer l'historien. Mais souvent face à la religion, le rideau tombe. Au contraire, l'historien est par nature un curieux, curieux de tout, avide de découvrir, de percer le sens des choses les plus ordinaires.

C'est comme si, face à la religion, il y avait une crainte, celle d'être séduit? L'argument me semble léger, mais je n'en vois aucun autre. Je  n'ai aucune crainte pour ma part à entrer dans un temple de quelque religion que ce soit, une mosquée, une église. Au contraire, je trouve fascinant que tant d'hommes aient pu consacrer leur vie à la construction et à la décoration de tels monuments.

Le problème, c'est que la méconnaissance provoque la méfiance, le rejet. Ce n'est pas une formule, j'en ai fait l'expérience il y a pas mal d'années de cela. En rejetant les choix religieux ou l'athéisme, on refuse de comprendre au sens "admettre par quel processus tel individu en arrive à croire en ceci ou cela". Et tant que l'on refuse de comprendre les choix religieux ou areligieux, lorsque l'on se ferme à un courant politique ou religieux, on se ferme à l'autre et j'ai peine à comprendre comment on peut faire oeuvre d'historien. C'est en cela que faire de l'histoire permet d'être encore plus citoyen ouvert aux valeurs de tolérance et d'ouverture aux autres.

C'est bien la raison pour laquelle il ne faut absolument pas confondre laïcité et ce que l'on pourrait appeler "laïcisme". Que notre État soit laïque implique que toutes les religions soient admises et mises sur un pied d'égalité. À ce titre il me semble normal, comme enseignante, de remiser pendant la semaine tout bijou à symbole religieux. Ne pas montrer d'opinion religieuse, ni par des signes vestimentaires, ni par des discours. L'historien parle de l'athéisme comme du catholicisme, du protestantisme, de l'islam ou du judaïsme. C'est en quelque sorte la garantie de son respect des règles scientifiques. La distinction entre la vie privée et la vie publique ou professionnelle.

Je reste en revanche abasourdie devant l'extrémisme de certains qui au nom de la laïcité hurlent d'entendre parler de christianisme ou d'islam à la radio, qui se scandalisent d'une femme voilée dans la rue. On en arrive alors à interdire à quelques-uns l'expression de leur foi ou la mention même de leur existence, au nom du respect des croyances de quelques autres. Quand une intolérance en remplace une autre... Non, la tolérance n'est pas une indifférence à tout, elle est respect de tous.

Pour pouvoir admettre l'existence de l'autre, il faut chercher à le comprendre, ou admettre l'idée d'essayer de le comprendre, au sens d'admettre le processus logique qui a fait adopter tel principe de foi, il faut connaître et abandonner la méfiance systématique. Malheureusement, nous en sommes encore loin. Dire, en effet, que l'on en est encore à se poser la question de la nécessité de cours sur les religions du monde, que l'on confond avec des cours d'enseignement de la foi... La route vers la tolérance est encore longue.
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11/11/2010

La Maison de l'histoire, débats et coups bas, la réponse de Pierre Nora

Quand il sort de la bouche d'un professeur une évaluation d'une prestation, si les premiers mots sont positifs, les derniers sont souvent désagréables, et aux premiers mots l'on sait que la prestation n'a pas été bonne. Et vice versa. 

Pierre Nora est sorti de son silence pour adresser dans le Monde d'aujourd'hui 11 novembre, une lettre à F. Mitterand, ministre de la culture pour au moins quelques jours encore, à propos du projet présidentiel de Maison de l'histoire. 

Ça commence bien, ça finit largement moins bien. Le ton est parfait, élégant et mesuré, le message en est d'autant plus cinglant. Au fond, c'est un des plus grands historiens du XXe siècle qui donne une leçon, point par point, argument par argument. Solide comme un mur de pierre de taille, imparable. Je vous laisse le savourer ici, sur le blog Passion Histoire. Indécision des dirigeants, échec de tous les projets semblables, (dont le Musée de l'histoire de France, à Versailles, par Louis-Philippe) pluralité des opinions et des regards français, péché originel d'un projet lancé dans un contexte de défense de l'identité nationale, hostilité des professionnels, polémique sur le site, flou du projet...

Les historiens ne sont pas bons dans la querelle et le face-à-face. Faits pour la réflexion et la mesure, ils ne sont pas formés au discours creux et illusionniste. Nicolas Offenstadt (éminent spécialiste de la première guerre mondiale) poli, mesuré et courtois, qui n'en était pourtant pas à son coup d'essai en matière de critique fondée de la politique présidentielle, (voir sa bibliographie) s'est fait laminer par l'éminence grise de l'Élysée, Henri Guaino, sur France Inter, le 10 novembre, qui n'hésitait pas à couper et à monopoliser la parole, à multiplier les insinuations douteuses à la limite de la paranoïa et de l'incapacité à se remettre en cause: "Si vous vous opposez à N. Sarkozy, c'est par idéologie et non en tant qu'historien". Ben voyons. Quand on n'a plus rien à argumenter de mieux...

Le clou a été d'entendre l'éminence grise dire que le transfert des archives à Fontainebleau allait faciliter le travail des archives.

Le transfert des archives à partir de la deuxième moitié du XXe siècle (voir ici présentation des fonds) à Fontainebleau a suscité une importante polémique, et le site, mal accessible, reste peu fréquenté, d'après mes sources. N'étant pas contemporanéiste, je ne peux vous l'attester de visu. Pour y aller, c'est un peu complexe (euphémisme par litote). Alors une navette gratuite a bien été mise en place, avec départ devant le site du CARAN (hôtel de Soubise, rue des Francs-Bourgeois, dans le 3e). Deux fois par semaine, départ 8h., retour 16h45. Autant dire que si l'on vient de province, il faut loger à l'hôtel ou partir à la nuit noire si l'on vient seulement de banlieue. Et tout cela facilite les conditions de travail des chercheurs. Retenez-moi ou je me roule par terre de rire. Vraiment Guaino nous manquerait presque s'il devait quitter l'Élysée et par le même coup les vêtements de  capucin du bon père Joseph.

Non, Monsieur le président, Monsieur le conseiller spécial, Messieurs les décideurs, les historiens ne sont pas hostiles à tous vos projets, que ce soit la transformation de la BnF Richelieu, la création d'éventuels musées et autres initiatives pédagogiques malheureuses. Ils sont las, seulement, que vous vous serviez de l'histoire  pour servir votre gloire, en ignorant superbement ce qui se fait déjà, en vous moquant éperdument de ceux qui tentent de la faire vivre sans grands discours, sans grands moyens (la plupart du temps), dans les classes, les centres d'archives et les bibliothèques. Pour se vouloir Louis XIV ou seulement Louis-Philippe il faut autre chose que la construction d'un copie de Versailles, palais ou musée.

Aussi la réponse de Pierre Nora était aussi nécessaire que parfaite. Merci Monsieur Nora.
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09/11/2010

16h31, une fonctionnaire et des fonctionnaires

Parfois, j'aimerais être fonctionnaire. Ça dure en général cinq secondes, avant que je me rappelle que je le suis déjà. J'essayais de contacter cet après-midi-là mon école doctorale. La bonne blague. Histoire de pouvoir  avoir accès à la plate-forme informatique afin de commander l'impression du papier manquant (évidemment) dans le dossier d'inscription. Lequel dossier est de ce fait coincé depuis une dizaine de jours dans le bureau de la responsable administrative parce qu'il manquait ce fameux papier, une demande de dérogation. Enfin il manquait ça et puis aussi une lettre de motivation. La plate-forme est accessible, mais le site de réinscription n'est pas ouvert. Pourquoi? Comment? Sais pas. Est-il fermé définitivement? Ouvert à cette date seulement au personnel? Sais pas. Reste à joindre la responsable pour lui demander de me l'envoyer ou de m'ouvrir l'accès.

Mauvaise pioche, à 16h31, alors que je cherchais à joindre le bon service, celui-ci était déjà fermé. C'est le genre de situation qui me fait méditer sur l'égalité dans notre bonne république. C'est comme les fonctionnaires, il doit y en avoir de plusieurs espèces, de l'égalité comme ci et de l'égalité comme ça. Le meilleur, c'est quand même qu'en appelant l'université, j'ai le choix entre prendre connaissance des jours et heures de fermeture de l'université et contacter le PC sécurité. J'ai fait bugger la boîte vocale en demandant à connaître les jours et dates d'ouverture.

Vu que je fais partie de ceux qui, comme des imbéciles, travaillent encore à 16h31 et même en général jusqu'à 20h, ça me plonge dans un abîme de consternation. Une journée qui se finit à 18h est pour moi une journée de chance, payée souvent par quatre ou cinq jours précédents où il vaut mieux ne pas regarder l'heure à laquelle je quitte ma chaise (mon chat peut témoigner). 

Dans ces moments-là, je suis prise d'un sentiment d'exaspération qui me fait dire que si le métier d'historien est un métier de solitaire, c'est tant mieux pour mes collègues. Parce que mon humeur massacrante pourrait tomber sur le premier venu, croisé dans un couloir.

Et je ne vous parle même pas de la lettre de motivation exigée pour pouvoir se réinscrire en thèse. Et c'est là que vous êtes en droit d'imiter les mouettes du bassin du Luxembourg, pour rigoler ouvertement (oui, mouettes rieuses, etc etc.). Rédiger une belle lettre de motivation pour expliquer pourquoi et comment vous tenez à faire un chèque de plus de trois cents euros alors que vous n'utiliserez au mieux que l'emprunt de livres à la bibliothèque. Le laboratoire? Sais même pas s'il y a un local à ce nom. Un ordinateur? Ah non, il est à moi, payé avec mon premier salaire de prof. D'ailleurs il commence à dater. Imprimante? Scanner? Logiciels? Fournitures de bureau? Photocopieuse? Ah non, tout ça, c'est à moi, enfin c'est moi qui l'ai payé. Et en  plus je dois rédiger une lettre de motivation pour expliquer au monsieur à quel point j'ai envie de terminer ma thèse. Sans rire. 

Je me demande quels arguments je peux sortir: "vous voyez, il fait chaud chez moi à travailler, je suis bien , j'aimerai bien y rester..." Pas très opérant. Non, vraiment, je ne vois pas. Bon, alors, comme une imbécile, je faire continuer ma journée en retournant à la préparation de mes cours. Ça au moins, c'est ouvert et possible.
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05/11/2010

En vrac (ter) !

Depuis quelques mois, figure dans les liens des sites recommandés, celui des Clionautes. Il s'agit d'une association de professeurs d'histoire-géographie pour l'utilisation des TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation), qui propose par conséquent des "ressources en ligne" pour les enseignants mais pas seulement.

En effet, une page en particulier est intéressante pour tous, que l'on soit professeurs d'histoire ou pas, c'est la Cliothèque qui propose une veille des parutions et de très nombreux comptes rendus, classés par thèmes. Mieux encore, en adhérant, vous soutenez l'association et pouvez proposer vos propres comptes rendus pour enrichir la bibliothèque...

Et puis, voici un bulletin sur l'art médiéval, roman surtout, très attirant (pas eu le temps de tout regarder en détail, mais les premières pages sont très riches). Si vous ne savez pas quoi faire de vos économies, il y a des abbayes cisterciennes à acheter en ce moment. Si, si. 

Bientôt je reviens pour des articles pas en vrac et plus construits.
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29/10/2010

En vrac ! (encore)

Si vous vous intéressez à La Perouse, navigateur, explorateur de la fin du 18e siècle, vous aimerez sans doute l'émission Partir avec (cliquer) qui lui était consacrée ce vendredi soir (on est bien vendredi soir, non? Je suis déphasée en ce moment, je ne vis pas, je scritch, scritch, scritch des pages de cours, je vis en journées de travail et en piles de bouquins effondrées... bref).J'ai toujours aimé ce moment-là de l'histoire du 18e siècle, un moment de paix et d'espoir avant la Révolution, sans doute.

Et pour ravir vos yeux après avoir réjoui vos oreilles, je vous conseille un petit tour ici: un blog où est présenté une reconstitution en 3D de la ville de Lyon en 1700. Je trouve ce genre d'entreprise fabuleux (moi qui passe des heures en tirant la langue à fabriquer mes cartes sur ordinateur) et elle mérite vraiment d'être encouragée, saluée, applaudie. J'ai dit.
Ah si. Si quelqu'un veut bien faire ça pour Paris, au choix, au 16e, au 17e ou au 18e siècle, je suis preneuse. Quoi? J'abuse? Moi? Mais non.
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27/10/2010

En vrac !

- Une semaine qui commence bien, c'est une semaine où on peut remettre le nez dans ses fichiers de thèse. On se souvient alors de toutes les merveilles que l'on a en stock et qui n'attendent plus que la confrontation avec les connaissances actuelles et la rédaction. Mais c'est comme promener un morceau de fromage sous le nez d'une souris en lui interdisant d'y toucher. Parce que...

- la semaine continue moins bien, quand il faut se coltiner la préparation des cours (ce n'est pas que je déteste mais ne faire que cela... gggrr) et bien pire encore, enchaîner la lecture d'articles et de livres abscons. J'ai des envies folles de vouer aux gémonies ces intellectuels qui croient faire savant en écrivant des pages et des pages totalement incompréhensibles. Remarquez, de cette manière, personne n'y comprend rien, personne ne peut contester le propos et cela vire à l'histoire de l'empereur nu. Dire que l'empereur est nu c'est reconnaître que l'on ne voit pas ses vêtements. Reconnaître que l'on y comprend rien, c'est prendre le risque de passer pour stupide. Tant pis. Vu que la seule alternative, c'est se lancer soi-même dans un autre discours tout autant jargonnant. Non merci. 

- sinon, j'ai un problème. Je viens de découvrir l'existence de plusieurs centaines de mètres linéaires d'archives qui me font pâlir d'envie. Mais pas touche tant que la thèse en cours n'est pas terminée. C'est à en crever de dépit. 

- je me console en me disant que si les grèves ne l'interdisent pas tout déplacement, je vais bientôt goûter un menu Renaissance et  j'ai les papilles qui s'impatientent... Et toc! C'est la revanche de la thèse sur les cours. Et le premier qui dit que l'on mangeait des viandes avec plein d'épices au Moyen Âge et à la Renaissance parce que les viandes étaient avariées et qu'il fallait cacher ce goût infect, je me fâche tout rouge et lui donne 500 pages à lire.
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17/10/2010

Causons musique (2)

Je vous ai déjà dit que j'aimais l'opéra baroque ? Pas que l'opéra d'ailleurs, mais enfin, difficile d'être moderniste ou de vouloir le devenir sans se plonger dans la musique ancienne et la musique baroque... Et puis ce qui ce qui est bien avec l'opéra baroque,c'est qu'on peut même y saisir des allusions grivoises glissées dans un texte apparemment innocent.
Alors, pour débuter, quelques livres: 


Jacques Viret, Le B.A. BA du baroque, éditions, Pardes, 2008, 128 p. 
Philippe Beaussant, Vous avez dit baroque?, Actes Sud, 1993, 240 p. 
Jean et Brigitte Massin (dir.), Histoire de la musique occidentale, Fayard, 1987, 1312 p.
Philippe Beaussant, Passages de la Renaissance au Baroque, Fayard, 232 p., 2006. 


L'inconvénient de beaucoup d'ouvrages de type "dictionnaire de la musique", "Enclyclopédie de la musique" réside dans l'insuffisance des textes, qui se répètent à peu près tous quelque soit l'éditeur. Malgré cela, ce genre d'outil rend service et est à prendre pour ce qu'il est, une source d'information. Après, à vous de fureter, d'écouter en magasin et de choisir selon vos goûts. Vous n'êtes même pas obligés d'aimer la divine machine à coudre (Bach, quoi).

Une alternative, pour découvrir les nouveautés avant d'aller en magasin, le site Operabaroque que voici en lien. La mise en page est un peu rebutante, mais il y a des choses à y picorer.


Et merci de vous inquiéter pour ma santé mentale, j'écoute aussi Brassens, U2, Madjo ou Gaëtan Roussel. Mais faire décalé juste pour le genre, ce serait assez stupide et sans intérêt. J'ai dit. 

Et n'oubliez pas qu'il est encore temps, si vous êtes dans la région, d'aller faire un petit tour à Blois, pour les dernières heures des rendez-vous de l'histoire, Marie en parle ici.
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16/10/2010

Une faim de livres (2) La boutique de l'histoire

Dans ce billet déjà un peu ancien, j'évoquais une liste de diffusion bien pratique pour se tenir informé des nouvelles parutions en histoire.

Le lien étant devenu mauvais, le site en question ayant changé, voici un peu de neuf. Il s'agit toujours de la Boutique de l'histoire, située près de la Sorbonne, à retrouver ici sur le net (publicité gratuite même si je n'ai rien contre quelques volumes, hahum). Toutefois le prix de leurs ouvrages d'occasion est assez prohibitif, dès que les ouvrages ne sont plus édités. Disons qu'ils savent ce qu'ils vendent... Mais leur catalogue n'en demeure pas moins intéressant.

Bonne visite...
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13/10/2010

Devenir historien (8) Et le piston?

Dans l'avant avant dernier billet, j'évoquais la nécessité d'établir et de conserver de bonnes relations avec son "patron", son directeur de thèse. Certains esprits chagrins en ont peut-être tiré la conclusion habituelle "de tout'façon, à l'université, c'est rien qu'du piston". 

Une affaire pourrait apporter des preuves en ce sens. Il y a quelques années, la démission fracassante d'un jeune maître de conférence en sociologie, Xavier Dunezat, fraîchement nommé avait fait du bruit dans Landernau. Dans sa lettre de démission (à lire ici), qui a fait le tour du net, méthodiquement, en cinq chapitres, l'enseignant dressait un tableau accablant des pratiques de recrutement en vigueur. Il dénonçait le "règne du piston", le "désert relationnel" de l'université et le "mépris des étudiants qui transparaît dans l'organisation globale des enseignements... et dans les pratiques professionnelles des enseignants". Il se trouve que ce jeune maître de conférence a été élu parce que devant lui, dans le classement, se trouvaient les deux "poulains" de deux professeurs. Schéma classique, aucun des deux ne voulant céder, c'est le troisième homme qui a été choisi. (Poulain, ainsi nomme t-on celui qui est le candidat favori, pour ses talents en principe, d'un professeur, celui a le plus de chance de gagner au concours. Remarquez, quelques années après avoir été une bête à concours, le mot n'a plus rien de choquant... Hahum...)

(article du Monde, du 16 octobre 2007) La première raison de ma démission est que je n'assume pas la manière dont j'ai été recruté", écrit M. Denuzat. Les procédures de recrutement menées par des "commissions de spécialistes" privilégient "copinage et candidats locaux, issus de l'université qui recrute", explique-t-il. Autre désillusion, les relations entre enseignants. "Couloirs et salles de professeurs vides, (...) bureaux fermés", l'université est selon lui un monstre froid où les "quelques relations socioprofessionnelles qui existent sont profondément structurées par une conflictualité désarmante". Violente est aussi la charge contre les enseignants-chercheurs : ils sont accusés de s'adonner à la "chasse aux cours qui sont en adéquation avec (leurs) thèmes personnels de recherche", de se livrer à une vive "concurrence pour attraper au vol les niveaux intéressants" "faible sérieux en matière de notation ou de suivi d'examen".

Rarissimes sont les universitaires qui quittent un milieu dans lequel ils n'ont pu entrer qu'après de longues années d'études. Plus rares encore sont ceux qui critiquent publiquement ses règles. Récemment, seule la fiction a dépeint ces travers, avec la publication en 2006 de deux romans, Petits crimes contre les humanités (Métailié) de l'universitaire et scénariste de bande dessinée Pierre Christin, et Félicitations du jury de Clarisse Buono (Privé).
A partir de son expérience d'un an, M. Denuzat reconnaît livrer un témoignage "très subjectif, parfois grossier"

L'université, pourrie par le piston? Les choses sont un peu plus variées, pour ne pas dire plus compliquées. Il faut distinguer deux choses: le piston et l'appui mérité et rapporté aux capacités d'un candidat. Le piston se donne indépendamment des qualités et il pose problème. En revanche, sélectionner les meilleurs étudiants, leur donner la possibilité de financer la poursuite de leurs études, de faire leurs publications, bref les aider à traverser la jungle, n'est en rien condamnable ni pernicieux.

Démissionner est absurde. Qu'il y ait du piston, sans doute, mais y en a-t-il plus qu'ailleurs? J'ai des doutes.
Il est certain qu'il ne faut pas s'imaginer que ce sont toujours les meilleurs qui sont choisis. Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas ses chances. C'est là qu'intervient le rôle d'un directeur de recherches, sans parler de son rôle scientifique de pure direction de thèse.  

Avant d'en arriver au piston, dont on peut très bien se passer, il faut simplement faire connaître son travail. Des thèses, il y en a des centaines par an, et même sans ce nombre, il n'est pas évident d'obtenir l'information qu'un tel travaille sur tel sujet. Alors il faut publier. Assez mais pas trop. Donc se tenir aux aguets des annonces de colloques. Calenda est mon ami, mais aussi celui de tas de chercheurs. Sauf qu'au début d'une thèse, on ignore souvent l'existence de Calenda, on ignore autant l'existence de listes de diffusion ("Une liste de diff quoi? C'est quoi ce truc?") thématiques, d'associations d'historiens regroupés par spécialisations, de séminaires bidules ou truc où il peut être bon de pointer son nez. Oser répondre à un appel à contribution, oser participer à un premier colloque (surtout quand on n'y a encore jamais assisté, parce que l'on était encore étudiant dans sa petite fac), savoir par quelles bourses ou quels contrats de travail dans le supérieur financer sa thèse, bref, apprendre le métier, cela ne se fait pas sans maître. Enfin, oser publier l'ouvrage tiré de la thèse, être mis en relation avec telle maison d'édition.

Et puis savoir répondre à l'arrogant qui vous interpelle en plein colloque pour vous poser une question sans intérêt, juste pour se faire mousser et tenter de vous ridiculiser ("Quoi ce p'tit jeune, il ne sait même pas répondre alors que c'est son sujet de recherche?"). Savoir se méfier de tel sinistre personnage, connu pour pillages répétés. Savoir peu à peu les règles sociales, qui ne sont pas évidentes pour tous, surtout si l'on est issu d'un milieu modeste, qui ne vous avait pas préparé à cette carrière.

Faire des vacations, obtenir un contrat dans le supérieur d'un an ou plus, permet de prendre conscience que dans ce genre de métier comme dans tous les autres, tout n'est pas rose. La belle découverte! 

Que ce genre de dénonciation soit mérité pour les coupables, mais les autres? Je connais beaucoup de collègues qui ne méritent aucunement de tels portraits. N'empêche que le mal est fait, sur eux comme sur les autres pèsera le soupçon. 

À chacun de refuser les voies d'accès douteuses, au moment où elles se présentent et ne pas en profiter pour, après, crier haro sur le système. Et si l'on tient à ce sens moral, rien ne l'empêche de l'appliquer.  Si votre collègue du bureau d'à côté est indigne de son poste, selon vous, rien ne vous empêche de soigner malgré tout vos cours année après années, en les retouchant, en travaillant dur pour en créer de nouveaux, en changeant les programmes, en se tenant au courant des nouveautés, en ne lâchant pas la recherche, en encadrant des étudiants de la licence au doctorant en les respectant, en assumant des tâches administratives et scientifiques pour la renommée de l'université. 

Il faut quelquefois savoir répondre à des coups bas, s'affirmer, apprendre les règles... Comme partout il y a des moments tendus, des choix à faire entre moralité et immoralité. En se retirant du jeu, on perd le droit de le critiquer et de changer les règles du jeu en étant une exception de plus qui fera de l'université ce qu'elle doit être. Les universitaires ne sont pas des saints, la chose est entendue. Inutile d'en faire des démons.

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12/10/2010

L'art du colloque

Voici une pépite fine, amusante et pertinente sur le bon usage des colloques, écrit par un littéraire, Robert Mélançon, mais parfaitement applicable au monde des historiens. Trouvée cet après-midi, totalement par hasard (en cherchant autre chose, comme toujours), hasard d'une séance de travail où je suis bloquée à domicile par la grève (et la crainte de transports interminables coincée dans la foule)... 

À la fin du Moyen Âge la route de Cantorbéry était jalonnée d'auberges qui attestaient de l'utilité économique des pèlerinages. Aujourd'hui, autour de toute université qui compte, gravitent des agences de voyages créatrices d'emploi. Entre deux offices, il fallait bien se restaurer ; après les communications, il y a toujours quelque banquet, des monuments, des musées, des bars à visiter, des boutiques à écumer, des conversations qui se prolongent sans fin autour d'un verre dans ce loisir infini qu'on ne trouve qu'ailleurs. Mais la paillardise est bien surfaite et relève de la légende, du fantasme ou du recyclage d'un topos éculé sur les moines girovagues: le secret le mieux gardé des colloques, c'est qu'on y cède infiniment moins à la luxure qu'aux autres péchés capitaux.

      Et puis, il arrive qu'on y travaille. C'est même la règle comme on le constate à lire les volumes d'actes que le courrier apporte presque au même rythme que les calls for papers. On n'y fait pas de recherche, mais on y livre le résultat de ses travaux et surtout on y écoute attentivement, mais oui, ses collègues présenter le résultat des leurs. On s'y lave de la routine des cours, de la corvée des examens, de l'ennui sans nom des comités et des assemblées: on y retrouve sa dignité de travailleur intellectuel. Je me souviens, lors d'un des premiers colloques auxquels j'aie participé, de la joie d'un spécialiste de littérature néo-latine qui enseignait Dieu sait quoi dans une petite université et qui, m'avait-il confié, pouvait une fois l'an rencontrer ses interlocuteurs pendant quelques jours. Il en revenait ragaillardi, prêt à retrouver pour des mois la solitude du coureur de fond et à poursuivre ses travaux sur Guillaume Budé entre deux cours où il devrait s'en tenir aux rudiments. Il n'aurait pas tenu sans son colloque annuel qui lui permettait de se ressourcer.
 
      Sur ma table se sont accumulés depuis trop longtemps des volumes d'actes dont je devrais rendre compte. Lus à la suite, ils suggèrent une typologie du genre colloque dont on trouvera ici l'esquisse. Ils rassemblent quatre cent vingt-neuf communications en vingt-six recueils, auxquelles s'ajoutent six avant-propos, six préfaces, cinq introductions, un liminaire, une ouverture, un texte de préliminaires, un texte de présentation, cinq conclusions, deux synthèses, une postface, cinq index, trois bibliographies, une biographie, une chronologie, un document préparatoire, un lexique, une table ronde, une traduction anglaise de L'Ode à Michel de L'Hospital de Ronsard ; en outre, quatre volumes reproduisent les discussions. À moins de leur ajouter un tome de commentaires, il n'est pas question d'en proposer ici le compte rendu détaillé.
      On ne leur en fera pas grief.
 
      La fonction rituelle des colloques se constate aussi au retour des mêmes noms : quelques champions de la communication se retrouvent presque partout; la plupart sont moins répandus mais réapparaissent régulièrement aux tables des matières. Une série de volumes d'actes offrirait donc ample matière à une sociologie de l'université. On y reconstitue sans mal des réseaux, des systèmes d'échange, des circuits privilégiés. Faut-il parler de «renvois d'ascenseur»? Ce serait facile et, surtout, faux. Le milieu de la recherche universitaire est depuis longtemps international ; actuellement, c'est l'université elle-même qui devient internationale dans toutes ses fonctions -- y compris dans l'enseignement comme en témoigne la circulation de plus en plus fréquente des étudiants d'une université à l'autre en cours d'études. 

Les réseaux des colloques fraient la voie à cette université sans frontières de l'avenir dont chaque institution particulière, chaque campus, ne constituera qu'une épiphanie.

      Parallèlement, dans chaque société, l'université voit son rôle réduit au nom de prétendus impératifs fonctionnels: rentabiliser des investissements énormes, former la main-d'oeuvre spécialisée que la société technologique réclame. Gouvernements, milieux des affaires, médias se retrouvent pour une fois d'accord: les universitaires n'ont pas le sens des réalités; leur poursuite désintéressée de la connaissance et leurs idéaux d'éducation libérale ou humaniste appartiennent à un stade dépassé de l'histoire. Les colloques permettent aux universitaires girovaques de respirer un air moins confiné. 

Semblables en cela aux moines médiévaux qui allaient d'un scriptorium à l'autre à la recherche de textes, les « colloquants » -- risquons ce néologisme comme un clin d'oeil -- maintiennent aujourd'hui, l'idéal d'une république des lettres qui, sans eux, ne serait plus qu'un vague souvenir. Cela vaut bien quelques rituels.
Le texte intégral (à retrouver ici) a été publié sur erudit.org
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