
Jeux de princes, jeux de vilains
Exposition. Paris, Bibliothèque de l'Arsenal (2009)
Editions Seuil
Beaux livres (159 pages)
Paru le 12/03/2009
38.00 euros
Un blog d'historienne...
" L’Histoire se fait avec des documents. Le documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de document, pas d’histoire. " (Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, rééd., Paris, Kymé, 1992, Liv.I, chap I, cité dans Charles-Olivier Carbonnell et Jean Walch, Les sciences historiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Larousse, 1994, p.171).
" L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste-t-elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce qu’elles ne disent pas d’elles-mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites – et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à l’absence du document écrit. " (Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p.428 cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, Folio Histoire, 1996, p82).
Aux époques historiques anciennes, nous trouvons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une hiérarchie variée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous avons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au Moyen Âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs ; et, dans presque chacune de ces classes, de nouvelles divisions hiérarchiques.
La société bourgeoise moderne, qui est issue des ruines de la société féodale, n'a pas surmonté les vieux antagonismes de classes. Elle a mis en place des classes nouvelles, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte.
Toutefois, notre époque – l'époque de la bourgeoisie – se distingue des autres par un trait particulier : elle a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.
Les citoyens hors barrière des premières villes sont issus des serfs du Moyen Âge ; c'est parmi eux que se sont formés les derniers éléments de la bourgeoisie.
La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, les échanges avec les colonies, l'accroissement des moyens d'échange et des marchandises en général donnèrent au commerce, à la navigation, à l'industrie un essor inconnu jusqu'alors ; du même coup, ils hâtèrent le développement de l'élément révolutionnaire au sein d'une société féodale en décomposition.
L'ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait pas aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés. La manufacture vint le remplacer. Les maîtres de jurandes furent expulsés par les petits industriels ; la division du travail entre les diverses corporations disparut devant la division du travail au sein même des ateliers.
Cependant les marchés ne cessaient de s'étendre, les besoins de s'accroître. La manufacture devint bientôt insuffisante, elle aussi. Alors la vapeur et les machines vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture dut céder la place à la grande industrie moderne et les petits industriels se trouvèrent détrônés par les millionnaires de l'industrie, chefs d'armées industrielles – les bourgeois modernes.
La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication. En retour, ce développement a entraîné l'essor de l'industrie. À mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer prirent de l'extension, la bourgeoisie s'épanouissait, multipliant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan toutes les classes léguées par le Moyen Âge." (Marx Karl et Engels Friedrich, (1965), Manifeste du parti communiste, trad. fr., in Œuvres, Économie l, Paris, Gallimard, p. 161-163 (1ère éd. 1848))
Marx et Engels ont présenté dans cet ouvrage leur vision de l'histoire. Depuis les années 1840, la connaissance historique a beaucoup évolué. On fait bien la distinction entre système féodal et système seigneurial (en l'occurence les auteurs désignaient non le système féodal mais le système seigneurial), et bien des historiens de la première moitié du XXe siècle, marxistes convaincus ont tenté de retrouver la vision de Marx et Engels dans les archives et tous les documents utiles pour les historiens.